Boire & manger

Eddu, le whisky breton qui n’en fait qu’à sa tête

Temps de lecture : 5 min

Près de Quimper, à la Distillerie des Menhirs, la famille Le Lay fabrique selon des méthodes uniques un whisky de blé noir qui ne ressemble à aucun autre et cartonne auprès des amateurs.

Kevin, Erwan, Loig les trois frères Le Lay I Christine Lambert
Kevin, Erwan, Loig les trois frères Le Lay I Christine Lambert

C’était son idée. Son bébé, sa consécration. Alors, forcément, au moment de raconter la genèse d’Eddu, «son» whisky breton élaboré à base de blé noir, il renvoie sans façon dans leur caisse ses fils qui tentent parfois de corriger la version paternelle en levant les yeux au ciel. Un sacré personnage, Guy Le Lay, ancien prof de maths, incapable de tortiller de la langue avant de traiter son prochain de couillon, tête de pioche plus dure que le cul de ses alambics, et qui a bien compris qu’il ne fallait jamais laisser à autrui le soin d’écrire sa propre histoire, a fortiori sa légende.

La distillation chez les Le Lay est bel et bien une histoire de famille, mais c’est à l’origine une histoire de femme. Francès, l’arrière-grand-mère de Guy, s’équipa la première d’un alambic monté sur roues, racheté d’occase à un brocanteur en 1921 et capable de vous pisser en trois heures 300 litres de cidre réduits en lambig (le calvados breton). La bouilleuse de cru ambulante sillonnait la Bretagne de ferme en ferme, distillant la barrique que chaque paysan pouvait escamoter au fisc en vertu d’un privilège qui tombera en 1960.

Les deux alambics historiques, à droite celui de Francès I DR

Les alambics se transmettent de génération en génération, mais il faut attendre 1986 pour en démonter définitivement les roues, ou plutôt les ranger dans ce coin de hangar qui sert à mesurer les rêves. Cette année-là, la Distillerie des Menhirs sort de terre à Plomelin, près de Quimper, pas très loin d’une fin de terre que vient claquer l’Atlantique. Près des 40 hectares de vergers familiaux, surtout. Pourtant, au retour d’un voyage en Écosse où il a visité Dalwhinnie et Dalmore, Guy Le Lay se dit que le futur est moins dans le pommeau que dans le whisky.

«Mais on avait trois cents ans de retard avec l’orge, soupire-t-il sans s’arrêter sur cette anachronique vision de l’avenir. L’idée d’Eddu m’est venue en traversant des champs de sarrasin dans le coin: j’allais fabriquer le premier whisky de blé noir.»

Le blé noir ou la loi de l'emmerdement maximum

Nous sommes en 1996. L’aventure qui nous intéresse allait pouvoir commencer. La loi de l’emmerdement maximum également. Le blé noir ou sarrasin (eddu en breton –prononcer «édou»), céréale rustique et écolo qui se passe d’engrais et d’insecticide, possède des trésors de qualités gustatives et une poignée d’inconvénients dont le premier suffirait à faire reculer les bataillons d’Ecossais les plus déterminés: beaucoup plus chère que l’orge à l’achat, elle souffre en outre d’un rendement agricole et alcoolique quatre fois moindre. Un casse-tête à malter, en plus. Et quelle galère à fermenter! Mais s’il fallait s’arrêter à des détails…

Guy Le Lay

La distillerie s’est équipée pour le whisky d’menune paire d’alambics charentais Prulho, en général employés pour le cognac. «Pfff! Mais tout ce qui en sortait était mauvais!», peste Guy Le Lay qui, en vertu d’une méthode qu’il aurait pu breveter, commence donc par engueuler à toute vapeur le fabricant, avant d’admettre qu’il ne savait pas faire fonctionner le bousin –il le raconte savoureusement. C’est le moment que je préfère dans les visites des «jeunes» distilleries, celui où on avoue les erreurs et les tâtonnements, les appels à l’aide et les changements de cap. La science infuse et les chemins sans cailloux font de piètres histoires et d’ennuyeux whiskies.

Le père Prulho finit par envoyer à la rescousse un vieux copain, Robert Léauté, ancien maître de chai chez Rémy Martin, qui restera jusqu’à sa mort le consultant des Menhirs. Avec lui, tous les procédés de fabrication sont remis à plat, un autre chapitre va s’écrire.

L'âme bretonne façonnée à la cognaçaise

La fermentation (longue) reste un secret bien gardé à la distillerie, et on ne franchira pas les portes de la salle d’opération. En arrachant les infos comme les dents de sagesse, dans la grimace, il semble qu’on ne fermente pas seulement le jus sucré (à l’écossaise) mais un épais brouet de matière (à l’américaine) envoyé dans les alambics – au choix la colonne de distillation pour les blends ou la paire de charentais chauffés à feu nu, dont chacun distille successivement ses deux passes.

Distillerie des Menhirs I DR

Les Menhirs se targuent d’élaborer le plus breton des whiskies, et c’est vrai. Blé noir local, fûts de chêne parfois taillé dans la forêt de Brocéliande et je ne vous raconte pas les cérémonies druidiques pour baptiser certains embouteillages… On adore ou on déteste, et l’absence de juste milieu correspond à merveille au foutu caractère de la distillerie. Mais cette âme bretonne se façonne pour beaucoup à la cognaçaise. Ici, les gnôles sont réduites lentement, sur des années, et non pas à la va-comme-je-te-pousse juste avant embouteillage. Le contenu des fûts est pompé, assemblé, réduit puis réenfûté à plusieurs reprises pour garantir l’homogénéité de la production, un procédé commun dans le cognac et rarissime dans le whisky.

Pourtant chaque assemblage garde sa personnalité derrière la signature commune du blé noir. Le Silver, vieilli en fûts de cognac, avec ses notes florales, plus boisé lorsqu’il est affiné sous chêne de Brocéliande, le Gold, liquoreux, balsamique et anisé, la cuvée Diamant, le plus vieux whisky français (15 ans), sur le fruité épicé… En attendant une maturation en fûts de porto qui devrait sortir dans les mois qui viennent.

«Tous ont évolué, remarque Loig qui, avec ses frangins, a repris les rênes de la distillerie que le père voulait transmettre. Depuis leur lancement, le Silver a pris deux ans et le Gold, pas loin de trois. Et même Ed Gwenn: on a baissé le degré en sortie d’alambic, on verra ce que ça donne à partir de 2018.»

La bourde qui accouche d'un nectar

Ed Gwenn, le petit dernier, le mouton noir dont le nom signifie «blé blanc», né d’une géniale bourde. Ce whisky intégralement élaboré avec de l’orge maltée et non maltée (ce n’est donc pas un single malt, si on veut poildecuter) et distillé en colonne devait alimenter les blends maison corsés de sarrasin –selon une logique propre à la tribu de Plomelin, puisque presque partout ailleurs sur la planète on réserve l’orge aux single malts et le blé pour les blends.

Les alambics charentais

Mais au lieu de l’alcool quasi neutre espéré, voilà que la gnôle soufflait de puissants arômes de banane qui transmutaient à merveille en fruité exotique une fois en barriques. Les frères Le Lay, dernière génération, l’ont donc embouteillée telle quelle. S’en servir un verre vous ravit le palais tout en vous sculptant les biceps (le flacon plein pèse 1,7 kg). Le paternel peut être fier: les fistons eux aussi n’en feront qu’à leur tête.

La distillerie se visite gratuitement. Renseignements sur le site

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