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Jill Stein, l'autre candidate à l'élection présidentielle

Temps de lecture : 17 min

La candidate écologiste à la présidentielle américaine détaille ses options en matière de politique étrangère et analyse le duel entre Hillary Clinton et Donald Trump.

La candidate verte Jill Stein lors d'un meeting à New York, le 12 octobre 2016. JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.
La candidate verte Jill Stein lors d'un meeting à New York, le 12 octobre 2016. JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Jill Stein, la candidate écologiste à la présidentielle américaine, a récemment déclaré qu’une présidence d’Hillary Clinton pourrait conduire à une guerre avec la Russie. Elle s’est entretenue de cette vision avec Mike Pesca et évoque la manière dont, en tant que présidente, elle aborderait la crise au Proche-Orient. L'interview a été légèrement modifiée et condensée pour plus de clarté.

Mike Pesca: Quand des candidats se présentent à l’élection présidentielle, ils le font généralement avec tout un assortiment de propositions et vous ne dérogez pas à la règle. Mais il leur arrive aussi de mettre sur la table des initiatives ou des idées nouvelles qui permettraient de résoudre des problèmes. Est-ce votre cas? Avez-vous dans votre besace une idée à laquelle les deux grands partis n’ont pas songé?

Jill Stein: Oh là là. Je pourrais dire ça de presque toutes nos idées, comme le New Deal vert, qui est un programme d’emplois d’urgence visant à résoudre l’urgence du changement climatique. C’est un peu un sujet central, absolument essentiel, si l’on veut survivre. Pourtant, on ne voit aucun des deux candidats à la présidentielle nous proposer quelque chose de concret à ce sujet, alors qu’il faut changer la donne.

On ne voit rien se profiler non plus sur ces guerres qui ne cessent de s’étendre et sur la crise d’une politique étrangère américaine fondée sur les interventions militaires et les changements de régime. C’est un désastre total, un désastre qui grève considérablement notre budget: 54% du budget discrétionnaire est affecté au département de la Défense, qui est de fait un département de l’Attaque et consomme environ la moitié de vos impôts sur le revenu. Et avec quels effets?

D’accord. Donc votre politique, c'est d’être contre la guerre. Mais vous allez retirer les troupes d’Irak d’une manière qui, par exemple, évitera un effondrement du pays? Obama a promis un retrait des troupes, a tenté de le faire et il s’y est de nouveau retrouvé englué.

Et bien, c’est vrai. On n’aurait pas dû y aller, de toutes façons.

Mais ce n’est pas sa faute. Et pas la vôtre, si vous devenez présidente.

Oui, mais il y a eu aussi l’intervention en Afghanistan, qui est de son fait. Nous bombardons sept pays actuellement. Hier, nous avons tiré des missiles sur le Yémen. Les ingérences américaines semblent sans limite. Le militarisme est une puissance terrible, à l’œuvre sur toute la planète et quand votre doigt presse une énorme gâchette, il est difficile de ne pas appuyer dessus. Et c’est ce que nous faisons un peu partout. Voilà la solution, qui n’a rien de sorcier: il faut établir un embargo sur les armes au Proche-Orient, et nous devons geler les comptes en banque des pays qui continuent de financer les extrémistes terroristes à travers le monde. Hillary Clinton elle-même pointe du doigt les Saoudiens comme les principaux bailleurs de fonds du terrorisme.

Et au Yémen, alors? Devrions-nous prendre position au Yémen?

Nous avons déjà pris position au Yémen. Et oui, nous ne devrions pas prendre parti là-bas. Nous participons aux crimes de guerre commis par l’Arabie Saoudite, qui utilise des bombes que nous fabriquons. Et nous avons fourni pour 100 millions de dollars d’armement aux Saoudiens au cours de la décennie écoulée –des Saoudiens qui commettent des crimes de guerres et violent les droits de l’homme de manière massive. C’est contre nos propres lois. La loi Leahy requiert que nous ne vendions pas d’armes aux pays qui violent les droits de l’homme. Aussi, conformément à nos lois, nous ne devrions pas nous mêler de ce qui se passe au Yémen!

Que se passera-t-il si les Houthis l’emportent au Yémen? Où si les Houthis transforment le Yémen en base arrière d’organisations terroristes?

Bon. Quel profit tirons-nous de ce genre d’actions? Qu’avons-nous récolté? D’où venaient les Talibans, par exemple? D’un cycle de violence qui remonte jusqu’à notre intervention contre l’Union soviétique en Afghanistan, où l’Amérique, la CIA et l’Arabie Saoudite sont arrivés avec cette grande et belle idée que pour vaincre les Soviétiques, il fallait créer cette force religieuse extrémiste qui allait mettre l’URSS par terre. Et c’est pour cela que nous avons formé Oussama Ben Laden, que nous avons financé et armé son nouveau groupe extrémiste, dont est né le mouvement des Talibans. Et les Talibans, aujourd’hui, n’ont jamais été aussi puissants.

Mais ils sont moins dangereux pour les États-Unis.

Ce que nous voyons clairement, pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire, c’est une suite de cycles de violence. Et elle va des moudjahidines, soutenus, financés et armés par nos soins, aux Talibans et jusqu’à al-Qaida. Et du combat contre al-Qaida, nous avons généré Daech. Et nous allons combattre Daech et donner naissance à une nouvelle incarnation de l’extrémisme terroriste. Il est grand temps de mettre un terme à ce cycle de violence. Qu’avons-nous gagné? Des milliers de milliards de dollars dépensés, selon une étude de Harvard – six mille milliards de dollars en Afghanistan et en Irak, auxquels ils faut ajouter le coût pour soigner nos soldats blessés, un coût énorme, absolument justifié et sans doute même insuffisant par rapport à ce qu’ils méritent. Mais on parle de milliers de milliards de dollars. Distribuez cette somme de six mille milliards de dollars aux États-Unis: c’est 50.000 dollars par foyer américain! Et nous avons gagné quoi? Des États déliquescents, des réfugiés par centaines de milliers et pire encore, des menaces terroristes. Il faut changer de politique.

Si les États-Unis se désengagent au Yémen et n’arment pas les Kurdes, comment va répondre Daech?

Ce qui compte, c’est que Daech doit être privé de tout ce qui lui permet de prospérer. Voilà pourquoi nous devons commencer un embargo sur les armes, pourquoi nous devons couper les financements qui proviennent de nos alliés, en particulier. Voilà pourquoi nous devons convaincre la Turquie, notre alliée,en théorie, de fermer ses frontières aux mouvements de milices djihadistes à travers sa frontière, qui renforcent Daech.

Quels sont nos moyens d’action?

Ils sont censés faire partie de l’Otan. Il faut essayer. Il faut bien commencer quelque part. Et la voie que nous avons choisi d’emprunter, pour l’instant, c’est une voie qui dit «On va tous les descendre. Plus de bombes, plus de balles». Le résultat? Une véritable catastrophe. Il faut vraiment que nous nous consacrions à une autre option, en accord avec notre futur.

Vous ne questionnez pas notre appartenance à l’Otan?

Il faudrait certainement en revoir les termes, c’est évident.

Et donc, quels sont nos moyens d’action en Turquie?

L’Otan est une question plus large, et qui va nécessiter une réflexion et des discussions sur le long terme. Andrew Bacevich, un historien militaire, suggère que nous fixions une date limite (je crois qu’il propose 2025) pour transformer l’Otan en une organisation de défense européenne qui ne nous concerne plus. Nous ne la financerions plus et nous ne l’utiliserions plus pour contourner la nécessaire approbation de notre politique extérieure par le Congrès. Nous devons cesser d’agir sur le plan international par le biais de l’Otan.

«Vous y avez cru, à l’uranium enrichi?»

Ne pensez-vous pas que l’Otan nous donne des moyens d’agir en Europe, particulièrement face à la Russie ?

Le conflit avec la Russie va dans les deux sens. Rappelons-le: la semaine dernière, Gorbatchev a déclaré que nous étions plus près d’une guerre nucléaire avec la Russie que nous l’avons jamais été. Voilà une situation très dangereuse.

Et la crise des missiles de Cuba, alors?

Aujourd’hui, nous avons une sorte de crise des missiles de Cuba à l’envers, nous encerclons la Russie avec des missiles et des armes nucléaires et des troupes de l’Otan. Quel serait notre sentiment si…

Il y a un traité nucléaire en cours de négociation, et la Russie a déclaré récemment qu’elle ne souhaitait pas le signer.

Il ne s’agit pas d’un traité nucléaire. C’est un traité portant sur les déchets nucléaires. Le vrai traité nucléaire, dont nous avons décidé de nous retirer, est un traité anti-missiles balistiques. C’est de cela que l’administration Bush a décidé de se retirer, d’un système de contrôle des armes et la Russie –accordons lui ce crédit– a tenté de relancer le processus de contrôle des armes nucléaires et nous a invité à retourner à la table des négociations et nous n’avons pas bougé. Nous avons également promis à Gorbatchev que nous ne ferions pas un pas de plus vers l’Est. Souvenez-vous que le Pacte de Varsovie était le contrepoids de l’Otan. Le Pacte de Varsovie a été dissous et qu’a fait l’Otan? L’Otan s’est étendu vers l’Est. Nous avions dit que nous ne ferions pas un pas de plus vers l’Est. Nous l’avons pourtant fait.

Les membres du Pacte de Varsovie étaient sous le contrôle des Soviétiques, ils étaient des États vassaux.

Cette menace est celle qui justifiait l’existence de l’Otan, n’est-ce pas? Elle a disparu, mais l’Otan n’a fait que s’accroître. Il est vraiment important de faire un vrai pas de côté. La situation était très compliquée, très embrouillée, mais les Américains ont eux aussi leur part dans cette situation compliquée. Alors, il n’y a pas les gentils avec un chapeau blanc et les méchants avec un chapeau noir.

Ça n’est pas si simple.

Ça n’est pas si simple, en effet. Donc ne faisons pas comme si l’Ukraine n’avait pas des responsabilité dans ce qui se passe avec la Russie, comme si elle n’était qu’une victime. Regardez la Crimée, il y a eu un vote et la Crimée a choisi de faire sécession de cette nouvelle Ukraine qui venait d’être le théâtre d’un coup d’État.

Et que dites-vous de l’armement fourni par la Russie aux rebelles ukrainiens, qui a permis d’abattre un avion de la Malaysian Arlines?

Cela reste à prouver. Les choses ne sont pas encore très claires.

Des informations viennent pourtant de le confirmer.

C’est vrai. Et des informations confirmaient la présence d’uranium enrichi en Irak avant l’invasion, des informations confirmaient la présente d’armes de destruction massive en Irak.

Vous ne croyez donc pas les informations?

Vous y avez cru, à l’uranium enrichi? Vous y avez cru, aux armes de destruction massive? Il faut se poser des questions –nombre d’entre elles restent ouvertes et nous sommes au bord d’une guerre nucléaire avec la Russie.

Je pense que la plupart des gens pensent que Poutine est une menace et une autre question qui demeure ouverte est la perception que vous avez de lui. Le considérez-vous comme un autocrate?

Absolument. Poutine est un autocrate.

Et il fait assassiner ses adversaires.

Poutine n’est certainement pas un défenseur des droits de l’homme. Le bilan de Poutine n’est pas bon sur le plan des droits de l’homme, de la liberté de la presse, de l’expression politique. Et il semble bien qu’en effet, il fasse tuer ses adversaires.

Je ne voudrais pas paraître le défendre, mais nous devons malgré tout faire preuve de prudence avant de plonger tête la première dans la catastrophe nucléaire qui se profile. Hillary Clinton voudrait se lancer dans une guerre aérienne contre la Russie. Soyons clairs: c’est exactement ce que signifie une no-fly zone. C’est l’équivalent d’une déclaration de guerre à la Russie. Et dans le climat actuel, d’où vient la rupture? Du fait que la Russie est accusée de s’ingérer dans notre élection présidentielle. Vous savez ce que le département de la Sécurité intérieure a déclaré à ce sujet? Ce qu’il dit, c’est qu'«il n’existe aucune preuve que le gouvernement russe soit impliqué dans cette affaire». Il n’existe aucune preuve. Ils disent juste que de telles pratiques sont typiques des méthodes et des objectifs russes. Et vous savez quoi? Il y a dix ou quinze ans, la Russie avait proposé que l’on signe un traité international sur la cyberguerre. C’est la seule manière de s’en sortir, parce que nous aussi nous menons une cyberguerre. Mais il n’existe aucune preuve que la Russie tente d’interférer dans notre élection. Les Démocrates sont clairement très embarrassés par ces révélations et ils ont donc lancé un écran de fumée pour tenter de nous duper. Mais cet écran de fumée nous mène tout droit vers une guerre avec la Russie, avec le responsable de la défense des États-Unis, Ashton Carter, qui se met à parler de guerre nucléaire. On vient d’effectuer de faux largages de bombes nucléaires dans le Nevada. C’est dangereux: on ne fait même plus semblant. Alors, il faut respirer un bon coup, faire machine arrière et cesser de battre le rappel. Dans le contexte actuel, Hillary Clinton a l’imprudence de parler d’une guerre aérienne avec la Russie. Et une telle guerre pourrait bien déraper et se finir en guerre nucléaire, ça nous pend au nez.

Les choses vont-elles aussi mal qu’en 1962, vraiment?

Est-ce que la Russie à des troupes à nos frontières? Est-ce qu’elle se lance dans des exercices militaires dans les Caraïbes? Non. Mais nous, c’est ce que nous faisons actuellement avec les Russes. De notre point de vue, les choses ne semblent pas très graves, mais du point de vue russe, ils se sentent encerclés, cernés par les missiles. Et ça fait des années que ça dure. Maintenant on se lance dans des wargames et des exercices et les négociations sont au point mort. Et au lieu de ça, les deux camps déploient leurs missiles. Pour moi, c’est la crise des missiles de Cuba à l’envers, et sous stéroïdes.

«Hillary Clinton constitue une véritable menace»

Pourquoi considérez-vous qu’une guerre nucléaire est plus probable avec Clinton qu’avec Trump comme président?

Si vous avez regardé le deuxième débat, vous avez peut-être entendu Trump déclarer qu’il souhaitait collaborer avec Poutine?

Cela fait longtemps qu’il encense Poutine.

C’est vrai, pour le pire et le meilleur.

Plutôt pour le pire, non?

À maints égards, oui.

Et peut-être pour des raisons de business personnel?

Absolument. Mais il a des intérêts en la matière sur toute la surface du globe. Et peut-être peut-il être un président de la paix parce qu’il a besoin de la paix dans le monde pour ses affaires.

Oh, sérieusement... [rires]

Je considère malgré tout la menace nucléaire comme une menace sérieuse, comme un des dangers les plus clairs et les plus immédiats à nous menacer. Oui, le réchauffement climatique est terrible, mais ses effets ne sont pas pour demain.

Mais pourquoi cette guerre serait plus probable avec Clinton qu’avec Trump? La question a moins à voir avec Poutine qu’avec le tempérament volcanique de Trump, non?

Disons-le ainsi: la menace nucléaire la plus probable actuellement, c’est avec la Russie. Cela ne fait aucun doute. Quand Mikhaïl Gorbatchev, qui a dirigé l’URSS durant la Guerre froide, vous dit que la menace d’une guerre nucléaire n’a jamais été aussi grande, je crois qu’il faut prendre cette menace au sérieux. Surtout lorsque l’on entend Hillary Clinton battre le rappel contre la Russie, en disant pour l’essentiel que si elle est élue, elle déclarera la guerre à la Russie –car l’instauration d’une no-fly zone en Syrie en reviendra à ça: à abattre des avions russes.

Pas si les Russes y adhèrent.

Mais notre no-fly zone est en contradiction avec le droit international. Si vous regardez le droit international, l’actuel gouvernement reconnu de Syrie –quoi qu’on pense de lui– a demandé à la Russie d’intervenir dans sa guerre civile. C’est un désastre horrible et la solution ne sera pas militaire.

D’accord, mais il existe des moyens de faire respecter une no-fly zone qui ne mèneraient pas inévitablement à un conflit…

Dire cela, c’est faire comme si la Russie n’avait pas déjà des avions qui volent dans le ciel syrien, comme si elle n’était pas engagée aux côtés du gouvernement Assad. Nous mêler de cela et dire «OK les gars, on prend le contrôle maintenant» est une violation du droit international. Pour le meilleur comme pour le pire, le droit international octroie une certaine reconnaissance aux gouvernements existants. La Russie respecte donc le droit international. En imposant unilatéralement une no-fly zone, nous violerions le droit international et déclarerions de fait une guerre à la Russie qui y fait voler des avions.

Laissez-moi dire qu’Hillary Clinton constitue, au moment où je vous parle, une véritable menace, au vu du contexte dans lequel le risque de guerre nucléaire est très, très élevé. Elle a déclaré il y a peu qu’elle allait donc, de fait, ouvrir un front avec la Russie. C’est cela qui, en ce moment, constitue le pire des dangers et de loin le plus immédiat. Cela ne veut pas dire pour autant que nous serions plus en sécurité avec Donald Trump. Ce que je veux dire, c’est que nous avons plus de choix que les deux choix mortels qui nous sont constamment présentés. Ne devrions-nous pas commencer par nous préoccuper de la démocratie?

Êtes-vous prête à désarmer unilatéralement, si vous étiez présidente? Ou il faudrait qu’il y ait un traité au préalable?

Je n’en sais rien. Ce que je suis tentée de dire, c’est qu’il existe de nombreuses manières d’engager le dialogue avec les Russes sur ce point. En fait, cela fait des dizaines d’années qu’ils tentent d’engager le dialogue avec nous, et c’est nous qui fermons la porte aux progrès sur le désarmement nucléaire. Alors, je crois qu’il faut discuter sérieusement de ces questions avec les Russes. Nous n’avons pas a offrir des négociations unilatérales. Je doute même de la pertinence d’une telle question à l’heure actuelle; rien ne nous y oblige. Il faudrait juste répondre à l’ouverture qui est sur la table, depuis des décennies.

Quelles seraient les premières armes nucléaires à disparaître sous une administration Stein?

Oh là là, je n’en sais rien. Je pense que c’est une question technique qu’on pourra traiter plus tard. A l’heure actuelle, le point central du débat n’est pas de savoir quelles seraient les premières armes nucléaires qui devraient disparaître, mais d’établir un dialogue avec les Russes qui nous permettrait d’avancer dans la même direction.

«Les grandes entreprises privées ont le dernier mot dans la politique des Démocrates»

Est-ce que l’idée qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre, est un principe auquel vous pourriez adhérer?

Hélas, cette vision des choses a déjà montré ses limites. La philosophie selon laquelle il faudrait voter en fonction de vos peurs et pas de vos valeurs a déjà démontré que les peurs l’emportent quand même.

Mais les peurs sont parfois légitimes.

D’accord, mais regardez le résultat. Elles ne sont pas légitimes si elles se retournent contre vous. Toutes les raisons pour lesquelles on vous a dit de voter pour le moindre mal parce que vous ne vouliez pas que les guerres s’étendent, que le climat se dérègle encore, que nos emplois partent à l’étranger, les attaques contre les migrants, contre la liberté de la presse… On y a eu droit, et encore plus fort parce que nous, le peuple, nous avons permis que nos voix soient réduites au silence et accepté qu’un moindre mal institutionnel parle à notre place. Le moindre mal a pourtant le même programme. Et maintenant, nous constatons dans cette élection une sorte de fusion des partis républicain et démocrate. Le parti républicain s’effondre, certains de ses représentants rejoignent Hillary Clinton. Nous nous retrouvons avec un parti démo-républicain. Mais en novembre, nous n’allons pas juste décider de ce qui se passe maintenant. Nous devons penser au futur, nous sommes au bord du précipice et cette stratégie du moindre mal est une course vers les profondeurs, vers un plus grand mal. Nous approchons de l’apocalypse. Le temps presse, particulièrement sur le climat, mais aussi sur les armes nucléaires, et notre situation est très précaire.

Le moindre mal ne va pas nous sauver. La solution viendra de nous. L’idée du moindre mal n’a de sens que si le moindre mal produit du moindre mal, ce qui n’est certainement pas le cas: regardez l’histoire récente! Et elle ne fait sens aussi que s’il n’y a pas d’autre option. Mais il y en a une, et mon problème, c’est que cet argument du moindre mal sert précisément à dissimuler cette autre option. C’est pourtant ce que le peuple américain réclame. La démocratie, ce n’est pas seulement une question de «Qui détestons-nous le plus?» ou bien «Qui craignons nous le plus?». La démocratie a besoin de morale, d’une vision, d’un programme auquel on puisse souscrire. Et il s’avère que ce que nous voulons pourrait l’emporter. Un autre point, c’est qu’un système de vote préférentiel pourrait résoudre ce problème en un clin d’œil.

Cela voudrait dire que chaque vote pourrait compter.

Tout à fait. C’est la fin du vote qui ne sert à rien. [Aux États-Unis, en vertu de la règle dite du winner-takes-all, dans chaque État, le candidat sorti vainqueur remporte tous les grands électeurs, qui servent ensuite à désigner le vainqueur de l’élection, ndt] Et ce système est déjà utilisé un peu partout. On l’utilise dans le Maine pour les élections à des postes locaux. Pourquoi ne pas l’adopter immédiatement, par mesure d’urgence? Cette législature pourrait changer la manière dont les votes sont décomptés, reprogrammer les machines à voter.

Oui, mais avec le collège électoral, ce serait inconstitutionnel au niveau présidentiel.

Non, c’est faux. Nous parlons de la manière dont est formé le collège électoral: voilà comment vous allez compter les voix dans votre État pour constituer votre collège électoral. Si votre premier choix perd, votre vote est automatiquement réattribué à votre second choix.

On pourrait faire ça. Le Nebraska et le Maine le font déjà. Ça serait constitutionnel.

Voilà. Et même si, dans votre État, c’est toujours le winner takes all, le vainqueur serait décompté en vertu d’un vote hiérarchisé. Sauf que jamais les Démocrates ne laisseront passer un tel changement. Nous avons proposé cette loi dans le Massachusetts, mon État, la première fois que je me suis présenté contre Mitt Romney en 2002 en tant que candidate verte. Mais ils n’ont jamais voulu qu’il passe en commission, alors qu’ils pouvaient le faire voter. Et pourquoi ne l’ont-ils pas fait? Parce qu’ils préfèrent jouer sur la peur. Ils jouent sur la peur pour vous intimider quand vous déposez votre bulletin dans l’urne, parce qu’ils ne peuvent pas obtenir votre adhésion autrement, parce que fondamentalement, ce sont les grandes entreprises privées qui ont le dernier mot dans la politique du parti démocrate.

N’importe quel parti qui domine un État serait contre une telle loi.

Quel que soit le parti qui nous tient par la gorge, il ne la laissera effectivement pas passer. Rien que ça devrait vous persuader de ne pas voter pour eux, parce qu’ils ne sont pas de votre côté.

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