Sciences

Pourquoi les fausses sciences gouvernent le monde (et pourquoi il faut mettre un terme à ce règne)

Temps de lecture : 4 min

TRIBUNE. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, revient sur l'essor de plusieurs mouvances qui ont l'apparence de la science mais pas sa rigueur.

Une touche de sciences | Mars P. via Flickr CC License by
Une touche de sciences | Mars P. via Flickr CC License by

La saison de remise des Prix Nobel est l’occasion de parler positivement des sciences dans les médias. Malheureusement, le reste de l’année les fausses sciences tiennent le haut du pavé. Comme la plupart de mes collègues chercheurs, depuis quelques années, j’observe la dégradation du niveau de l’information scientifique, ouvrant ainsi grand le marché de l’information aux «prêcheurs d’apocalypse».

En tant qu’expert des biotechnologies végétales, j’ai reçu –bien malgré moi– un entraînement poussé dans la capacité de débusquer la science de mauvaise qualité et les visions biaisées par l’idéologie. Depuis que la première cargaison de soja génétiquement modifié a été livrée sur le continent européen en 1996, les scientifiques n’ont pas cessé d’être sous le feu de ce trinôme inséparable: les activistes voulant en découdre avec la société industrielle, les médias friands de peurs et la face la plus sombre d’internet. Les recettes de la désinformation rodées sur les OGM sont aujourd’hui déclinées dans d’autres domaines technologiques. Il devient presque impossible pour un citoyen ordinaire (j’en suis un dans bien des domaines scientifiques) de distinguer le vrai du faux.

Catégorisation

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, je propose cette classification des espèces de fausses sciences. Au bas de l’échelle, on trouve les pseudo-sciences (classiques): astrologie, paranormal, médecines non-scientifiques, etc. Elles sont soutenues par une communauté ancienne de croyants… Généralement ils ne tentent nullement de remettre en cause les fondements de la science.

Une deuxième catégorie est ce qu’Alexandre Moatti a nommé les «altersciences». Elles sont essentiellement représentées par des individus qui ont reçu une formation scientifique et qui utilisent leurs connaissances afin de promouvoir des théories alternatives, voire de reconstruire leur propre discipline. Même quand il est seul contre le reste du monde scientifique, l’alterscientifique prétendra qu’il a raison et cherchera la reconnaissance ailleurs, notamment dans les médias. Moatti a montré que le phénomène existe depuis des siècles. Aujourd’hui grâce à internet, l’alterscientifique peut devenir un héros international. On trouve de nombreux exemples du côté de l’activisme anti-vaccins ou anti-chimie.

Une troisième catégorie est ce que j’appelle la «science» parallèle. Elle a été utilisée par l’industrie du tabac, mais le plus souvent elle sert un projet politique. Quand les résultats de la science sont perçus comme une menace par les «avocats» d’un projet politique, ceux-ci peuvent être tentés de créer leur propre «science» pour construire des preuves à leur convenance. Les lobbies de l’écologie politique font un usage immodéré de la «science» parallèle avec l’appui d’alterscientifiques et d’«experts» auto-proclamés. «Centres de recherche et d’information (faussement) indépendants», rapports et colloques aux conclusions préétablies, créations de journaux «scientifiques» acquis à la cause (ce qui est aujourd’hui très facile sur internet) et, occasionnellement, publications hétérodoxes passant à travers le tamis des journaux scientifiques (et auxquelles est donnée une large publicité), tout concourt à créer, pour le non-spécialiste, l’apparence de la science. Fausse science, mais vrai bourrage de crâne!

Partialité

Il serait erroné de croire que ces phénomènes restent cantonnés loin des institutions officielles. Le Centre International de Recherche sur le Cancer (Circ ou IARC en Anglais), une agence spécialisée de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), n’est pas sans poser question. Le Circ publie une classification de substances, d’aliments, d’expositions professionnelles, en cinq catégories allant de «cancérogène pour les humains» à «probablement pas cancérogène pour l'homme». Classification où la viande rouge est classée «probablement cancérogène», ce qui est absurde si l’on ne prend pas en compte la quantité consommée. En effet un excès peut être délétère, mais une consommation raisonnable être bénéfique pour la santé.

Comment protéger la science des interférences idéologiques et comment partager les connaissances scientifiques mériteraient de faire partie du débat des prochaines élections

Sur le site internet du Circ, on lit effectivement (surligné en gras !) que sa classification «ne mesure pas la probabilité qu’un cancer surviendra (techniquement appelé “risque”) en raison de l’exposition à l’agent». Cette mise en garde n’a pas été mise en avant par le groupe de travail spécialisé du Circ lors de son classement de l’herbicide glyphosate en «probablement cancérogène». De plus, lorsque le caractère cancérigène du glyphosate en conditions réelles a été réfuté par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), plutôt qu’expliquer la différence entre ce qu’une substance peut faire et ce qu’elle fait réellement, ce qui pouvait réconciler les deux positions, des fonctionnaires du Circ ont préféré formuler des accusations contre l’EFSA (ce qui rappelle une habitude des activistes de l’écologie politique…). Le lecteur pourra trouver les détails des échanges épistolaires sur le site de l’EFSA.

Aujourd’hui, aucune des autres organisations scientifiques saisies du dossier (y compris une autre organisation de l’OMS) n’a confirmé la position du Circ sur le glyphosate. De plus, des soupçons de partialité (idéologique) pèsent sur un rédacteur du rapport. Ce qui n’empêche pas le glyphosate d’être encore menacé d’interdiction! Tout cela est choquant (comme le serait à l’inverse un pouvoir excessif des industriels) et mériterait une enquête officielle française (le Circ est basé à Lyon).

On le voit, nous sommes loin de cette «société de la connaissance» promue par l’Union européenne. Comment protéger la science des interférences idéologiques (ou à but lucratif) et comment partager les connaissances scientifiques mériteraient, dans l’intérêt général, de faire partie du débat des prochaines élections.

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