Ses collègues commencent à la lâcher et son avenir au gouvernement semble aussi incertain que la survie des lynx ibériens. Malgré les récentes dénégations de Jean-Paul Huchon, certains au PS ne devraient pas tarder à lui faire les yeux doux. Mais cela risque d'occulter la question de fond: Rama Yade est-elle vraiment faite pour faire de la politique? Dans le système actuel, peut-on entrer dans un parti quand on a des opinions sur lesquelles on refuse de transiger?
Parce que des opinions, Rama Yade n'en manque pas. En règle générale, Rama Yade n'est pas d'accord. Pas d'accord pour que la France reçoive en grande pompe le colonel Kadhafi, «notre pays n'est pas un paillasson, sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits» - un lyrisme que n'aurait pas renié Dominique de Villepin. Pas d'accord avec les méthodes d'expulsion des squatteurs d'Aubervilliers. Au sujet de l'affaire Jean Sarkozy à l'EPAD, alors que tous les ministres faisaient preuve d'une belle unité, Rama Yade comprenait que les Français soient choqués par cette élection. Et le dernier (faux) pas a été franchi la semaine dernière. Elle s'est opposée à une décision de son ministre de tutelle, Roselyne Bachelot, qui faisait voter la fin d'avantages fiscaux permettant, entre autre, aux sportifs de hauts niveau de faire passer 30% de leurs revenus en droit à l'image (donc exonérés de charges sociales) au nom du droit à l'image collectif qui régit les retransmission des matches. Bref, Rama Yade n'est pas d'accord et a un certain talent pour le faire savoir. Une attitude qui remet en question à la fois sa place dans le gouvernement et le parti présidentiel.
Logiquement, son attitude commence à en exaspérer plus d'un au sein de la majorité. Il est à noter que dès sa nomination au poste de secrétaire d'état aux droits de l'homme, en 2007, Rama Yade n'avait pas fait que des heureux parmi ses collègues. La même Roselyne Bachelot avait à l'époque déclaré: «Heureusement qu'elle n'est pas lesbienne et handicapée, elle serait premier ministre.» Une phrase qui en disait long sur son image et l'évaluation de ses compétences au sein de l'UMP.
Depuis la situation n'a cessé de se dégrader, au fur et à mesure des prises de parole de Rama Yade. Ces derniers jours, signe sans doute que le président commençait à être sérieusement agacé par son ancienne protégée, on a assisté à un festival de petites phrases le disputant à l'attaque en bonne et due forme - un procédé de lapidation publique qui ne peut qu'étonner venant des mêmes qui ne cessent de dénoncer les curées médiatiques contre les hommes politiques. A ce jeu-là, visiblement, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Après Nadine Morano selon qui, si on n'est pas d'accord avec la politique du gouvernement, on ferme sa gueule ou on démissionne, Claude Guéant, Eric Woerth, Christine Lagarde et même François Fillon en ont rajouté une couche copieuse, à peu près de la taille d'un rouleau-compresseur.
De quoi avoir un vrai effet contre-productif et transformer Rama Yade en martyre, augmentant encore un peu plus sa côte de popularité. Cette semaine, c'est Nicolas Sarkozy qui la lâche, officiellement en rappelant la nécessité de travailler en équipe, et en off chuchotant que le gouvernement ce n'est pas une affaire de caprice. Bref, il y a encore quelques jours on prédisait le départ de Rama Yade au moment des élections régionales, mais l'horizon semble se rapprocher et l'ombre de Douillet, qui devrait la remplacer, grandit un peu plus chaque jour.
En l'état actuel des choses, si Rama Yade se permet encore une remarque négative sur l'action gouvernementale, elle sera débarquée. D'ailleurs, elle est impossible à joindre depuis quelques jours. Ne pas prendre la parole apparait comme le moyen le plus sûr pour ne pas exprimer d'opinion. Dont acte.
Son histoire singulière soulève toutefois deux questions importantes.
D'une part, si la solidarité gouvernementale est certes essentielle, doit-elle l'emporter sur le droit à la contradiction? Un droit et un devoir qui semblent en voie de disparition. On peut s'interroger sur ce principe de courtisans déchus et de favoris qui semble être le centre névralgique de la vie politique française. Si on n'est pas «pour», on est forcément «contre» et on tombe automatiquement sous le coup de l'accusation «d'opposition». Une dérive dangereuse puisqu'à terme, elle dissuade toute critique et stérilise le débat. Dire «non, je ne suis pas d'accord» c'est le mal, c'est le mauvais esprit incarné, c'est se ranger du côté de l'immobilisme qui nous tuera tous.
D'un autre côté, s'engager en politique, prendre sa carte dans un parti, c'est aussi déclarer une forme d'allégeance à ce parti et, le cas échéant, taire ses désaccords. Faire de la politique n'implique-t-il pas d'accepter les compromis? Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas au pouvoir qu'on exerce sa liberté. Le pouvoir exige de renoncer à une part de liberté et de conviction. Un dilemme qui prenait une dimension particulière au moment de la nomination de Rama Yade au poste de secrétaire d'état aux droits de l'homme, un champ dans lequel se concentre l'opposition difficilement conciliable realpolitik versus principes moraux. Un poste auquel Rama Yade a alterné refus de transiger et silence complice. D'un point de vue pragmatique, vouloir appartenir à un parti, qui plus est de gouvernement, et profiter de ses avantages a forcément une contrepartie. L'allégeance à un parti n'exige-t-elle pas de rogner sur sa liberté d'expression et de pensée? Après, il s'agit d'un choix personnel.
Il était évident depuis le début que Rama Yade ne pourrait pas tenir dans le temps une position qui consiste à profiter du pouvoir tout en refusant d'en jouer le jeu. Que ses coups d'éclat soient le fruit de son idéalisme, d'un calcul politique ou l'expression de son orgueil, peu importe. Le jeu politique ne tolère pas ces écarts. D'autant moins qu'ils obligent les principaux acteurs à admettre implicitement que leur propre travail est fait de compromis quotidiens. Or la démocratie telle qu'elle fonctionne chez nous n'admet pas un certain discours réaliste mais nécessite, pour des raisons de croyances que Bourdieu a analysé, le maintien d'une illusion. Jospin et son «L'Etat ne peut pas tout» s'en souvient. Ce que les politiques supportent le moins chez les individus comme Rama Yade, ce n'est pas tant leur position iconoclaste que le fait qu'ils rappellent à tous qu'eux-mêmes ont dû choisir et donc, renoncer.
Pour l'instant, sa position d'électron libre sert Rama Yade - dans les sondages. Et on connait leur importance dans la vie politique française. Dès lors, Nicolas Sarkozy peut-il se passer d'une des politiques les plus appréciés par les Français? A première vue non, et c'est bien pour ça que, malgré l'insistance de certains, il ne l'a pas renvoyée du gouvernement en juin mais juste déplacée aux sports. Pourtant, les sondages ne font pas tout et on peut se demander si elle ne court pas un risque de kouchnérisation. La kouchnérisation, un processus qui consiste à devenir l'un des politiques les plus populaires auprès des Français mais sans jamais obtenir de poste à responsabilité. Comme cela a été le cas pour le ministre des affaires étrangères durant la quasi-totalité de sa carrière. Le parcours de Rama Yade commence à ressembler à celui de son ancien ministre de tutelle - bien que leurs rapports aient été simplement catastrophiques. Et comme Kouchner, on ne comprend pas très bien quelles sont ses idées politiques - en-dehors des grands principes humanistes de respect de la dignité humaine, égalité de tous etc. Et pour cause, Rama Yade ne s'est pas engagée à l'UMP sur la base d'un programme politique, d'un socle commun d'analyses et de références mais uniquement sur la personnalité de Nicolas Sarkozy. Ce ne sont pas des idées qu'elle a épousées mais un leader et des slogans sur le besoin d'action. Cela a entretenu dans son discours un flou qui aurait tendance à la servir et pourrait lui permettre, le cas échéant, de changer de parti politique pour, enfin un jour, afficher une ligne politique claire.
Mais dans quel parti?
Rama Yade à Lutte ouvrière ou au NPA. Outre quelques légers désaccords idéologiques, mais finalement on connait assez peu les idées de Rama Yade sur la collectivisation des moyens de production, elle a toujours affirmé que ce qui l'avait séduite chez Sarkozy c'était son côté volontariste, concret, dans l'action. Elle veut être dans les sphères du pouvoir, là où ça se passe, pour agir. Donc pas vraiment dans des partis voués, en attendant le grand soir, à des rôles d'opposants.
Rama Yade au PS. Finalement, elle a toujours dit qu'elle n'avait pas choisi un parti mais un leader et que sur le fond de ses idées politiques, elle aurait aussi bien pu se retrouver dans un parti de gauche. C'est en tout cas le scénario qui se profile à l'heure actuelle si les socialistes acceptent d'appliquer à l'UMP ce que Sarkozy leur a fait avec l'ouverture. (Avec le risque de brouiller un peu plus les frontières politiques.)
Rama Yade chez les verts. Peut-être la piste la plus intéressante au final. Parce que s'il y a une chose qu'on ne peut pas retirer aux verts, c'est leur capacité à laisser des voix discordantes s'élever au sein du parti, quitte à parfois virer à la cacophonie. Un cadre idéal pour une grande gueule donc. En outre, le programme politique des verts reposent quand même majoritairement sur des principes humanistes un peu vagues qui pourraient correspondre à Rama Yade.
Rama Yade à l'UMP. Pour peu qu'elle accepte de rentrer dans le rang, le grand huit du cycle des favoris du président implique un éternel retour en grâce des anciens bannis. Et puis, Nicolas Sarkozy peut-il continuer de reprocher à Rama Yade une attitude qui était la sienne du temps où il était ministre de Jacques Chirac? A l'époque il ne se gênait pas pour occuper une partie de l'espace médiatique en marquant sa différence vis-à-vis du gouvernement, allant à l'encontre des décisions du premier ministre, Dominique de Villepin, et du Président. Il est assez étonnant de le voir désormais prôner la solidarité gouvernementale...
Rama Yade au Modem. L'hypothèse la moins crédible, totalement impossible. François Bayrou réclame de ses partisans un soutien sans faille, or on voit mal Rama Yade jouer la Marielle de Sarnez bis.
Titiou Lecoq
Image de Une : photo Reuters par Charles Platiau