Vous avez vous-même pris des photos du mur de Berlin? Avant, pendant ou après sa chute? Envoyez-les nous à [email protected], nous les publierons à l'occasion de l'anniversaire de la chute du mur.
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C'est curieux mais je n'ai pas le sentiment que la chute du Mur de Berlin, désormais présentée comme un événement auquel nous aurions tous participé dans la joie et l'allégresse, ait été une telle occasion de danser dans les rues de ce côté-ci du Rhin.
De cette période, je me souviens surtout d'une classe politique — François Mitterrand en tête — plus méfiante, voire inquiète, que franchement enthousiaste: une Allemagne réunifiée, surclassant subitement la France démographiquement et économiquement, ça n'avait rien de rassurant. Et la disparition, avec l'implosion annoncée du communisme soviétique, de la référence ultime de toute une partie de la gauche gauloise n'était pas non plus accueillie avec empressement dans les états-majors, place du Colonel-Fabien comme rue de Solferino.
C'est que, d'une certaine manière, rien ne nous convenait davantage que la situation dont nous étions censés souhaiter la fin. Jouer les non-alignés à l'abri du parapluie nucléaire américain et imposer son agenda européen à son voisin et ancien ennemi, c'était tout de même plus confortable qu'un plongeon dans l'inconnu. Et encore aujourd'hui, même si plus personne ne demande sérieusement la reconstruction du Mur, il est difficile de ne pas percevoir une certaine nostalgie de l'ordre ancien — de «l'ordre» tout court, en vérité.
Il ne faut sans doute pas lire trop de choses dans le fait que nous soyons le dernier grand pays occidental à disposer d'un parti communiste rétif à tout changement de nom, ni même à compter plus de formations trotskistes qu'il n'existe de stations de radio sur la bande FM parisienne, mais le fait est que nous sommes restés assez ambivalents à l'égard de cette rupture historique.
A droite, on se souvient des jours heureux du gaullisme triomphant et l'on pleure. A gauche, on tente de se convaincre que les échecs en cascade de tous les communismes ne sont qu'une affaire de circonstances, et que la fin de l'URSS n'est pas celle du grand rêve collectiviste de l'auteur du «Manifeste». Il suffit d'ailleurs d'évoquer la manière dont le travail de l'historien Stéphane Courtois («Le livre noir du communisme») avait été reçu à la fin des années 90, pour saisir à quel point nous n'avons pas encore démoli tous les murs mentaux construits depuis 1917: une hagiographie de Pétain ou de Goebbels n'aurait pas eu un écho plus défavorable dans certains cercles.
C'est sûr, le monde émergeant de l'amas berlinois de briques et de parpaings n'est pas des plus rassurants, avec ses crises financières, ses terroristes, ses bouleversements technologiques et scientifiques mal-maîtrisés... Mais à ceux qui hésitent encore à se réjouir franchement, vingt ans après sa démolition, rappelons que le Mur était là pour empêcher les gens du dedans de sortir plutôt que le contraire.
Hugues Serraf
A lire sur la chute du Mur: Ce battement de cil qui a changé la face du monde et Un Mur, des murs, par Jacques Attali
Image de une: Archives REUTERS