L’école, ce n’est pas que des heures de classe, c’est aussi pas mal de temps de récréation, surtout pour les élèves, nombreux, qui restent manger à la cantine. Ce temps de liberté est peut-être plus important qu’on ne le pense souvent pour la socialisation et le développement de l’enfant. Pouvoir en profiter pleinement participe aussi du plaisir d’aller à l’école et de l'épanouissement en général… Et ça commence peut-être tout simplement par le fait de pouvoir jouer davantage. Mon expérience à l'école, et celle de ma fille aujourd'hui, me font dire qu'on ne s'amuse pas toujours dans une cour de récré, on s'ennuie même parfois beaucoup, malgré les autres enfants.
Des gosses qui font des trucs bizarres, qui se traînent dans des caisses en plastique attachées à un bout de tissu, jouent à la corde à sauter avec un tuyau, font semblant de taper à l’ordinateur avec de vieux claviers pendant que d’autres sautent sur un carré en mousse beige qui serait «à la fois un trampoline et un lit»... Plus loin, un groupe de filles qui joue au salon de coiffure avec un vieux fauteuil et des téléphones de bureau... Trois gamins assis sur un tuyau agrémenté de roues –ils l’ont construit eux-mêmes–, et trois de leurs copains tirent cet étrange véhicule. Ici, on traîne, pousse, tire, roule, on saute... Nous sommes dans une cour d’école.
Voici quelques paroles attrapées à la volée avec des enfants de 6 à 10 ans:
«Moi, je joue avec mes amies, on fait des tours de manège, on se met dans le tonneau et, après, on s’assoie sur le pneu et on se tire, c’est comme un pouf, c’est trop bien.»
«Moi, j’aime bien jouer avec les rouleaux et les planches, je suis équilibriste.»
«Nous, on fait des cabanes mais c’est le tonneau que je préfère…»
«Ici, c’est le commissariat, on reçoit les appels et après on va faire la police.»
Plusieurs enfants m’ont également confié adorer le fauteuil roulant: «Tout le monde le veut. On s’amuse à se promener et c’est très amusant.»
Les outils pour jouer
Une cour d’école élémentaire qui ressemble à la plupart de celles que j’ai pu voir, un peu plus grande peut-être. Il est midi et c’est plutôt bruyant, des gamins courent et sautent partout. Petites filles et petits garçons essoufflés, affairés ou rigolards… C’est l'heure de la récré de la mi-journée, ils entrent et sortent de la cantine où les services du déjeuner se suivent et profitent de la plus longue pause de leur journée d’école. Cette école, c’est celle de la rue Wurtz, dans le XIIIe arrondissement de Paris, et elle offre une belle image de l’école publique: les bâtiments sont rénovés, la cour est grande et les enfants ont l’air de beaucoup s’amuser. Valérie Monciaud, responsable des animateurs, travaille ici depuis trente ans, c’est peu dire que cette professionnelle a de l’expérience:
«J'aime beaucoup cette école, qui est très mixte socialement, on a vraiment tous les types de populations du quartier et cela se passe bien.»
Ces enfants jouent avec tout ce qui leur tombe sous la main ou, plutôt, tout ce qu’on leur a mis sous la main: une multitude d’objet sortis d’une sorte de coffre en bois géant qui ressemble un peu à un abris de jardin: La Boîte à jouer, soit un dispositif proposé par l'association Jouer pour vivre, qui fait appel au financement participatif pour se développer. Voici comment ses concepteurs décrivent le projet:
«Il s'agit de transformer l'environnement humain et matériel existant dans les cours d'écoles, pour favoriser le jeu libre et créatif des enfants et permettre la réutilisation d'objets voués à être jetés. Un "coffre à jouer" géant posé dans les cours de récréation, rempli de matériel issu du recyclage, et mis à la disposition de tous les enfants de l’école.»
J’ai pu voir des tubes de carton, des pneus, des morceaux de tissu, des filets, des claviers d’ordinateur, une vraie poussette, des téléphones, des caisses, des morceaux de mousses, des tubes et le fameux fauteuil roulant... Un joyeux bordel plein de possibilités pour s’amuser.
Pour Jean-Marc Brunet, cofondateur de La Boîte à jouer, le principe se résume en quelques mots:
«Favoriser le jeu pour plus de bien être! La confiance sont développés ainsi que la socialisation entre enfants: collaboration, négociation, entraide. Le jeu favorise également le fait d’apprendre en expérimentant et développe la créativité des enfants.»
Jouer pour vivre est une entreprise sociale et ses responsables ont dû bien roder leur discours pour convaincre –et ils sont convaincants– d’autant que le projet semble parfaitement coller à l’époque: collaboratif, créatif, écolo…
Tous ensemble, mais à quel prix?
Bien entendu, certain ne les ont pas attendus pour mettre des jouets dans les écoles élémentaires et on peut aussi organiser autrement les récréations sans forcément recourir à une collaboration extérieure. Ainsi Pierre Baylet, directeur de l’école du Peyrouat à Mont-de-Marsan, a eu lui aussi l’idée de placer des jeux et des jouets dans sa cour:
«Nous avons mis à disposition des jeux simples: des raquettes avec des balles en mousse, des échasses (vous savez ces sortes de boîtes en plastique munies de ficelles) des cordes à sauter, des jeux de société et des Kapla. À l’heure où je vous parle (il est midi et demi) je vois une quinzaine d’enfants de tous âges, filles et garçons faire une construction avec ces morceaux de bois. Ils ont l’air très occupés!»
Pour Pierre Baylet, il s’agit d’une organisation de la cour qui participe d’un travail global de l’équipe éducative de son école pour améliorer le climat scolaire. Et il est très satisfait:
«L’idée de mixité de genre et d’âge est très importante pour nous. Les enfants se mélangent vraiment entre eux et il y a davantage de jeux collectifs. Quand on sort les ballons, un vaste espace de la cour va être occupé par une minorité de garçons. Avec les jeux que nous avons installés, il y en a pour tous les goûts. Ceux qui le souhaitent peuvent également jouer à deux ou à trois, même tous seuls, le collectif n’est pas une obligation. Les possibilités sont simplement beaucoup plus variées.»
Même si le terme est parfois moqué, pour réaliser le fameux «vivre ensemble» et en faire une réalité à l’école, il faut le vouloir et s’en donner les moyens.
Car tous ces jeux ne sont pas gratuits. Comptez 7500 à 20.000 euros pour une «boite à jouer» sachant que les objets sont contrôlés et qu’une formation est délivrée aux animateurs. Pour Jean-Marc Brunet, qui insiste sur la dimension écologiste de son dispositif, c’est le prix d’un toboggan et que les écoles peuvent aussi faire appel à du financement participatif. [1]
A l’école du Peyrouat, le projet est plus modeste et beaucoup moins coûteux: 1000 euros sur deux ans dont 500 pour les fameux Kapla (qui coûtent assez cher et qu’il faut acheter en grande quantité) et il est financé par la coopérative de l’école.
Apaiser les enfants
Mais pour les directeurs d'école, cela porte ses fruits. Valérie Monciaud, à la tête de l'équipe des animateurs à l'école de la rue Wurtz, juge les effets du dispositif très positifs car cela fait retomber les tensions:
«Les enfants jouent tous davantage, il y a moins d’histoires, de disputes, de bagarres. J’ai vu des gamins en conflit permanent se mettre à s’amuser ensemble. Et ce qui est intéressant aussi, c’est de voir tous des enfants de tous les niveaux jouer alors que les grands étaient moins enclins à s’adonner aux jeux collectifs. Certains enfants continuent de fréquenter nos activités traditionnelles: les clubs, la bibliothèque et c’est très bien. Mais aujourd’hui, tous sont occupés et cela fait une vraie différence sur l’ambiance de la cours.»
Vincent Magos est psychanalyste, il dirige un programme en Belgique, Yapaka, dont tout un volet repose sur le jeu et ses des vertus (le programme s’appelle «Jeu t’aime») avec des dispositifs similaires à celui de La Boîte à jouer dans les cours d’écoles en Belgique. Pour lui, si les jouets et jeux font baisser les conflits, c’est aussi parce que leur absence est préjudiciable aux enfants:
«Quand les enfants n’ont rien à faire, l’autre peut devenir le support (ou la victime) du jeu. L’autre devient un objet sur lequel un ou plusieurs enfants vont se défouler.»
Le psychanalyste n’hésite pas à avancer que la violence ou le harcèlement scolaires naîtraient aussi d’une forme de désœuvrement et d’ennui. Permettre aux élèves de jouer relève d’une forme de prévention positive… et vraiment efficace.
Les retours sur les dispositifs mis en place dans les écoles belges sont sensiblement les mêmes que ceux observés par mes interlocuteurs français:
«Une modification des dynamiques entre enfants, augmentation du mélange des enfants, réduction de la violence et de l'ennui, stimulation de la créativité, amélioration des capacités à gérer les risques...»
Selon Pierre Baylet, les répercussions se font sentir sur toute la journée d’école:
«Les enfants reviennent plus apaisés en classe. Le foot, par exemple, peut provoquer des conflits qui ne retombent pas forcément après la fin de la récréation. Et puis les jeux plus calmes favorisent une reprise plus rapide du travail.»
Rue Wurtz, le plus compliqué semble de demander aux enfants d’arrêter de jouer, de lâcher leurs constructions réelles ou imaginaires. Valérie Monciaud raconte avoir dû sermonner des CM2 qui demandaient au CP de surveiller le résultat de leur bricolage! Enfin, il faut remettre la cour en ordre et refermer la boite afin de pouvoir jouer le lendemain et donc arriver à tout faire ranger aux enfants qui, comme à la maison, ne s’y prêtent pas tous de bonne grâce. «Même si certains adorent ça», note l’animatrice en souriant.
1 — Le dispositif Boîte à jouer est proposé au vote du budget participatif de la ville de Paris. Retourner à l'article