Depuis un mois, les mauvais sondages s'accumulent pour Donald Trump, désormais devancé de cinq à six points en moyenne dans les sondages nationaux et distancé dans la plupart des États-clef (rappelons que, si le score national donne une bonne idée de la direction de l'élection, l'élection se joue État par État). Des chiffres qui dissimulent des disparités gigantesques: alors qu'un sondage publié lundi par le magazine The Atlantic donnait onze points d'avance à Clinton, un autre publié mercredi par l'institut Rassmussen donne deux points d'avance à Trump, qui se réjouit d'être encore «au coude à coude» avec son adversaire. Des écarts qui alimentent un débat récurrent, aux États-Unis comme en France, sur les méthodes des instituts de sondage.
L'une des enquêtes les plus discutées depuis le début de la campagne est aussi l'une des plus favorables à Trump, celle publiée quotidiennement par l'institut Dornsife et le Los Angeles Times. Ce sondage est devenu un objet de curiosité et de débat pour les médias américains depuis un mois, d'autant que sa méthodologie est différente des autres: il s'agit d'un sondage rolling (un panel de 3.200 personne est régulièrement réinterrogé, un septième d'entre elles étant questionnées chaque jour), un peu comme celui réalisé par l'Ifop pendant la présidentielle 2012; et les sondés ne se voient pas seulement demander leur vote, mais aussi la probabilité qu'ils lui attribuent. À son «apogée» pour le candidat républicain, à la mi-septembre, ce sondage lui donnait quasiment sept points d'avance sur son adversaire, là où, dans la moyenne nationale des sondages, Hillary Clinton avait alors encore environ un point d'avance. Aujourd'hui, il les donne encore dans un mouchoir. Pas étonnant, du coup, qu'il soit devenu un des préférés de Donald Trump, qui ne se prive pas de le citer.
LA Times- USC Dornsife Sunday Poll: Donald Trump Retains 2 Point Lead Over Hillary:https://t.co/n05rul4Ycw
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 9 octobre 2016
"@realbill2016: @realDonaldTrump @Brainykid2010 @shl Trump leading LA Times poll pic.twitter.com/908uLXCIWz"
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 22 août 2016
D'autres se sont montrés plus critiques. Dans un article très sévère publié le 12 octobre, Nate Cohn, le spécialiste des sondages du New York Times, souligne ainsi plusieurs facteurs qui font que ce sondage a continué à donner Trump gagnant alors même que tous les autres penchent pour Hillary Clinton. Quand ils réalisent un sondage, les instituts ajustent leurs chiffres en fonction de la composition de l'électorat: si, par exemple, ils n'ont que 10% d'électeurs noirs dans leur échantillon et que les noirs représentent 15% de l'électorat, ils vont donner plus de poids aux intentions de vote de ces derniers. Or, en analysant les données individuelles du sondage en question (rendues publiques, dans un souci de transparence, par l'institut), Nate Cohn s'est rendu compte que l'électorat y avait été découpé en catégories tellement fines qu'un électeur noir de 19 ans votant Trump dans l'État de l'Illinois pesait trente fois plus que la moyenne de l'échantillon!
L'institut Rasmussen, l'autre sondeur qui donne encore Trump gagnant, passe lui pour donner généralement des scores plus favorables aux candidats républicains que ceux qu'ils finiront par récolter le jour de l'élection. En 2012, il avait donné Romney vainqueur d'un point alors qu'Obama l'avait emporté de quatre points.
Ce débat nous rappelle l'importance, qui sera à nouveau soulignée lors des primaires françaises puis de la présidentielle 2017, de savoir lire un sondage. Ceux qui font le plus de bruit (et qui sont souvent mis en avant par les candidats qui y sont donnés vainqueurs) sont ceux qui s'écartent le plus de la moyenne –depuis dix jours, dans les sondages de la primaire, le score de Sarkozy au second tour fluctue ainsi entre un désastreux 38% et un encourageant 47%... Concernant la campagne américaine, «contrairement à ce qui est souvent dit, les sondages ne sont absolument pas volatils cette année, bien au contraire, explique Mathieu Gallard, chef de groupe chez Ipsos, qui suit de près la campagne américaine. À mon avis, cette perception d'une forte volatilité est surtout due à l'accent mit par les instituts, les médias et les candidats sur les sondages extrêmes, sortant de la moyenne ou indiquant de très fortes évolutions.»
De plus, les méthodes des instituts (téléphone ou internet, pondération des votes selon la probabilité de voter...) ont un impact sur les résultats. D'où l'importance de les connaître et de les analyser: «Les instituts américains n'hésitent pas à détailler leurs méthodes de manière très approfondie, et le développement du data-journalism fait que les médias ont désormais une bien meilleure connaissance des mécanismes des sondages aux États-Unis. On ne compte plus les articles ou les spécialistes américains expliquent leurs méthodes et en débattent», explique Mathieu Gallard. Le site de data-journalisme FiveThirtyEight a d'ailleurs élaboré un classement des instituts les plus fiables.
Souvenons-nous, enfin, que les techniques de sondages progressent par essais et erreurs: en 2012, le prestigieux institut Gallup avait publié un examen de conscience car son dernier sondage donnait Romney un point devant –son modèle de probabilité du vote était erroné, son échantillon contenait trop peu de minorités ethniques… C'est d'ailleurs l'avertissement lancé par l'équipe de l'institut Dornsife: «Les sondages d'opinion ne sont pas une science exacte mais, à travers la recherche, ils peuvent progresser vers ce but.»