En 1917, un économiste américain d'extrême gauche proposait une «défense» de la Poste qui allait beaucoup bien plus loin que celles avancées aujourd'hui. Ses thèses méritent examen.
La Poste française estime que ses 17 000 bureaux de postes sont trop nombreux. Elle veut continuer d'en fermer et les remplacer par des points de contact chez les commerçants: le boulanger ou le boucher ou le buraliste, rendra les services de base des facteurs: collecter le courrier, le distribuer, verser des mandats... La contestation actuelle porte sur ces fermetures et la désertification des «services publics» qui s'en suit.
Thornstein Veblen avait développé toute une théorie des civilisations barbares où le guerrier tenait le haut du pavé et les femmes étaient réduites aux services qu'elles rendaient. Selon Veblen, nous en sommes encore là. La civilisation moderne a ses classes oisives dont les méthodes ont changé mais dont l'objectif est identique: accaparer les biens des autres sans travailler. Les hommes d'affaires, il s'agit d'eux, s'adonnent aux loisirs «ostentatoires» et sa/ses femmes gaspille(nt) dans la toilette. Veblen estime que l'enseignement supérieur est perverti par les intérêts mercantiles et que les professeurs ne cultivent que leur «vendabilité». Il dira aussi que les conflits sociaux viennent non pas de la lutte des classes comme Marx, mais des tensions auxquelles les nouvelles technologies soumettent les institutions anciennes, ce qui fait de lui le père de l' «institutionalisme».
Thornstein Veblen était un sacré loustic. Assez sadique, au début de son cours, il remplissait le tableau d'une liste gigantesque de livres et annonçait que le test de la semaine prochaine porterait sur tous ces ouvrages. Il a été licencié de Chicago et de Stanford pour ses aventures sexuelles multiples avec des étudiantes ou les femmes de ses collègues.
En 1917, les Etats-Unis entrent en guerre, l'administration fait appel aux économistes pour organiser les productions avec moins d'hommes. Pour pallier aux pénuries de main d'œuvre dans les fermes du Midwest, Veblen propose de prendre comme volontaires les syndicalistes gauchistes de l'IWW (Industrial Workers of the World) qui font l'objet de surveillance et de répressions policières.
Puis, nous y voilà, pour que les boutiques des campagnes ne soient pas vidées de leurs commerçants, il propose de faire distribuer les denrées par... les postiers. D'ailleurs à ses yeux, cela tombe bien: 90% de ces boutiquiers de villages sont des «parasites» qui ne font que renchérir le prix des produits. La Poste organisatrice des petits colis est la solution économique.
L'administration de guerre n'apprécie pas ces propositions et Veblen est viré au bout de 5 mois.
Pourtant, voilà qui devrait donner des idées: le boulanger, le boucher, le buraliste ferment. La Poste peut tout faire. Non?
Eric Le Boucher
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Image de Une: Lors d'une manifestation des postiers à Nice Eric Gaillard / Reuters