France

Identité nationale: plus Français que les Français

Temps de lecture : 5 min

Tour de France gastronomique d'un Juif errant

Slate.fr lance un appel à contributions: C'est quoi, pour vous, être français? Envoyez-nous vos contributions, vos témoignages, à etrefrançais.slate @ gmail.com. Nous publierons vos tribunes. Voici une chronique de Gilles Pudlowski, critique gastronomique du Point.

***

En 1984, je publiai, chez Flammarion, le Devoir de Français, suivi, en 1986, de l'Amour du Pays, deux ouvrages sur le même thème qui se prolonge: peut-on être «plus français que les Français» alors que l'on est, soi-même, un français de fraîche date, juif de surcroît, issu de la première génération née en France. La réponse était, évidemment: oui ! Je reçus, pour ces deux livres, les prix Chardonne et Genevoix, adressés, dixit Maurice Rheims et Michel Tournier, membres de ce dernier prix, à «un Barrès juif». Manière de me dire que j'étais un «bon français». Et je songeais à la formule de Bernanos selon laquelle «il n'y aucun orgueil à être français, mais beaucoup de peine et de travail, un grand labeur».

Je republiais mon cher Devoir de Français, qui m'avait valu tant d'éloge et de bons labels, au Rocher en 2003. Et le faisais précéder d'une préface dont je donne ci-après l'essentiel, et qui entendait démontrer que son propos était plus que jamais actuel. En effet, quelques semaines avant la réédition, le hasard voulut que je passe à la mairie de mon quartier, le 9e arrondissement faire renouveler ma carte d'identité. Après avoir vu mon extrait de naissance, l'employée de l'antenne de police me lança tout crûment : «vos parents sont nés en Pologne, vous devez faire la preuve de votre nationalité française».

Mon ancienne carte d'identité, que j'avais tendue en guise d'explication, spécifiait bien, cependant: «nationalité française». Je restais hagard, ne sachant quoi répondre. Et voilà qu'elle insiste et me demande: «comment êtes-vous devenu français?» Je suis devenu blême, je lui ai dit : «j'ai écrit des livres là-dessus». Je lui demande alors de vérifier les papiers d'identité du maire, Jacques Bravo, d'origine italienne. Et elle accepte, in fine, de prendre mon dossier.

Je ne me le tiendrais pas pour dit et montre très vite voir Jacques Bravo pour lui conter cette histoire édifiante. Il me recevra, sans cérémonie, s'étonnant, lui dont le père est né dans le Piémont, qu'un tel interrogatoire soit possible. Et il donnera l'ordre - mais sera-il suivi? - que de telles phrases stupides ne soient plus prononcées chez lui. Nous sommes nombreux, en effet, comme lui, comme moi, à essayer de nous montrer non seulement «d'excellents Français», mais «meilleur français que les Français».

Jambon, miel et pain d'épices

Le Devoir de Français, qui aurait pu également s'appeler le Tour de France du Juif errant ne raconte pas autre chose. Sinon l'aventure d'un «Beur Blanc», qui fait d'incessants voyages entre lui-même et son destin, entre ses racines et son pays véritable, entre cette langue qui est la sienne et le regard des autres, entre toutes ces régions, multiples et sinueuses, qu'il aime d'amour, et ses origines. Vingt-cinq ans après, le voyage, les voyages, se poursuivent.

Juste avant la réédition de mon Devoir, j'arrivais de l'Yonne, où j'avais passé quatre jours à goûter les confitures, les terrines, l'andouillette, le jambon, le miel, le pain d'épice, la truffe de Bourgogne (la tuber incinatum), le chocolat blanc mêlé de ganache au cassis, le vin d'Irancy, de Coulanges-la-Vineuse et de Saint-Bris. Le long du fleuve, de Sens à Châtel-Censoir, de Joigny à Mailly-le-Châtel, ils sont nombreux les artisans qui ont créé, sans toujours le savoir, une route des saveurs: élevage de truite, fumage de saumon, export de cochon cul noir, production artisanale de cidre du pays d'Othe, recréation de la bière de Sens ou affinage de fromage de Soumaintrain.

Ils sont souvent, comme je le fus, «étrangers au pays», natifs de Mayenne comme les Bernard, ces artistes des beaux fruits de Jussy, de Champagne, champenois comme les Dhuicq qui fabriquent du foie gras en leur ferme de Misery, ou encore du Bourbonnais, comme Daniel Raymond, le fumeur-traiteur de Chemilly, près d'Auxerre. Jadis, le fleuve charriait le bois et le vin vers Paris. Mais sa mission demeure: celle d'être une épine dorsale de la gourmandise, une artère royale des bonnes choses, sur laquelle se greffe des artisans du bonheur français.

Les écrivains n'ont pas déserté le pays. J'étais allé me recueillir, au cimetière, sur la tombe de Jules Roy, alias Julius, qui se situe en contre bas de celles de Maurice Clavel, Georges Bataille, Max-Pol Fouchet et encore Ysé, l'héroïne du Partage de Midi. Je n'avais pas omis de rendre visite à son «clos du Couvent». Ce qui fut la maison de Jules Roy, face à la basilique de la Madeleine, est devenu un musée . J'y ai retrouvé les livres d'autrefois, avec les mots, les cartes postales, les enveloppes qu'il gardaient dans les rayons de sa bibliothèque.

Son esprit demeure. J'avais dîné avec Tania, qui veille sur son souvenir, mais aussi Gérard Oberlé, dandy amoureux des mots, expert en livres, châtelain du Morvan, mais aussi le regretté Jacques Lacarrière, venu de Sacy, le village de Restif de la Bretonne, dont la maison n'a pas changé et dont il a repeint les plinthes des fenêtres en bleu Méditerranée, signes d'un perpétuel «Eté Grec» en ce pays pluvieux et brumeux.

Jacques avait évoqué de sa voix douce les marches suscitées par Chemin Faisant. Il nous conta la venue de deux jeunes lecteurs, venus le voir l'été précédant, suivant pas à pas son itinéraire, près de 30 ans après. «Je leur ai dit: "vous auriez pu inventer d'autres chemins". Mais je les ai logés chez moi. Ils avaient vingt ans, de beaux cheveux longs, l'éternité devant eux. Ils ont joué avec mon fils». Et de reprendre, s'agissant de son livre évoquant une traversée de mille kilomètres dans l'hexagone: «J'ai simplement voulu montrer que l'on pouvait marcher librement en France et être accueilli partout en ami».

Marc Meneau, à Saint-Père, dans son auberge qui porte le doux nom de l'Espérance, nous avait régalés de gelée de betterave, façon bortsch au caviar, qui me rappelait, de façon plus raffinée, les plats de ma grand-mère. Mais aussi de petits mets sur le thème du cochon, avec cromesquis de groin, lard, boudin, gras-double, d'une symphonie sur le thème de la pomme de terre et d'un mariage baroque entre homard et pigeon. Nous avions bu ensemble le vin de Vézelay, qui demeure cet épicentre culturel de la France, où jadis Saint-Bernard prêcha la seconde croisade contre les mécréants... dont nous sommes. Et nous avions embrassé d'un regard semi-circulaire la colline au loin qui trace son profil, droit, vigoureux, éternel.

Gilles Pudlowski

Gilles Pudlowski vient de publier les Grandes Gueules et son guide Pudlo Alsace et Pudlo Paris.

Image de une: Reuters,Robert Pratta Volontaires nus posant pour le photographe américain Spencer Tunick, à Pouilly-Fuisse.

Si vous avez aimé cette chronique, vous pouvez lire toutes les contributions. Vous aimerez peut-être aussi «Jean-François Copé: Identité nationale, réussir le débat» et «Les raisons du retour du débat sur l'identité nationale». N'hésitez pas à participer au débat en nous envoyant vos contributions: etrefrançais.slate @ gmail.com

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