Malgré l’annulation de la visite du président russe à Paris pour cause de bombardement d’Alep, tout le monde est d’accord, à droite et à gauche: il faut parler avec Poutine.
Mais il y a manière et manière de s’adresser à lui et de tenter de nouer un dialogue. Deux livres qui dévoilent, entre autres, les coulisses de la vie diplomatique, proposent un compte-rendu contrasté d’entretiens de François Hollande et de Nicolas Sarkozy avec le chef du Kremlin.
1.Méthode Hollande
L’ouvrage le plus récent est le pavé de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, «Un président ne devrait pas dire ça…» Les secrets d’un quinquennat. Le président de la République reconstitue lui-même pour les deux journalistes un dialogue avec Poutine. Il réfute l’assimilation de tous les opposants à Bachar el-Assad aux terroristes.
Poutine: «–Vous dites ça parce que vous avez des musulmans en France et que vous voulez les protéger.
Hollande: –Au Mali, on est intervenus, oui, mais les musulmans ne nous ont rien demandé, faut sortir ça à d’autres.»
«Agacé par la mauvaise foi poutinienne, Hollande ne peut s’empêcher de provoquer son homologue russe, poursuivent les auteurs: Vous n’allez pas me dire que Bachar el-Assad, c’est un régime démocratique, lui lance-t-il. Sauf à penser qu’on l’est lorsque l’on est élu avec 98%. Vous avez connu ça dans votre propre pays.»
On ne connaîtra pas la réponse de Poutine.
2.Méthode Sarkozy
Nicolas Sarkozy aussi se piquait de faire preuve de fermeté vis-à-vis son interlocuteur russe. A l’orée de la campagne présidentielle de 2007, dans un entretien accordé au magazine Le Meilleur des mondes (novembre 2006), il annonçait même qu’il ne serrerait pas les mains «tachées du sang des Tchétchènes».
C’est sur le même ton qu’il avait entrepris de s’adresser à Vladimir Poutine lors de leur première rencontre officielle, à l’occasion du sommet du G8 à Heiligendamm, en juillet 2007 en Allemagne. Dans son livre La France russe, Nicolas Hénin rapporte le dialogue entre les deux hommes.
Sarkozy attaque sur les droits de l’homme, les morts en Tchétchénie. Silence. Poutine:
«–C’est bon, tu as fini? Alors je vais t’expliquer. Ton pays, il est comme ça…» Le président russe fait un geste avec ses deux mains proches l’une de l’autre. Puis il écarte grand les bras: «Et mon pays, il est comme ça. Maintenant tu as deux solutions: ou bien tu continues à parler sur ce ton, et je t’écrase. Ou alors, tu changes de registre et je peux te faire roi d’Europe.»
Nicolas Hénin: «Poutine ponctue son discours de formules grossières et humiliantes pour accroître l’impact. Sarkozy est choqué. Il sort livide. K.-O.debout»
Le président français arrive groggy à la conférence de presse, à tel point que nombre de médias, en diffusant les images, expliqueront que le président français «n’avait sans doute pas bu que de l’eau» avec le Russe.
Après cet épisode malheureux, Nicolas Sarkozy s’est fait fort d’être un partenaire influent du maître du Kremlin. En août 2008, se présentant comme «le président de l’Europe» –il exerce simplement pour six mois la présidence tournante du Conseil européen–, il fait la navette entre Moscou et Tbilissi pendant la guerre en Géorgie. Il se targue encore aujourd’hui d’avoir arrêté le conflit et évité que les troupes russes ne prennent la capitale Tbilissi.
Il oublie deux éléments qui relativisent son «succès». D’une part, il a été berné par Poutine. Son conseiller diplomatique le reconnait (voir le livre de Xavier Panon, Dans les coulisses de la diplomatie française). Les versions russe et anglaise de l’accord de cessez-le-feu (celle signée par Sarkozy) sont différentes, la première plus favorable bien entendu à la Russie qu’à la Géorgie. D’autre part, la Géorgie a été dépecée, ayant perdu l’Abkhazie, devenue un Etat totalement dépendant de Moscou, et l’Ossétie du sud intégrée de facto à la Fédération de Russie, sans compter une partie strictement géorgienne du territoire toujours occupée par l’armée russe.
De la Géorgie à la Syrie, en passant par la Crimée, la leçon est toujours la même. Poutine ne rechigne pas à parler. Et tout en parlant, il avance ses pions et conforte ses positions, y compris par des moyens militaires auxquels ses interlocuteurs occidentaux n’ont à opposer que leur force de persuasion, des mouvements de mauvaise humeur comme l’annulation d’une visite, ou des sanctions économiques. On a vu à propos de l’Ukraine que si ces dernières ne sont pas sans effet, elles ne suffisent pas à détourner le président russe de ses buts.
«Un président ne devrait pas dire ça…» Les secrets d’un quinquennat
De Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Editions Stock
Dans les coulisses de la diplomatie française
De Xavier Panon
Editions de l'Archipel