Shaquille O'Neal, clinquante nouvelle recrue venue de Phoenix, et LeBron James, star jamais couronnée, vont-ils savoir jouer ensemble pour emmener les Cleveland Cavaliers vers un premier titre NBA? C'est la question qui agite le début du championnat de basket professionnel américain qui a repris ses droits, mardi 27 octobre, et qui connaîtra son dénouement, en juin, à l'occasion des play-offs où seront remises les traditionnelles bagues décernées aux champions.
Mais en coulisses, une autre arrivée éclipse, aux yeux de beaucoup d'observateurs, celle du massif et joyeux Shaquille dans l'Ohio. Les New Jersey Nets, l'une des 30 franchises de la NBA, s'apprêtent, en effet, à tomber dans les mains... d'un Russe qui s'avère être, paraît-il, l'homme le plus riche de son pays: Mikhail Prokhorov.
On connaissait Roman Abramovitch, le Russe qui s'est offert le Chelsea FC et l'a transformé en l'un des clubs les plus célèbres du championnat de football anglais. Voilà donc Mikhail Prokhorov, oligarque né à Moscou il y a 44 ans et en passe de prendre le contrôle d'un club de basket aux Etats-Unis, dans un sport culturellement identifié à la communauté noire. La preuve: le rappeur Jay-Z, l'un des plus gros vendeurs de disques actuels, est l'un des actionnaires minoritaires des... New Jersey Nets. Une cohabitation qui ne manquera pas de sel si la candidature de Mikhail Prokhorov est adoubée, comme c'est la règle, par au moins 23 des 30 propriétaires de franchises NBA qui ont le dernier mot dans le cadre d'une telle procédure.
200 millions de dollars
Selon toute vraisemblance, Prokhorov devrait pouvoir franchir cet ultime écueil et injecter, dans un premier temps, 200 millions de dollars pour devenir l'actionnaire majoritaire d'une équipe en souffrance à la recherche d'un passé glorieux pas si lointain puisque les Nets avaient disputé la finale NBA en 2002 et 2003. Les Nets, qui ont perdu 400 millions de dollars lors des cinq dernières saisons, ont besoin d'argent frais, et tout de suite, notamment pour construire leur nouvelle salle du côté de Brooklyn, censée redonner des couleurs et une âme à cette formation un peu perdue dans son enceinte actuelle d'East Rutherford, dans le New Jersey.
Un Russe à la tête d'un club NBA, c'est un événement considérable et même carrément une grande première car jamais dans l'histoire un étranger n'y a été l'actionnaire principal de la moindre équipe. Dans le sport professionnel américain existait un unique précédent, avec le Japonais Hiroshi Yamauchi, le président de Nintendo, qui s'était emparé de l'équipe de baseball des Seattle Mariners en 1992.
Du haut de ses deux mètres et de sa fortune estimée à 9,5 milliards de dollars par le magazine Forbes, Mikhail Prokhorov, qui préside également aux destinées du CSKA Moscou, champion d'Europe en 2006 et 2008, a évidemment tous les arguments pour jouer dans le monde de la NBA. Et défier les autres milliardaires américains qui encombrent les parquets de la ligue à l'image de Paul Allen, l'un des créateurs de Microsoft et propriétaire des Portland Trailblazers ou de Stanley Kroenke, à la tête des supermarchés Wal-Mart et qui veille sur le destin des Denver Nuggets.
Prostituées
Mikhail Prokhorov s'est, lui, enrichi dans l'industrie minière, mais les investigateurs de la NBA, chargés d'examiner son dossier avant l'heure du choix, auront sans doute du mal à faire toute la lumière sur l'origine de cette colossale fortune qui suscite, et c'est bien là l'essentiel, l'appétit de David Stern, le patron de ligue professionnelle de basket. Ce dernier entend donner, en effet, une dimension de plus en plus internationale à la NBA en allant notamment chercher les espèces sonnantes et trébuchantes là où elles se trouvent en des temps économiquement difficiles. Alors peu importe la couleur trouble des dollars de Prokhorov et ses démêlés avec la police... française que l'oligarque avait dû affronter en janvier 2007 sur les pistes de Courchevel où il avait été soupçonné d'avoir eu recours à des prostituées venues de Russie pour divertir ses invités à l'occasion du réveillon du Nouvel An. Mais Prokhorov, à la réputation reconnue de play-boy dans son pays, n'a finalement pas été inquiété par la justice qui a délivré un non-lieu en ce qui le concerne...
Les fans des New Jersey Nets ne devraient pas être très regardants non plus et recevront avec plaisir ce nouveau Tycoon qui pourrait leur permettre de rêver à nouveau lorsque s'achèvera la saison 2010, au terme de laquelle trois des stars de la NBA, LeBron James des Cleveland Cavaliers, Dwyane Wade des Miami Heat et Chris Bosh des Toronto Raptors se retrouveront ensemble libres de tout contrat et donc prêts à s'offrir au plus offrant, qui pourrait bien être Mikhail Prokhorov.
En Russie, en revanche, la nouvelle de cette possible acquisition a été accueillie fraîchement, y compris par Dmitri Medvedev, le Président russe, un proche, qui n'a pas caché qu'il aurait préféré que Prokhorov investisse ses liquidités dans l'économie et le sport de son pays tout en reconnaissant l'audace de la démarche. Tout ce qui peut ressembler à un pied de nez adressé aux Américains n'est pas, après tout, si mauvais au moment où l'on célèbre les 20 ans de la chute du mur de Berlin et du communisme. Un Russe aux commandes d'une franchise NBA, voilà une blague qui aurait bien fait rire Ronald Reagan dans le bureau ovale.
Un mur tombe
Avec Prokhorov en NBA, c'est un vrai tabou qui sera levé aux Etats-Unis où il avait déjà fallu attendre longtemps avant de voir les équipes s'ouvrir aux étrangers, un mur tombant définitivement avec l'atterrissage du Chinois Yao Ming aux Houston Rockets en 2002. C'est probablement le début d'une révolution de management et de la libéralisation totale du marché du basket professionnel qu'a déjà faite si spectaculairement le championnat de football anglais, le plus riche au monde, en se «donnant» à des investisseurs étrangers plaqués or comme l'autre oligarque russe Roman Abramovitch, devenu, on l'a dit, le maître de Chelsea, ou de l'Américain Malcolm Glazer qui a fait un raid sur Manchester United, le club le plus rentable de la planète. Glazer a eu du mal à se faire admettre des supporters mancuniens, qui n'ont pas goûté cette invasion étrangère motivée par le seul appât du gain et certainement pas par l'amour du club, valeur sur laquelle on ne transige pas outre-Manche.
Deux autres Américains aux jolis carnets de chèques, Tom Hicks et George Gillett, devenus copropriétaires du Liverpool FC, autre monument du football anglais, n'ont pas été mieux accueillis non plus. Ces derniers temps, ce fut même leur fête tandis que le club plongeait dans la crise en raison de mauvais résultats en Premier League et en Ligue des Champions. «Yanks out», «American Bastards», telles furent les banderoles déployées par les foules en colère qui ont manifesté leur mécontentement, le 25 octobre, avant le coup d'envoi de la rencontre Liverpool-Manchester United. «Les responsables de nos problèmes, ce sont eux et personne d'autre, expliquait un responsable d'un club de supporters le week-end dernier au Daily Mail repris par L'Equipe. Ce sont eux qui ont creusé une dette de 245 millions de livres. Eux encore qui nous ont promis un nouveau stade dont la première pierre n'a toujours pas été posée. Eux enfin qui se sont servis de l'argent du club pour rembourser leurs propres emprunts. Ils doivent s'en aller immédiatement. » L'argent ne fait pas forcément le bonheur des supporters. Mais Mikhail Prokhorov, comme tous ses confrères milliardaires et les joueurs qu'ils rémunèrent grassement, n'en a sûrement cure...
Yannick Cochennec
Image de Une: Joueurs des New Jersey Nets, REUTERS/Ray Stubblebine
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Image de Une: Match des New Jersey Nets contre les Charlotte Bobcats, REUTERS/CHRIS KEANE