L'armée sri-lankaise a annoncé samedi 16 mai avoir pris le contrôle de la totalité du littoral du Sri Lanka pour la première fois en 25 ans de guerre civile contre les séparatistes tamouls, désormais totalement encerclés sur un réduit d'un kilomètre carré. Nous republions ci-dessous une analyse de François Chipaux, publiée sur le Slate en mars 2009, alors que les rebelles ne controlaient plus qu'un réduit de 100km2.
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En dépit des pressions de plus en plus fortes de la communauté internationale et de son puissant voisin indien, le gouvernement sri-lankais refuse toujours tout cessez le feu avec les séparatistes tamouls du LTTE (Tigres de Libération de l'Eelam Tamoul) aujourd'hui acculés dans un périmètre de moins de 100 km2 le long de la côte au nord-est de l'île. La seule option offerte aux Tigres qui se battent depuis près de trente ans pour une patrie indépendante pour la minorité tamoule est la reddition totale.
Depuis son élection fin 2005 à la tête du Sri Lanka, le président Mahinda Rajapakse n'a poursuivi qu'un but: celui de défaire militairement le LTTE, seul moyen selon ses proches, de mettre fin à une guerre sanglante qui a déjà fait plus de 60.000 morts. L'abrogation par le gouvernement en janvier 2008 du cessez-le-feu négocié avec le LTTE sous l'égide de la Norvège, qui avait déjà sur le terrain volé en éclats, a donné le signal d'une offensive générale de l'armée. Mais contrairement aux tentatives précédentes, le gouvernement s'est donné cette fois-ci tous les moyens de sa réussite et a fait de la guerre son unique préoccupation.
La victoire à tous prix recherchée par les autorités a entraîné toutefois de nombreuses victimes. Défenseurs des droits de l'homme, journalistes, critiques ont été des cibles faciles et plusieurs ont payé de leur vie leur opposition aux méthodes gouvernementales. Sur le front d'une guerre qui se déroule sans témoins puisque l'accès aux zones de combat est interdit par les deux belligérants, tous les coups sont permis et les victimes civiles et militaires ne se comptent plus. Pris dans l'étau qui se resserre sur l'état-major du LTTE, des dizaines de milliers de civils tamouls sont retenus en otages par les tigres alors que des dizaines de milliers d'autres qui ont pu s'échapper sont parqués par l'armée dans des camps dont ils ne peuvent sortir de crainte que des combattants se soient infiltrés parmi eux.
Des centaines d'autres sont morts dans les échanges de tirs. La défense, qui absorbe déjà 20% du budget, est une priorité qui pèse lourd sur la vie quotidienne des Sri Lankais déjà affectés par la crise mondiale avec l'effondrement des cours du thé et du caoutchouc et des commandes dans le textile.
Dans l'espoir d'une nouvelle ère de paix, la majorité cinghalaise (74% de la population) soutient le président mais des voix s'élèvent pour que dans la victoire ne soit pas oubliée les droits légitimes de la minorité tamoule. En s'arrogeant par la force des armes — le LTTE a éliminé toutes les voix tamoules modérées — l'exclusivité de la cause tamoule, les tigres ont rendu difficile l'organisation d'un dialogue indispensable pour le futur.
«La fin de la guerre devra être célébrée comme une victoire de la démocratie et de la liberté sur un régime de terreur et d'emprisonnement, une victoire que toutes les communautés puissent partager», écrivait récemment un groupe de «citoyens inquiets», comprenant des moines bouddhistes, des évêques, des intellectuels cinghalais, tamouls et musulmans.
Tout occupé à la guerre, le gouvernement s'est montré jusque là incapable de développer une stratégie politique de nature à répondre aux aspirations de la minorité tamoule. Plusieurs solutions ont déjà été évoquées et celle d'un état fédéral proposé il y a quelques années par l'ancienne présidente Chandrika Kumaratunga semblait à l'époque pouvoir être accepté. Pour répondre au défi de la paix, le président devra sans doute marginaliser ceux de ses proches qui ont toujours réduit le conflit à une guerre contre le terrorisme. Les réformes politiques indispensables pour l'avenir d'une île multicommunautaire entraîneront un partage du pouvoir que dans l'euphorie de la victoire certains au sein du gouvernement ne sont sans doute pas prêts à envisager.
Pour l'instant toutefois, les Sri Lankais ne croiront à la paix que si le gouvernement peut leur apporter la preuve que le chef suprême du LTTE, Velupillai Prabakharan, qui a régné sans partage sur une organisation monolithique dont il est le seul décideur, a été éliminé de la scène.
Françoise Chipaux