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Obama en Chine: quelle place pour les sujets qui fâchent?

Temps de lecture : 4 min

Le prix Nobel de la paix doit parler ouvertement des droits de l'homme avec son homologue chinois.

Manifestation contre la censure chinoise à Sydney, REUTERS/Will Burgess
Manifestation contre la censure chinoise à Sydney, REUTERS/Will Burgess

Le président Barack Obama sera dans quelques jours en Chine. La liste des dossiers à évoquer avec son homologue Hu Jintao est longue: préparation du sommet de Copenhague, tensions sur les nucléaires nord-coréen et iranien, crise économique... Le président américain aura à cœur d'obtenir des résultats concrets de cette visite déjà qualifiée d'historique des deux côtés du Pacifique.

Mais le président Obama va-t-il oser s'attaquer aux sujets qui fâchent, notamment celui de la liberté d'expression? La visite d'Hillary Clinton en Chine, en février dernier, avait donné le ton. La secrétaire d'Etat avait tout simplement déclaré qu'elle ne parlerait pas des droits de l'homme pour ne pas bloquer les discussions sur les autres sujets. Barack Obama fera-t-il de même, au prix de renier les engagements de son discours d'investiture de janvier 2009 dans lequel il évoquait son soutien aux dissidents? A l'époque, les médias chinois avaient censuré ce passage.

Dans le passé, les visites de présidents américains en Chine populaire ou de hauts responsables chinois aux Etats-Unis donnaient lieu à des libérations de prisonniers politiques. Avant la visite d'Hillary Clinton, rien... On espère que la visite présidentielle aura, au moins, un effet très concret pour quelques détenus. En effet, les cas ne manquent pas. Les deux dissidents Hu Jia et Liu Xiaobo sont toujours détenus pour leurs prétendues «incitations à la subversion». Au Tibet, le réalisateur indépendant Dhondhup Wangchen a été jugé dans le plus grand secret pour avoir réalisé un documentaire dans sa province natale. Son épouse a lancé un appel à l'aide à Barack Obama pour qu'il ne reste pas insensible au cas de son mari, qui risque une lourde peine de prison.

Aujourd'hui, les appels de dissidents chinois à l'intention de Barack Obama se multiplient, car pendant la visite officielle, ils seront sous surveillance pour les empêcher de s'adresser à la presse étrangère. D'autant plus que les correspondants se voient régulièrement refuser le droit d'interviewer les personnalités réformatrices ou les familles de détenus, malgré les nouvelles lois de janvier 2007 qui leur ont accordé liberté de mouvement et liberté d'interview. Ainsi, Yang Zili, un jeune ingénieur qui vient de passer huit ans en prison, a interpellé publiquement le président Obama pour lui demander d'intervenir en faveur de ses deux collègues toujours détenus pour avoir créé un site Internet.

Le président américain arrive dans un climat tendu. Au Xinjiang, les autorités chinoises ont lancé une campagne de répression qui passe notamment par le blocage des moyens de communication. L'Internet y est réduit à un Intranet, empêchant les Ouïghours de donner des informations précises sur leur situation. Au Tibet, la suspicion est généralisée et, depuis mars 2008, les arrestations et les procès de journalistes, blogueurs et internautes n'ont jamais cessé. A la frontière avec la Corée du Nord, la police a renforcé son contrôle, empêchant les journalistes étrangers d'enquêter sur la situation dramatique des réfugiés nord-coréens.

Parmi les sujets épineux, certains ont, malgré les dénégations chinoises, des implications directes sur les relations sino-américaines: liberté syndicale, liberté religieuse, situation au Tibet et au Xinjiang, et, bien entendu, liberté de la presse. Récemment, lors d'une grande conférence sur les médias organisée à Pékin, des patrons de presse, notamment américains, ont ouvertement critiqué la Chine pour son incapacité à ouvrir durablement le pays aux médias étrangers, et à mettre en place un cadre favorable aux investissements dans ce secteur.

Le président américain pourrait rebondir sur ce sujet et dénoncer les entraves à la libre circulation de l'information. Facebook et Twitter sont bloqués et Google est contraint à l'autocensure en raison des directives qui officialisent la censure d'Internet. Les agences de presse américaines ne peuvent pas vendre leurs informations librement en Chine et les investissements dans le domaine des médias sont extrêmement surveillés. De même, les autorités chinoises continuent de brouiller les ondes de Voice of America ou Radio Free Asia. N'est-ce pas le rôle d'un président américain de défendre le droit des entreprises américaines à accéder à la Chine sans encombre, dans la mesure où les médias chinois n'ont pas, eux, de problème pour s'implanter aux Etats-Unis?

Autant l'agressivité des néo-conservateurs américains a pu être contre-productive pour les relations sino-américaines dans le passé, autant le silence et l'autocensure affichés par Hillary Clinton et Barack Obama quand ce dernier a refusé de rencontrer le dalaï-lama, constituent des signaux alarmants.

Auréolé de son prix Nobel de la paix, Barack Obama a deux options. Soit il parle ouvertement des droits de l'homme, sans tabous. Il en sortira grandi au niveau international. Soit il met la sourdine et enchantera le bureau politique du Parti communiste chinois, mais il aura manqué une occasion unique de faire avancer concrètement la cause de la liberté d'expression en Chine.

Vincent Brossel, Bureau Asie de Reporters sans frontières

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Image de Une: Manifestation contre la censure chinoise à Sydney, REUTERS/Will Burgess

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