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Vous croyez qu'on avance sur l'environnement? Détrompez-vous

Temps de lecture : 8 min

La plaie du climato-scepticisme touche les hommes et femmes politiques les plus médiatisés du monde. Et les accords sur l'environnement ne compensent pas la terrible situation décrite par les scientifiques.

Après l'ouragan Matthew, le 21 octobre 2016
Valentin Sanz / AFP
Après l'ouragan Matthew, le 21 octobre 2016 Valentin Sanz / AFP

L’accord de Paris doit être mis en œuvre dès le 4 novembre, un accord «historique» sur les gaz HFC a été signé: ceux qui se préoccupent de l’évolution du climat devraient se réjouir. Mais ce n'est malheureusement pas le cas de certains des leaders les plus médiatisés dans le monde

1.Nicolas Sarkozy

L’ancien Président de la République et candidat à un nouveau mandat serait-il devenu climato-sceptique, comme certaines de ces déclarations récentes pouvaient déjà le laisser croire? A cette question posée par un auditeur au cours du 7-9 de France Inter le 18 octobre, Nicolas Sarkozy répond par la négative. Et il profite de la question pour préciser son propos.

Premier point: l’homme n’est pas le seul responsable du réchauffement climatique. Deuxième point: «la planète, c’est 4,5 milliards d’années. Depuis 4,5 milliards d’années, nous n’avons connu que des dérèglements climatiques». Un exemple: les fossiles de coquillages et même les squelettes de requins qui prouvent que «le Sahara était il y a des milliers d’années une mer ou en tout cas une zone humide». Troisième point: la population du globe va passer en un siècle de 7 milliards à 11 milliards d’êtres humains. Et c’est cela à ses yeux l’essentiel: «Nous avons déjà connu des chocs climatiques, on n’a jamais connu un tel choc démographique».

Le mythe de la pensée unique

Les arguments de Nicolas Sarkozy sont typiquement ceux des climato-sceptiques

Or il se trouve que ces arguments sont typiquement ceux des climato-sceptiques. Si certains d’entre eux, les moins subtils, vont jusqu’à nier toute responsabilité de l’homme dans le changement climatique, l’immense majorité d’entre eux prennent prétexte de la variation du climat à travers les époques pour minimiser cette responsabilité et affirmer qu’on ne peut l’établir de façon certaine. Ce que font les scientifiques, avec beaucoup d’humilité et en prenant beaucoup de précautions, c’est précisément d’essayer de faire la part des choses et de montrer comment l’homme modifie le cours d’évolutions naturelles qu’il n’est nullement question de nier. En déclarant qu’il «ne s’incline pas devant une pensée unique», en mettant en accusation le système médiatique qui serait «devenu à ce point caricatural qu’il n’y a que la caricature qui peut passer», Nicolas Sarkozy présente en fait les travaux scientifiques du GIEC comme une forme de pensée unique et une caricature. Et il parle très clairement comme un climato-sceptique.

L’argument du Sahara ne pèse pas lourd. Il est vrai que cette partie du continent africain a été à plusieurs reprises recouverte par une mer, qui s’est retirée définitivement il y a quelque 65 millions d’années. Il est vrai aussi que le Sahara, même une fois sorti des eaux, n’a pas toujours été un désert. Il a connu des périodes humides, la dernière s’étant terminée il y a environ 4.000 ans. Et alors? Aucun spécialiste ne conteste ces mouvements de long terme. En revanche, la communauté scientifique dans sa très grande majorité s’inquiète des changements actuels, qui se font à une rapidité n’ayant rien à voir avec les grands cycles que la terre a connus, et ces scientifiques ont d’autant plus de raisons d’être inquiets qu’il est prouvé depuis longtemps déjà que les gaz rejetés par l’homme dans l’atmosphère exercent un effet de serre et jouent un rôle majeur dans ces changements.

Quant à l’argument démographique, il ne pèse pas plus lourd. Le choc attendu ne doit pas conduire à faire passer au deuxième plan les actions contre le changement climatique, bien au contraire: il y aura un vrai problème si les 11 milliards d’êtres humains que pourrait compter la terre en 2.100 selon les prévisions actuelles émettaient chacun autant de gaz à effet de serre qu’un Américain aujourd’hui. Et plus on tarde à agir, plus l’effort à accomplir ensuite devra être violent. En fait, l’argument démographique devrait inciter à une action rapide si l’on veut que ces milliards d’êtres humains supplémentaires puissent eux aussi se nourrir, se loger, se chauffer et se déplacer dans des conditions écologiquement supportables.

2.Donald Trump

Le plus grave est que Nicolas Sarkozy n’est pas le seul «négationniste climatique», comme diraient les économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg. D’autres responsables politiques, qui sont au pouvoir ou aspirent à l’être, tiennent le même discours. Donald Trump va plus loin que les autres, en parlant du changement climatique comme d’une invention, un canular, et en promettant de relancer l’usage du charbon, mais il est simplement plus provocateur; la majorité des chefs d’Etat ou de gouvernement sont plus discrets, mais tout aussi sensibles aux arguments des producteurs d’énergies fossiles.

Ce pessimisme peut paraître exagéré alors que les bonnes nouvelles affluent. L’accord de Paris a été ratifié beaucoup plus vite qu’on ne pouvait le penser par un nombre suffisamment élevé de pays pour que sa mise en œuvre puisse commencer. Il fallait 55 pays membres de la convention sur le climat représentant au moins 55% des émissions mondiales; le chiffre de 81 pays est atteint et le pourcentage d’émissions, selon les dernières informations publiées, est proche de 60%. C’est incontestablement un grand succès diplomatique pour Laurent Fabius, qui a présidé la COP 21 et pour Ségolène Royal, qui lui a succédé. L’accord de Paris va pouvoir entrer en vigueur le 4 novembre et à la COP 22, qui se tiendra à Marrakech du 7 au 18 novembre, les représentants de ces 81 pays (sans doute plus d’ici là) vont pouvoir adopter les premières mesures d’application.

Un accord «historique»

Ensuite, le 15 octobre, au Rwanda, les 197 pays parties prenantes au protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone ont signé un accord «historique» sur l’élimination des HFC (hydrofluorocarbures) utilisés dans les climatiseurs, les réfrigérateurs et les aérosols, qui ont un effet de serre particulièrement redoutable. Cet accord est présenté comme pouvant éviter 0,5°C de réchauffement d’ici à la fin du siècle.

Enfin, les 100 milliards de dollars de financement promis aux pays en développement à Copenhague en 2009 et confirmés lors de la COP 21 pourraient être au rendez-vous en 2020, selon une étude remise par l’OCDE à Ségolène Royal et à Salaheddine Mezouar, président de la COP 22. En tenant compte de financements publics évalués à 67 milliards et d’une estimation évoluant dans une fourchette très large pour les financements privés, Ségolène Royal estime qu’un montant supérieur à 90 milliards pourrait être atteint. On se rapproche de l’objectif.

Des bonnes nouvelles à relativiser

Pourtant, toutes ces bonnes nouvelles ne suffisent pas à rassurer les spécialistes. D’abord, les dernières informations en provenance des météorologues sont inquiétantes. Les scientifiques observent que la hausse des températures est rapide et que le cap des deux degrés de hausse par rapport à l’ère préindustrielle pourrait être franchi dès 2050. Ensuite le succès de la COP 21 doit être relativisé. Les pays ont signé et ratifient l’accord de Paris les uns après les autres parce qu’ils ont compris que le sujet est sensible dans l’opinion publique, mais ils sont beaucoup moins pressés de prendre les mesures concrètes qui s’imposeraient.

L’Europe n’a réussi à ratifier l’accord qu’en faisant provisoirement l’impasse sur la répartition des efforts à fournir entre Etats-membres. En France, Manuel Valls a décidé le 20 octobre de ne pas imposer un prix plancher de la tonne de CO2 pour la production d’électricité en France: cette mesure, prise pour ne pas mécontenter les personnel des centrales au charbon qui auraient été ainsi assez rapidement condamnées à la fermeture et le syndicat CGT des dockers qui déchargent le charbon importé, montre quelle importance le gouvernement attache en réalité au problème du climat; et on voit mal comment, après cela, la France pourrait faire la leçon à l’Allemagne, à la Pologne et à tous les pays d’Europe centrale encore trop dépendants du charbon.

Les Etats-Unis ont signé et ratifié parce que Barack Obama n’a pas voulu rester en retrait de la Chine, mais la réduction des émissions de gaz à effet de serre y reste problématique. De passage à Paris (il est conseiller scientifique de la Chaire Economie du climat, fondée par Christian de Perthuis), Jonathan Wiener, professeur en droit de l’environnement à l’Université de Duke (Caroline du Nord), expliquait récemment les difficultés juridiques que rencontre l’application du Clean Power Plan lancé en août 2015 et le contexte dans lequel est intervenue la décision de suspension prise par la Cour Suprême en février dernier; c’est terrifiant. Et Jonathan Wiener n’exclut pas la possibilité pour les Etats-Unis de sortir de l’accord de Paris en cas de victoire de Donald Trump. Et ce ne serait pas aussi compliqué qu’on pouvait le penser jusqu’ici; il serait possible, par exemple, de sortant assez vite de la Convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques, dont l’accord de Paris découle.

Pas de sanctions, pas de prix du carbone incitatif

Et l’on pourrait multiplier les exemples: le Canada, dont le nouveau Premier ministre est plus sensible à ces questions que son prédécesseur, mais ne fait pour l’instant pas grand-chose pour freiner l’exploitation des schistes bitumineux; l’Inde, qui ratifie l’accord de Paris, mais qui aura beaucoup de mal à se passer du charbon, etc. Rappelons au passage que, contrairement à ce qui est dit trop souvent, les pays ont proposé des programmes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les INDC (Intended nationally determined contributions), mais n’ont pas réellement pris d’engagements contraignants: l’accord ne comprend aucun système de sanctions en cas d’inexécution de ces contributions. Et, surtout, on n’avance pas vraiment sur le prix du carbone, que ce soit par le biais de taxes carbone ou de mécanismes de marché, les marchés existants donnant des prix trop bas pour être vraiment incitatifs.

Quant à l’accord sur les HFC, il est important, certes, mais le qualifier d’historique comme l’a fait pratiquement toute la presse en reprenant les termes du communiqué officiel, c’est franchement exagéré. Pour au moins trois raisons: d’abord il existe des substituts connus à ces produits, ensuite les coûts de ce changement de technologies sont importants (ce n’est pas pour rien qu’il a fallu sept ans pour négocier cet accord), mais sans commune avec la lutte contre les rejets de CO2 qui implique non pas une «transition» énergétique, selon la formule généralement employée, surtout dans les textes officiels, mais un véritable bouleversement qui touche tous les secteurs (transport, chauffage, production d’électricité, etc.) et met en cause des rentes de situation dans les énergies fossiles.

Enfin le chiffrage des aides aux pays en développement est sujet à discussion. Cela avait été le cas l’an passé où les estimations de l’OCDE avaient été vivement contestées, car jugées trop optimistes. Surtout, il semble acquis que des financements privés sont prêts à aller vers l’atténuation du changement climatique. Ce peut être une bonne opération que de prendre position dans les technologies non polluantes qui sont appelées à un bel avenir. En revanche, les capitaux sont moins nombreux à aller vers l’adaptation au changement climatique, qui consiste par exemple à construire des digues pour protéger un Etat insulaire; là, en l’absence de retour sur investissement, les pays ne peuvent guère compter que sur les financements publics.

Bref, on aimerait pouvoir se réjouir du succès remporté par l’accord de Paris, mais, pour toutes ces raisons, il semble plus raisonnable d’attendre encore quelques années avant de crier victoire. L’obstacle le plus redoutable n’est pas d’ailleurs le climato-scepticisme en tant que théorie, mais les intérêts qu’il dissimule et les rentes de situation qu’il protège.

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