Quand un femme cesse d'allaiter, il ne faut que quelques jours pour que ses seins, devenus par la grâce de l'enfantement une usine à lait ouverte 24/24, repassent à l'état d'appendices quasi inertes. Une étude publiée dans le numéro de septembre de la revue Developmental Cell décrypte le mécanisme cellulaire responsable de ce processus. Elle montre que les mêmes cellules qui participaient la veille à la sécrétion du lait se chargent le lendemain de boulotter leurs congénères et de nettoyer fissa les environs. Et qu'au cœur de cet auto-cannibalisme mammaire se trouve une petite protéine, nommée Rac1, qui semble par ailleurs très prometteuse pour mieux comprendre les cancers du sein.
Quand une femme n'est ni enceinte, ni allaitante, ses seins ne sont qu'un simple réseau de canaux recouverts de graisse. Avec la grossesse, des signaux hormonaux font proliférer les cellules épithéliales qui constituent la paroi des canaux et des alvéoles se forment – c'est là que le lait maternel sera produit et (brièvement) stocké. A la fin de l'allaitement, ces structures en viennent à s'auto-détruire, un suicide cellulaire massif générant pas mal de débris – et une taille de bonnet passant facilement du double au simple.
Avant l'étude menée par Nasreen Akhtar et ses collègues, ce coup de balai avait tout d'un mystère: en règle générale, c'est le système immunitaire qui se fait technicien de surface en chef, via la phagocytose. Sauf que ce processus implique de l'inflammation, avec son cortège de douleurs et de dégâts tissulaires – ce qu'on observe très peu à la fin de l'allaitement.
C'est là qu'intervient Rac1. Cette protéine «Pac-Man», importante autant pour la production de lait que pour la phagocytose, semble faire office d'interrupteur en ordonnant aux cellules épithéliales de grignoter leurs congénères sans trop faire appel à leurs cousines immunitaires.
Pour le découvrir, l'équipe d'Akhtar a «éteint» le gène Rac1 chez des souris. A la première portée, les petits ont survécu, mais ils étaient beaucoup plus chétifs que la normale, sans doute parce que le lait de leur mère ne contenait pas suffisamment de protéines et de graisses. Les choses se sont gâtées aux portées suivantes, vu que toutes allaient mourir. En cause, le fait qu'en l'absence de Rac1, le lait et les cellules mortes encombrent les mamelles et empêchent les tissus de se régénérer – et la souris de produire du lait frais pour ses petits.
En temps normal, Rac1 semble donc déclencher l'auto-cannibalisme des cellules épithéliales en faisant en sorte que les cellules mourantes restent plus longtemps accrochées aux alvéoles – les cellules épithéliales seraient ainsi d'autant plus «incitées» à faire le travail elle-mêmes plutôt que d'attendre les cellules immunitaires.
Une étude qui pourrait mieux expliquer le développement et la progression des cancers du sein. S'il est aujourd'hui acté qu'un temps d'allaitement long réduit le risque général, notamment chez les femmes ayant leur premier enfant après 25 ans, le risque de développer un cancer du sein demeure supérieur chez les femmes entre 5 à 10 ans après la grossesse – des cancers qui sont en tendance plus agressifs que la moyenne. Plusieurs chercheurs ont soulevé l'hypothèse que l'inflammation propre à la «restauration» des seins après l'allaitement pouvait jouer un rôle dans ce phénomène. Il y a fort à parier que de futures études regarderont de plus près celui qu'endosse la «protéine Pac Man» dans cette histoire.