Monde / Économie

Opel: le camouflet de GM à l'Allemagne

Temps de lecture : 6 min

Ragaillardi par le redémarrage de l'automobile américaine, General Motors (GM) oublie soudain les engagements de son actionnaire et son statut de groupe nationalisé.

Chevrolet à un salon General Motors
Chevrolet à un salon General Motors

Le secteur automobile reste propice à tous les emballements. A peine les ventes augmentent-elles aux Etats-Unis que l'on parle de rédemption! C'est oublier que si celles de Ford ont progressé de 4% et celles de GM de 3,5% en octobre 2009, c'est par rapport à un mois d'octobre 2008 qui avait connu une chute ahurissante des ventes de 32%! En plus, cette légère reprise des deux groupes est surtout réalisée au détriment de Chrysler, passé sous la coupe de Fiat, qui a encore connu le mois dernier un recul de 30% de ses ventes par rapport au même mois de l'an dernier. Certes, la reprise est au bout du tunnel, comme aurait pu le prédire M. de la Palice. La vraie question est d'en connaître la longueur. Et l'automobile américaine, l'un des meilleurs indicateurs pour sonder l'économie outre-Atlantique, n'en est pas encore sortie: en octobre 2009, les ventes ont été juste au même niveau qu'un an plus tôt!

Ford prêt à solder Volvo

Le bulletin de santé des constructeurs américains est en fait difficile à établir. Ford est, sans conteste, le plus en forme: suite à des restructurations de dette et grâce aux effets de la prime à la casse aux Etats-Unis, il a pu annoncer pour le troisième trimestre de cette année un bénéfice proche du milliard de dollars. Son principal problème réside dans le poids de sa dette (de l'ordre de 27 milliards de dollars) qu'il compte apurer en partie par des ventes d'actifs, à commencer par sa filiale Volvo convoitée par un constructeur chinois. Mais l'américain hésite encore à conclure une opération qui ne devrait lui rapporter que le tiers de ce qu'il avait payé pour acquérir le constructeur suédois, il y a seulement... dix ans.

Chrysler, dont Fiat détient 20% du capital, a pour objectif de rééquilibrer ses comptes dès l'année prochaine. La partenaire italien devrait lui fournir ses propres plateformes pour lancer de nouveaux modèles, plus petits et économes en énergie. Mais le marché n'a pour l'instant pas réagi à ces annonces et reste sur l'échec du redressement avec Daimler.

Le New GM et la retraite d'Europe

Surtout, il y a GM. Lequel? Bonne question. L'ancien General Motors, créé en 1908 à Détroit, qui fut le poumon de l'essor industriel des Etats-Unis, la plus grosse capitalisation boursière du monde et l'un des symboles de l'Amérique conquérante, n'existe plus. Il a déposé son bilan le 1er juin. Un nouveau GM est né en juillet, constructeur nationalisé dont le capital appartient pour 61% au Trésor américain, 17% au syndicat des travailleurs de l'automobile (UAW), 12% aux autorités canadiennes et 10% aux créanciers de l'ancien groupe. Rappelons que, pour que le New GM voie le jour, l'Etat américain s'est engagé à y injecter la somme faramineuse de 60 milliards de dollars. A charge pour lui de préparer son introduction en Bourse dès 2010.

Le New GM (rebaptisé New Government Motors par quelques esprits acerbes) doit aussi réduire son périmètre. Il a prévu non seulement de fermer près d'une usine sur trois sur le territoire américain, mais aussi de se délester de certains actifs, comme certaines productions de niches et ses filiales européennes. Le constructeur de 4x4 hors normes Hummer a été cédé début octobre au chinois Sichuan Tengzhong, Saab et ses berlines haut de gamme est toujours en vente. Et on croyait réglée l'affaire de sa filiale européenne Opel. Le constructeur présent sur tout le continent (sous le nom de Vauxhall en Grande Bretagne) mais surtout en Allemagne, a été l'objet de longs mois de négociations entre le groupe américain, l'Etat allemand et les candidats à la reprise, Berlin se dépensant sans compter pour trouver la solution la moins douloureuse pour un acteur majeur de l'automobile allemande et qui emploie plus de 20.000 salariés outre-Rhin (environ 50 .000 en Europe).

L'automobile, otage du politique

Une solution avait vu le jour avec l'équipementier canadien Magna soutenu par un partenaire financier, la Sherbank russe. Non seulement le gouvernement allemand permettait dans l'urgence à l'activité de se poursuivre grâce à un chèque de 1,5 milliard d'euros, mais il s'engageait à nouveau à hauteur de 4,5 milliards d'euros cet été pour que le scénario du sauvetage puisse se mettre en place. Tout comme le sauvetage de l'automobile américaine avait été une des priorités du président américain Barak Obama pour enregistrer ses premiers succès sur la scène politique, celui d'Opel devenait un enjeu pour la chancelière allemande Angela Merkel avant les élections législatives de la fin septembre 2009.

L'automobile, otage du politique: pour une fois, c'était à sa demande. Et on n'entendit contester aucun patron du secteur lorsque le président américain et la chancelière allemande conclurent un accord politique en mai validant la reprise d'Opel par le tandem Magna-Sherbank, bien que cette façon de procéder se situe aux antipodes des principes d'une économie de marché. En septembre, un accord d'intention prévoyant des modalités de financement était signé avec Magna-Sherbank.

Camouflets en série, de Berlin à Washington

Mais voilà que l'édifice s'écroule. GM (New GM, bien sûr) ne veut plus se séparer d'une filiale qu'il possède depuis 1930, qui détient 9% du marché automobile européen et représente pour lui une vente de voiture sur six dans le monde. Rebondissant sur des déclarations de la Commission européenne (pour qui le soutien de Berlin de 4,5 milliards d'euros devrait pouvoir profiter au sauveur d'Opel, quelle que soit son identité), l'américain revenait sur la vente.

Camouflet pour le gouvernement allemand, qui s'est dépensé en pure perte et qui devrait passer par pertes et profits les engagements pris pour monter un plan de sauvetage: GM les balaient d'un revers de main, ne retenant juste que les milliards mis sur la table pour redresser Opel. Fureur de Magna, qui pourrait avoir l'impression de jouer le lièvre dans ces négociations dont il serait in fine exclu après avoir mené les discussions avec les syndicats allemands. Colère de Moscou, qui se verrait repoussé après avoir caressé le projet de mettre un pied dans le marché automobile occidental via un établissement financier. Et gêne à Washington, où on assure que, malgré la position majoritaire du Trésor américain au capital de GM, on ignorait tout de cette décision qui aurait été prise uniquement par la direction du groupe.

La confusion est extrême. Le dossier a été suffisamment sensible pour que le management de GM n'opère pas cette volte face à la légère, et en ait référé peu ou prou à la Maison Blanche ou au Trésor. Mais le président américain s'est lui-même trop engagé personnellement pour laisser opérer un revirement qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences en politique internationale, tant vis-à-vis de l'Allemagne que de la Russie. Au cas où la direction de GM persisterait, quelle lecture politique le partenaire allemand pourra-t-il bien faire des engagements de Barack Obama débordé par une entreprise nationalisée?

L'histoire n'est pas terminée, car le New GM n'est pas suffisamment sorti d'affaires pour devenir lui-même une solution pour Opel. D'autant que le constructeur américain n'est pas certain que le gouvernement allemand, ainsi déconsidéré, lui accordera les aides promises à Magna. Le constructeur mise sur le fait que, compte tenu des milliers d'emplois à la clé, il sera encore plus difficile à Berlin de laisser la situation aller à vau-l'eau.

Gilles Bridier

Lire également sur l'automobile: Réinventer l'automobile, La voiture électrique n'est pas la solution miracle, L'axe Berlin-Moscou roule en Opel, et Des berlines surpuissantes pour frimer... discret.

Image de Une: Chevrolet à un salon General Motors en mai 2009

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