France

Les sportifs reconvertis en politique restent des sportifs

Temps de lecture : 7 min

Pas facile, en France, pour les anciens athlètes, de devenir des hommes politiques comme les autres.

David Douillet, sur les bancs de l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2009. Jacky Naegelen/REUTERS
David Douillet, sur les bancs de l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2009. Jacky Naegelen/REUTERS

On peut avoir été l'une des plus fines lames de l'histoire et rater lamentablement sa cible. Jean-François Lamour, champion olympique de sabre en 1984 et 1988 devenu député de Paris, en a fait l'amère expérience en se trompant de boutonc'est ce qu'il a dit, au moment de voter, vendredi 23 octobre, un amendement en commission des finances de l'Assemblée nationale.

Au lieu de rejeter la proposition du socialiste Didier Migaud favorable à une surtaxe de 10% sur le bénéfice des banques, combattue par Christine Lagarde, ministre de l'Economie, Lamour, porteur d'une procuration d'un autre parlementaire UMP, a donc voté doublement en faveur de la mesure. Résultat, l'amendement est passé contre toute attente. Acte manqué? Véritable erreur? Jean-François Lamour, ancien ministre des Sports de 2002 à 2007, modèle de sérieux républicain, s'est trouvé gêné aux entournures car il n'a jamais eu l'habitude de se faire remarquer sur les bancs de l'Assemblée nationale.

Le casting Douillet

Sa mésaventure n'a évidemment pas échappé à un autre double champion olympique tricolore, David Douillet, qui vient de faire une entrée fracassante au Palais Bourbon à la faveur d'une législative partielle. Le jeune élu y aura trouvé matière à faire le plein d'informations sur son nouveau métier en attendant la suite. Car la question n'est plus de savoir si notre poids lourd national deviendra un jour ministre des Sports, comme son collègue Lamour, mais quand il héritera de ce poste auquel il n'échappera pas selon toute vraisemblance. Très vite, ont tendance à répondre certains des témoins des actuels problèmes de la «tenante du titre», Rama Yade, plus très en cour à l'Elysée et Matignon.

Guy Drut, champion olympique admis à l'Assemblée nationale en 1986, lui suggère, cependant, de ne pas trop précipiter les événements. «Qu'il prenne d'abord le temps d'apprendre son métier de parlementaire», préconise le médaillé d'or des Jeux de Montréal, âgé de 58 ans, qui a récemment abandonné tous ses mandats. Ministre de la Jeunesse et des Sports de 1995 à 1997, député de Seine-et-Marne à cinq reprises entre 1986 et 2007, maire de Coulommiers de 1992 à 2008, Drut estime «avoir fait le tour de la question politique» et s'est désormais tourné vers le conseil aux entreprises. «Ça ne me manque pas du tout», ajoute-t-il sans regrets, même s'il juge que ses ennuis judiciaires liés à l'affaire des marchés truqués d'Ile-de-France ont gâché sa fin de parcours.

Les parrainages

Sans le parrainage de Jacques Chirac, à l'origine de cette vocation, Guy Drut n'aurait pas embrassé la carrière que quelques rares sportifs avaient osé affronter avant lui, mais dépourvus du prestige d'un sacre olympique. Maurice Herzog, vainqueur de l'Annapurna en 1950, fut ainsi nommé Haut Commissaire puis secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports du général de Gaulle de 1958 en 1965. Pierre Mazeaud, autre alpiniste, hérita du même poste de 1973 à 1976. En remontant plus loin dans le temps, il y eut, bien sûr, Jean Borotra, auréolé de sa gloire de Mousquetaire du tennis, mais dont la réputation fut ternie par son passage dans le gouvernement de Vichy en tant que commissaire à l'Education et aux Sports de 1940 à 1942. S'il ne fut pas un champion mondial comme Guy Drut, Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de 1969 à 1972, fut néanmoins un très bon joueur de rugby et de tennis de niveau national.

Champion du monde de patinage artistique à Colorado Springs en 1965 et vice champion olympique à Innsbruck en 1964, Alain Calmat, devenu chirurgien, n'avait pas prévu, lui, contrairement à Guy Drut, de faire de la politique jusqu'à ce qu'il reçoive, en juillet 1984, un coup de fil de Laurent Fabius. A sa stupéfaction, le plus jeune Premier ministre de l'histoire de la Ve République lui proposa le maroquin de ministre délégué à la Jeunesse et aux Sports. Alain Calmat l'accepta et plongea pour de bon dans le bain politique. «Je n'avais jamais songé à prendre ce chemin-là, avoue-t-il. Je n'avais eu aucun mandat électif avant d'être ministre. Je suis devenu député pour la première fois en 1986, comme Guy Drut, et aujourd'hui, je suis encore maire de Livry-Gargan.»

Prime de notoriété

Roger Bambuck, athlète, 5e de la finale olympique du 100m aux Jeux de Mexico en 1968, fut un autre sportif récupéré par la politique et bombardé Secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports de 1988 à 1991 sous le gouvernement de Michel Rocard. Plus récemment, Bernard Laporte, ancien sélectionneur du XV de France, a goûté aux mêmes délices ministériels avec des résultats plus que contrastés.

Car ce n'est pas parce que l'on a été capable de faire trébucher les All Blacks ou de courir le 110m haies en un peu plus de 13 secondes, que l'on fait forcément des étincelles, ou que l'on est mieux armé pour jouer dans l'arène politique. «L'adversité et la tension nous sont familières, résume Guy Drut. Mais le combat est différent. En politique, vous êtes moins maître de votre destin.»

Et d'ailleurs, le sportif est-il un homme politique comme un autre? «Oui», répondent en chœur Guy Drut et Alain Calmat, tous les deux d'accord, cependant, pour concéder qu'existe le bénéfice d'une prime de notoriété lors de la première campagne électorale. «Vous n'avez pas la nécessité de vous faire connaître», dit Alain Calmat. «Heureusement que je n'ai pas eu à faire figurer ma médaille de Montréal dans mes comptes de campagne, sourit Guy Drut. Mais une fois passé l'écueil de ce premier rendez-vous réussi avec les électeurs, vous avez une obligation de résultats comme tous les autres élus. Si vous n'êtes pas bon, vous vous planterez à la deuxième élection.»

«Pas si con, finalement»

S'il se souvient avoir été bien accueilli par l'ensemble de ses collègues RPR qui ne lui ont fait aucun procès en légitimité lors de son arrivée au Palais Bourbon en 1986, Guy Drut n'oublie pas non plus d'évoquer cette anecdote. «Un jour, alors que je lisais Le Monde dans l'hémicycle, l'un de mes camarades est passé derrière moi en me faisant remarquer que ça devait être un exercice difficile pour moi parce qu'il n'y avait pas d'images, raconte-t-il. Visiblement, l'image du sportif forcément un peu con qui lit "L'Equipe" avait la vie un peu dure chez certains. Lors de l'élection suivante, il s'est rétamé quand moi je suis passé. Je suis allé le voir pour lui dire : alors, t'as vu, pas si con finalement?»

Bien entourés et conseillés, Guy Drut et Alain Calmat n'ont eu aucun mal à se conformer à leur nouveau monde et à son langage teinté de prudence, notamment face à la presse. Eux aussi ont été adeptes de la langue de bois, ou «d'un certain euphémisme», selon Alain Calmat. Pour son plus grand malheur, Bernard Laporte a pris davantage de risques verbaux. Il a additionné quelques gaffes et sa blague douteuse sur la paternité de l'enfant de Rachida Dati l'a disqualifié aux yeux de beaucoup de ses nouveaux confrères.

Lance Armstrong candidat?

En dépit de ses déboires, Laporte persiste, pourtant, sur la voie politique en briguant une place d'éligible sur la liste UMP pour les régionales en Aquitaine où certains ténors, comme Alain Juppé, ont fait savoir qu'ils n'étaient pas ravis de la nouvelle. Ces derniers ne liront donc probablement pas «Dans un Bleu en politique», qui sort le 12 novembre aux Presses de la Cité, ouvrage dans lequel Laporte revient sur son expérience ministérielle et, notamment, sur le mépris affiché par Bernard Kouchner, qui, paraît-il, ne lui aurait jamais adressé le moindre bonjour.

Non, pas facile tous les jours d'être un ancien sportif qui fait de la politique. Pas évident non plus de sortir de sa «spécialité» comme le confirme Guy Drut, malgré l'exemple de Christian Estrosi, ministre de l'Industrie après une bonne carrière de motard au niveau français. «Si je n'avais pas eu mes ennuis judiciaires, je pense que j'aurais pu aller sur d'autres terrains ministériels, estime Guy Drut. Et je pense que Jean-François Lamour est tout à fait habilité à prendre, demain, la tête d'un ministère qui ne soit pas celui des sports.»

En attendant peut-être un jour un ancien sportif candidat à la présidence de la République sur le modèle du footballeur libérien George Weah, battu lors des élections de son pays en 2005, ou de l'ancienne star du basket américain Bill Bradley adversaire d'Al Gore lors des primaires démocrates en 2000. Aux Etats-Unis, ils sont quelques-uns à estimer que Lance Armstrong ferait aussi, un jour, un bon candidat à la Maison Blanche.

Yannick Cochennec

Image de une: David Douillet, sur les bancs de l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2009. Jacky Naegelen/REUTERS

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