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Comment WikiLeaks est devenu pro-Trump

Temps de lecture : 4 min

Depuis cet été, l'organisation de Julian Assange promeut les mêmes théories du complot que certains sites favorables au candidat républicain.

Julian Assange s'adresse à la presse depuis le balcon de l'ambassade d'Equateur à Londres, en février 2016. Crédit: Jack Taylor/AFP
Julian Assange s'adresse à la presse depuis le balcon de l'ambassade d'Equateur à Londres, en février 2016. Crédit: Jack Taylor/AFP

Les médias pro-Trump sont obsédés par la santé d'Hillary Clinton et relaient régulièrement des rumeurs selon lesquelles la candidate démocrate aurait récemment souffert d'une grave «lésion cérébrale», mais aussi de crises d'épilepsie, voire de la maladie de Parkinson.

Depuis quelques mois, ces sites ont un allié improbable: WikiLeaks. En effet, après le malaise de la candidate lors d'une cérémonie de commémoration du 11 septembre, le compte de l'organisation de Julian Assange avait tweeté un sondage qui semblait prendre au sérieux toutes ces rumeurs. Le tweet a ensuite été effacé (WikiLeaks a dit qu'il était trop «spéculatif») mais certains journalistes avaient pris le soin de faire une capture d'écran.

«Le malaise d'Hillary Clinton samedi, ses quintes de toux et ses mouvements inhabituels du corps et du visage peuvent être expliqué par: ses allergies et sa personnalité / la maladie de Parkison / la sclérose en plaques / les complications d'une lésion cérébrale.»

Ce tweet révélait une certaine communion de pensée entre WikiLeaks et des sites d'extrême droite comme InfoWars, Breitbart et Drudge Report, qui parlent depuis des mois des «étranges convulsions» de la candidate.

Déjà en août, le compte WikiLeaks avait tweeté un extrait d'email indiquant l'intérêt d'Hillary Clinton pour un médicament pouvant être utilisé pour traiter Parkinson. L'«info» avait été reprise par le site InfoWars, dont le fondateur Alex Jones est spécialiste des théories du complot (il pense par exemple que le gouvernement américain a mis en scène la fusillade de Sandy Hook pour limiter le port des armes).

La théorie des oreillettes cachées

Même chose en ce qui concerne l'obsession des médias pro-Trump pour les hypothétiques oreillettes de Clinton. Après une interview de la candidate sur NBC début septembre, le site Drudge Report avait lancé des rumeurs selon lesquelles l'ancienne secrétaire d'Etat portait une oreillette afin que ses associés lui soufflent des réponses. Très vite, le compte WikiLeak a publié un extrait d'un email hacké de Huma Abedin, la conseillère de Clinton:

«Des emails montrent que Huma Abedin est en charge de l'oreillette d'Hillary Clinton.»

Huma Abedin: «Est-ce que vous emportez votre oreillette ou est-ce que je dois la prendre?»

Cette annonce vague n'apprenait pas grand chose au lecteur mais permettait de nourrir les rumeurs complotistes. Comme le souligne un article de Bloomberg BusinessWeek, les délateurs oublient de préciser qu'Hillary Clinton s'était rendue le même jour à une conférence de l'ONU, où les oreillettes sont utilisées pour les traductions simultanées.

Le sanguinaire couple Clinton

Malgré l'absence de faits avérés, WikiLeaks va souvent dans le sens du complotisme anti-Clinton. Après le décès d'un salarié de l'organe central du parti démocrate (le DNC), Julian Assange a par exemple insinué que la victime était un lanceur d'alertes qui avait été assassiné car il avait trop d'informations gênantes sur la candidate démocrate. Alors que la police avait conclu à une tentative de vol ayant mal tourné, WikiLeaks avait offert une récompense de 20.000 dollars pour plus d'informations sur le cas.

Les pro-Trump avaient adoré les insinuations d'Assange, tout particulièrement Roger Stone, un proche du candidat républicain qui a écrit plusieurs livres expliquant que les Clinton sont responsables de la mort d'une quarantaine de personnes. Plus récemment, WikiLeaks a aussi retweeté des rumeurs venant d'un obscur site anti-Clinton selon lesquelles l'ancienne secrétaire d'Etat aurait dit qu'elle voulait faire tuer Assange par un drone.

Comme le notait Robert Mackey dans The Intercept, certains tweets du compte de WikiLeaks semblent quasiment avoir été rédigés par des communiquants pro-Trump. Par exemple, celui expliquant que l'intervention en Libye, soutenue par Hillary Clinton, a eu pour conséquence de laisser la place à l'organisation Etat islamique. Or répéter que Clinton et Obama sont entièrement responsables de l'existence de l'EI est un thème favori de Trump lui-même qui est allé jusqu'à affirmer qu'Obama avait «fondé Daech».

Clinton célèbre son rôle dans le meurtre du chef d'Etat libyen, qui a mené à la prise de pouvoir de Daech.

Julian Assange, qui selon des proches interviewés par Bloomberg BusinessWeek est probablement l'auteur de tous les tweets du compte WikiLeaks, avait déclaré en juillet que l'alternative Trump/Clinton revenait à choisir entre «le choléra et la gonorrhée».

Assange est-il devenu fou?

Après les fuites d'emails du département d'Etat américain en 2010, l'organisation est revenue sur la scène en juillet avec la diffusion d'emails internes du DNC. Les emails montraient l'animosité du comité démocrate à l'égard de Bernie Sanders, l'opposant de Clinton pendant les primaires, et ont mené à la démission de sa présidente.

Le 7 octobre, WikiLeaks a diffusé d'autres emails internes, ceux du chef de campagne de Clinton, John Podesta. Or le timing de cette diffusion était étrange: comme le soulignent les journalistes de Bloomberg BusinessWeek, elle est intervenue juste quelques minutes après la publication d'un article du Washington Post sur une vidéo de 2005 dans laquelle Donald Trump se vantait de pouvoir «attrapper les femmes par la chatte». Un peu comme si Assange essayait de riposter avec des informations négatives sur Clinton pour protéger Trump.

Ces publications d'emails hackés, qui ont permis de révéler des discours que Clinton avait tenus à Wall Street, correspondent à la mission de transparence de WikiLeaks. Mais le timing et le contexte des tweets font croire à un parti pris pour le candidat républicain. Contrairement à ce qu'avait annoncé Julian Assange, ces emails ne contenaient d'ailleurs aucun scoop terriblement accablant pour le camp Clinton. Ils sont malgré tout beaucoup cités par Trump et ses alliés.

Interviewés par Bloomberg BusinessWeek, des proches de WikiLeaks ont avancé plusieurs théories pour tenter d'expliquer le glissement d'Assange. Il est possible, avancent certains, que sa captivité dans l'ambassade d'Equateur à Londres (où il vit reclus depuis quatre ans) le rende un peu fou. D'autres pensent qu'il cherche tout simplement à atteindre le public le plus large possible, à rester pertinent, influent et écouté, meme si cela implique de courtiser les pires éléments complotistes d'internet. Cela aurait été difficile à imaginer aux début de WikiLeaks, mais Assange est désormais invité et célébré sur la chaîne conservatrice Fox News.

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