Depuis la rentrée on assiste à une véritable explosion de l'offre dans le domaine des bouquineurs (plus joli que reader non?). Cette explosion est, sans doute, davantage celle du nombre de modèles que d'exemplaires vendus, chaque fabricant désirant se positionner sur un marché naissant. L'explosion en volume provient, elle, du succès de l'iPhone et des divers PDA qui peuvent sans problème être utilisés comme bouquineurs bien que les écrans soient un peu petits. Plus de deux millions d'appareils actuellement en France et sans doute cinq millions à la fin de l'année prochaine ne doivent pas laisser indifférent.
Cette explosion est l'occasion inespérée pour la presse et l'édition de pénétrer leur cible rêvée depuis de nombreuses années: le marché des jeunes. Toutes les conditions sont réunies. Le vecteur est déjà dans les mains des futurs utilisateurs, il permet une mise à disposition immédiate des textes ce qui est une condition nécessaire du succès. Il est illusoire en effet de penser que des jeunes n'ayant jamais lu rentrent tout à coup et par une sorte de besoin subit ou d'illumination transcendantale dans une librairie ou une bibliothèque, par contre pour un chargement sur un iPhone, ils sont en pays de connaissance.
Mais si l'offre matérielle existe d'ores et déjà, les contenus sont quasi absents. Nous somme en train de recommencer l'histoire des CD et DVD lorsque les fabricants ont inondé le marché de lecteurs MP3 sans que les éditeurs de musique fournissent de quoi les remplir. On parviendra donc rapidement aux mêmes problèmes qu'aujourd'hui et plutôt que de voir une diffusion augmentée de la presse et de la littérature nous assisterons à de nouvelles pantalonnades pour les Hadopi 3,4,5 à venir.
Par offre quasi absente j'entends:
1- La multiplication des entrants et la volonté de leadership (ainsi que celle, compréhensible, de contrôle les copies) entraîne un floraison des formats de fichiers les livres électroniques rendant l'interopérabilité des bouquineurs et des sites de vente hasardeuse. Par exemple deux fournisseurs majeurs Numilog et Mobipocket n'ont pas jugé bon, jusqu'à présent, de proposer un logiciel permettant de lire leurs produits sur iPhone. Quelques dizaines de millions de lecteurs potentiels dans le monde ne semblent pas les intéresser.
2- La politique de prix suit celle qui a conduit les majors du disque où l'on sait. Pas ou quasiment pas de réduction pour la version numérique. Sur certains sites même, le livre numérique est plus cher que l'exemplaire papier livré à la maison par Amazon! Au mieux on peut espérer aux alentours de 5% de rabais par rapport au papier. Comment faire croire que les frais depuis la fin de la composition (où il est facile de récupérer en PDF le fichier à vendre) jusqu'à l'achat par le lecteur ne représentent que 5% du coût d'un livre? Et que l'on ne nous parle pas du coût d'un site de vente en ligne, il n'y a aucune comparaison possible dans les ordres de grandeur.
3- La majorité des titres proposés ont des sujets techniques, ce qui est sans doute souhaitable mais ne relancera en rien l'intérêt du public pour la littérature. Combien par exemple de romans se présentant cet automne aux prix littéraires sont-ils disponibles sur les divers sites de vente en version numérique? Au mieux un ou deux et encore j'en doute...
Heureusement que quelques associations numérisent des livres libres de droit (que d'autres sites d'ailleurs osent faire payer). Il faut les en remercier ici, car n'est pas désagréable de retrouver les grands classiques dans un format numérique grâce à eux.
On se demande pourquoi les éditeurs semblent estimer que leur métier est de vendre du livre et non de la littérature. Cette dernière a la même valeur quelque soit le support! Quel est l'intérêt pour eux et pour leurs auteurs d'augmenter leur prix de vente des frais de papier, d'encre, de transport et de rémunération d'intermédiaires? Sans compter l'impact de toute cette activité sur notre planète.
Il est certain, par contre, qu'encore plus que pour la musique l'arrivée du livre électronique risque de distendre le lien entre auteur et éditeur car la quasi totalité de l'expertise technique de l'éditeur n'aura plus grande valeur ajoutée. Ce métier devra développer son expertise artistique, la recherche de nouveaux talents et la promotion de la littérature de qualité ce qui ne peut être que profitable à tous.
Depuis des décennies tout l'effort dans la culture a consisté à s'arcbouter sur le passé. Nous avons eu la lutte du Cinéma contre la télévision avec par exemple des mesures aussi ridicules que la suppression des films à la TV le vendredi et samedi soir, jours où le bon peuple doit aller préférentiellement remplir les salles obscures. La dégringolade des audiences subséquente conduisant à la recherche toujours plus nécessaire des subventions ce qui a obligé les auteurs de qualité à se transformer en chasseurs de prime ou à se taire. Puis ce fût cette magnifique expression «l'exception culturelle française» aussi vide qu'inefficace, les taxes sur les supports magnétiques, les diverses lois sur la contrefaçon, les diverses Hadopi. Pour quels résultats? Est-ce cela que l'on veut comme avenir pour la littérature, la presse et nos jeunes?
PS: On nous ressortira bien évidement les commentaires nostalgiques sur l'odeur du papier, son toucher, celui d'une belle reliure, mais cela n'est certainement le cas, au mieux, que pour un à deux pour cent des livres vendus. Le toucher d'un livre de poche et son odeur ne génère chez moi aucune jouissance particulière et sa reliure aurait plutôt tendance, quand elle ne laisse pas échapper les pages, à m'empêcher de lire à plat et à m'irriter la peau avec ses coupures franches au massicot automatique. Quand au toucher des journaux, il est poisseux et noircissant non? Le plaisir de me trimbaler quelques kilos de papier quand je me déplace, étant lui très relatif.
Michel Reynaud
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Image de Une: le Kindle 2 présenté par Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, Mike Segar / Reuters