Une fois encore, le torchon brûle entre Julian Assange et l'Équateur qui, depuis juin 2015, l'héberge dans les locaux de son ambassade londonienne. Après la publication de nombreux documents et e-mails visant à mettre en difficulté le Parti démocrate américain et Hillary Clinton, le gouvernement équatorien a pris la décision de restreindre temporairement la connexion internet de son ambassade, conformément à son «principe de non-intervention dans la politique intérieure d’autres pays».
À l'approche de l'élection présidentielle américaine, l'Équateur a rappelé, dans un communiqué officiel, qu'«il n’interfère pas dans les processus électoraux, et ne favorise aucun candidat» et précise qu'il n'a pas agit sur demande des États-Unis, contrairement à ce qu'à sous-entendu WikiLeaks. Un nouvel épisode dans la cohabitation parfois délicate qu'entretiennent le journaliste australien et son hôte équatorien.
«Au fil des quatre années qu’il a passées dans les murs, les relations entre le fondateur de WikiLeaks et son pays d’accueil n’ont pas toujours été au beau fixe, mais c’est la première fois que ces tensions s’expriment aussi publiquement», note Libération.
Alors, faut-il ainsi voir dans cette coupure d'internet un avertissement du gouvernement équatorien? Le signe que l'Équateur, encombré par la nouvelle ligne éditoriale de WikiLeaks, songerait à pousser Julian Assange vers la sortie, sans pour autant renier l'asile qui lui a été accordé? «Cela ressemble un peu à un avis d'expulsion», a confié anonymement un membre des services de renseignement américains à NBC News. Tout au moins, cela sonne comme une nouvelle mise en garde, après les précédents accrochages entre le personnel de l'ambassade équatorienne et Julian Assange.
Depuis son arrivée en 2012 à Knightsbrige, dans l'ouest de Londres, ses conditions de vie n'ont guère évolué. Vanity Fair décrivait en détail son espace à vivre comme un équivalent de chambre universitaire. «Outre cette pièce “de 4,5 mètres sur 4”, il dispose d'un petit bureau, chargé d'étagères, au milieu duquel trône un canapé en cuir et une table basse sur laquelle il travaille», résumait France Info.
En février 2016, Christophe Marchand ajoutait:
«Il dispose d’un petit bureau dans lequel il a pu installer un lit et partage un autre espace avec les services de l’Ambassade. En tout, il peut circuler dans une trentaine de mètres carrés. Il n’y a pas de jardin et il n’a plus accès au toit comme à son arrivée. La police britannique a disposé des agents pour qu’il ne puisse pas sortir. Il est confiné, ne peut jamais prendre l’air.»
Colère, stress et terreurs nocturnes
Si elle n'est pas aujourd'hui exprimée explicitement, l'idée d'évacuer Julian Assange –toujours sous la double menace d’une enquête de la justice suédoise dans une affaire de «viol de gravité moindre» qu’il nie et une autre, menée par un grand jury américain après la publication, en 2010, de documents secrets sur les guerres d'Afghanistan et d'Irak–, avait déjà fait son chemin, en septembre 2015.
Une enquête de BuzzFeed révelait alors, documents internes à l'appui, que l'ambassade d'Équateur avait déjà songé à plusieurs scénarios d'exfiltration pour évacuer le fondateur de WikiLeaks de ses locaux. Parmi les idées explorées: lui obtenir l’immunité diplomatique en faisant de lui le représentant de l’Équateur à l’ONU; le faire monter à bord d'une voiture diplomatique; le cacher dans une valise diplomatique scellée ou bien le faire sortir «déguisé» afin qu'il puisse «s’enfuir par les toits jusqu’à l’héliport le plus proche» ou bien «se fondre dans la foule de Harrods», un grand magasin adossé à l’ambassade. Quatre ans plus tard, aucun de ses plans d'extradition n'ont finalement été mis en œuvre.
Chaque nuit, des coups étaient portés sur les carreaux de ses fenêtres pour l’empêcher de dormir
L'enquête de BuzzFeed News avait également mis en avant une cohabitation conflictuelle et difficile. Après une altercation avec un vigile, en septembre 2012, et la manifestation de «terreurs nocturnes dues au stress» ou d'excès de colère chez le journaliste australien, l'Équateur recommandait dans un rapport une prise en charge psychologique pour Julian Assange. En février 2016, dans 20 Minutes, Christophe Marchand, l'un de ses avocats, pointait du doigt, quant à lui, une surveillance qui, en plus d'être très onéreuse pour la police londonienne, tendait à l'harcèlement:
«Pendant un temps, la surveillance policière était très intrusive. Chaque nuit, des coups étaient portés sur les carreaux de ses fenêtres pour l’empêcher de dormir.»
Un état de santé alarmant
Aujourd'hui, l'état de santé de Julian Assange, 45 ans, ne semble pas s'être véritablement amélioré. Il se dit «stressé et déprimé» et souffre d'une «douleur croissante dans l’épaule droite», selon une évaluation médicale de 27 pages rendue publique par BuzzFeed News en septembre 2016. «L’accès à l’air libre, au soleil, m’a été interdit par les autorités du Royaume-Uni; ainsi que toute possibilité de me rendre à un hôpital», alertait-il déjà en juillet 2015, dans une interview au Monde.
Dans une interview accordée à RFI en mars 2015, Ricardo Patiño, ministre des Affaires étrangères d'Equateur, lui, expliquait qu'il trouvait le journaliste australien «en forme, travaillant, faisant de la boxe, tirant partie du petit espace qui a été aménagé pour lui dans l’ambassade et recevant des visites médicales régulières». Un an plus tard, en février 2016, la mère de Julian Assange dressait un bilan bien plus alarmant dans la presse australienne: «Son corps lâche, à tel point qu'il souffre de problèmes cardiaques, d'une infection chronique des poumons et de graves douleurs à l'épaule».
Un dentiste ajoutait, dans un dossier dentaire daté de juillet 2015, que Julian Assange souffrait d'une dent cassée et qu'une extraction de la celle-ci dans un environnement non-médicalisé serait à déconseiller. «Julian va plutôt mal, même s'il fait ce qu’il peut. Je pense que vous pouvez deviner que vivre dans un tel confinement pourrait rendre fou n’importe qui», confiait à BuzzFeed, en septembre 2016, une source anonyme lui ayant rendu visite à Londres.
Visites et passe-temps
Dans ce «petit espace», Julian Assange tente donc de se tenir occupé. Il a écrit un livre, Menace sur nos libertés: Comment Internet nous espionne. Comment résister, et regarde la télévision. En 2013, il confiait au Telegraph qu'il suivait avec intérêt la série Rake et avoir particulièrement apprécié les films Argo ou Zero Dark Thirty. Pour occuper son temps, il a régulièrement participé à des conférences, des concerts, des débats, des meetings en vidéoconférence. Depuis l'ambassade équatorienne, il a, par ailleurs, lancé un parti politique en 2012, le WikiLeaks Party, et a animé une série d'émissions de débats, «The Julian Assange Show», sur la chaîne Russia Today, relève France Info.
Julian Assange a également reçu beaucoup de monde: Éric Cantona, l'ancien footballeur, avec qui il a testé le tapis de course que lui a offert Ken Loach; le philosophe slovène Slavov Zizek et l'économiste grec Yanis Varoufakis avec qui il a un temps songé à former un think-tank; la chanteuse M.I.A ou Lady Gaga; Yoko Ono et son fils, le chanteur Graham Nash, les acteurs Pamela Anderson, Peters Sarsgaard, John Cusack ou Maggie Gyllenhaal; le philosophe Noam Chomsky ou encore Vivienne Westwood qui, selon The Telegraph, viendrait boire le thé tous les premiers jeudi du mois.
#Assange #Cantona #counterintelligenceworldcup @wikileaks pic.twitter.com/58T5kQbiCp
— romain gavras (@ROMAIN_GAVRAS) 12 juillet 2014
Que ce soit le dernier Noël que tu passes ici
Un journaliste argentin en décembre 2015
Un avenir incertain
Au cours de ses quatre mois d'isolement forcé, Julian Assange a également reçu plusieurs journalistes dans les locaux de l'ambassade équatorienne. Jean-Marc Manach, journaliste d'investigation et spécialiste des questions de surveillance et de vie privée, s'y est rendu en personne, en 2012, dans le cadre d'un documentaire écrit avec Julien Goetz. Il raconte:
«Étant donné que j'avais déjà travaillé avec WikiLeaks par le passé, je savais comment entrer en contact avec eux. J'ai donc utilisé notre canal de communication pour leur expliquer que je souhaitais interviewer Julian [Assange]. J'ai dû attendre plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous avec lui, à Londres.»
Le jour venu, il s'est rendu directement devant les portiques de l'ambassade d'Équateur, en compagnie de son équipe de tournage et le réalisateur du film.
«Quand tu arrives à l'ambassade, il y a des flics un peu partout. La police ne peut pas m'interdire d'entrer à l'intérieur, donc je rentre. On me demande mes papiers afin de savoir qui je suis. Puisque le rendez-vous était prévu, nous entrons. Julian est arrivé en retard. Il nous avait accordé trente minutes d'interview, mais il est arrivé énervé et nous accordé que vingt minutes dans une bibliothèque/salon de l'ambassade. Mais, au final, l'entretien a duré près d'une heure et quart. On a dû lui demander nous-même de partir car, sinon, on allait rater notre train.»
Le 24 décembre 2015, à l'occasion du réveillon de Noël, Julian Assange avait reçu la visite de quelques-uns de ses proches à Londres. L'une des invitées avait porté un toast: «Que ce soit le dernier Noël que tu passes ici», rapportait un journaliste du quotidien argentin Pagina/12, lui-même présent ce jour-là. Pour le réveillon de Noël 2016, nul ne sait où se trouvera Julian Assange. À vrai dire, hormis une audition du journaliste par la justice suédoise fixée le 14 novembre 2016 à Londres, nul ne sait vraiment de quoi l'avenir de Julian Assange sera fait.