France

Jean-François Copé: identité nationale, réussir le débat

Temps de lecture : 8 min

Il est vital de retrouver les raisons de vivre et de réussir ensemble.

En pleine campagne législative, en mai 1997, j'ai vécu une rencontre qui m'a profondément ébranlé. J'avais 32 ans et j'étais pétri des certitudes que m'avaient transmises mes professeurs: le culte de l'Etat infaillible au service de la Nation éternelle. Nouvellement élu, je pensais que la politique était facile. J'avais alors été abordé par une jeune mère de famille française d'origine algérienne, que j'avais déjà rencontrée à plusieurs reprises.

A la fin de notre discussion, elle s'était tournée vers son fils, âgé d'une dizaine d'années, en lui disant: «Regarde, c'est le maire. Si tu veux lui demander quelque chose, profites-en.» Encore bercé par les grands principes appris à l'ENA, j'avais voulu donner à ce garçon une belle leçon de civisme en lui citant la fameuse phrase de Kennedy: «Tu ne dois pas te demander ce que ton pays peut faire pour toi mais ce que tu peux faire pour ton pays.» La ficelle était un peu grosse mais c'était ma manière de contribuer à l'éducation à la citoyenneté que tout élu local doit à ses jeunes administrés. La réponse du petit garçon ne se fit pas attendre: «Mais maman, quand est-ce qu'on rentre dans mon pays?»

Depuis, je me demande encore ce que ce petit Français, né en France, avait dû entendre dans sa famille pour croire qu'il était en exil et que son pays n'était pas la France, alors qu'il n'avait jamais vu aucun autre pays. Cette réflexion m'avait tétanisé. Je prenais soudain la mesure de la fragilité de notre communauté nationale. Toute la construction intellectuelle que je m'étais faite sur le thème de l'intégration s'écroulait.

Depuis, je suis convaincu que la question de l'identité nationale doit être un thème structurant du débat dans notre pays. C'est une question qui ne se pose pas seulement pour les Français issus de l'immigration récente mais qui interpelle chaque citoyen, quelle que soit sa région, son origine, sa couleur de peau, sa confession... Notre nation se fissure en silence parce qu'il n'y a pas de discours sur l'identité.

Depuis une trentaine d'années, nous avons commis l'erreur de ne pas expliquer ce que cela signifie «être Français aujourd'hui». On a fait comme si la population d'aujourd'hui était la même qu'il y a cinquante ans, en oubliant l'évolution de sa composition, de ses origines, de ses pratiques religieuses, de ses modes de vie... La population issue de l'immigration de la seconde moitié du XXe siècle n'a toujours pas reçu les codes d'accès. Cela a conduit à des tensions grandissantes au sein d'une population composée de gens qui sont tous Français mais qui, parce qu'ils n'ont pas eu les repères nécessaires, ne se parlent pas, ne s'écoutent pas, ne se respectent pas.

Il est vital de retrouver les raisons de vivre et de réussir ensemble pour prolonger l'aventure française en tenant compte de la diversité de notre société. C'est ma conviction profonde et c'est pour cela que j'ai lancé Génération France.fr dont la réflexion depuis 2006 porte sur l'identité. J'avais encore évoqué ce thème sur Slate en mai dernier en proposant une grande concertation auprès de tous les Français, qui pourrait s'inspirer de la démarche lancée au Canada en 1991, «le forum des citoyens pour l'avenir du Canada.»

Le Gouvernement a lancé le débat sur l'identité nationale. C'est une opportunité à saisir. Avec les députés UMP d'une part, et GénérationFrance.fr d'autre part, j'y apporterai ma contribution. Mais ce débat n'aura d'intérêt que si l'on ne se trompe pas sur la méthode et les enjeux. Il y a à mon sens trois écueils à éviter et trois idées cruciales à assumer totalement.

Premier écueil: faire de ce débat un prétexte politicien. De ce point de vue, je regrette de voir qu'on est malheureusement mal parti. Je m'inquiète de voir, de tous côtés, la course à celui qui s'appropriera le débat au détriment des autres. Or l'identité nationale n'appartient à personne. Elle concerne chacun d'entre nous, bien au-delà des clivages partisans. Ce débat ne doit pas servir à diaboliser ou diviser. Il doit être l'occasion de réfléchir tous ensemble.

Deuxième écueil: réduire cette grande réflexion structurante pour notre pays à un petit gadget ponctuel. Mener un débat sur deux mois et demi dans toutes les préfectures et sous-préfectures et terminer sur un colloque c'est un point de départ, un « tour de chauffe » ! Mais cela ne suffit pas. Ne croyons pas que nous aurons clôturé en deux mois une réflexion qui doit être permanente !

Dernier écueil: impliquer uniquement des experts et des responsables politiques. Nous avons bien sûr besoin des avis éclairants d'historiens, de philosophes, d'intellectuels... mais surtout ce sont les Français qui doivent s'approprier ce débat, dans leurs cercles d'amis, dans leurs associations, dans leurs entreprises... Avec les députés UMP, nous avons décidé d'organiser des consultations dans nos circonscriptions et de créer un site de débat sur Internet pour aller à l'écoute des Français au plus près du terrain. Je salue l'initiative de Slate qui invite chacun à contribuer à cette démarche ici-même.

Au-delà de ces écueils de méthode, ayons toujours en tête que l'identité est une réalité complexe. Elle renvoie autant à des aspects collectifs qu'à des questionnements très intimes. Elle ne se substitue pas à toutes les identités mais peut s'articuler avec d'autres éléments identitaires. Elle ne se décrète pas, elle se construit. Davantage par la réflexion personnelle, le dialogue, la transmission que par la loi. Je veux insister sur trois piliers qui constituent l'identité et devront structurer le débat. Si on en oublie un, on passera à côté du sujet.

Etre Français, c'est s'approprier l'histoire de ce pays, riche de sa diversité, quand bien même nous ne sommes évidemment pas tous descendants des Gaulois. Tous les Français, quelle que soit leur origine, doivent pouvoir s'inscrire avec fierté dans cette histoire, en assumant ses heures de gloire et ses parts d'ombre. Jeune Français né de parents algériens, petit Français de sang mêlé dont le grand père est arrivé en France pendant l'entre-deux-guerres, comme c'est mon cas, ou Corses Français depuis des générations, nous sommes tous légitimes à nous reconnaître dans cette histoire pour mieux la prolonger aujourd'hui. Cela n'empêche pas le débat sur le passé. Bien au contraire, l'histoire est faite de plusieurs voix et c'est par la recherche permanente d'une meilleure connaissance de notre passé, dans toute sa complexité, que se construit l'héritage commun. Je suis par exemple persuadé que nous avons besoin de parler sans tabou de toutes les blessures cachées liées à la guerre d'Algérie qui marquent aujourd'hui des millions de Français - rapatriés, harkis, anciens soldats ou appelés, immigrants, et tous leurs enfants...

Mais une identité ne peut pas se confondre avec des origines. Elle se ne résume jamais au passé ! Etre Français, c'est partager des valeurs. Nous devons refaire le point ensemble sur ce qu'implique notre devise « Liberté, égalité, fraternité » en ce début de 21ème siècle. Il y a des principes républicains qui fondent le vivre ensemble et sur lesquels nous ne pouvons pas transiger. Le port de la burqa dans l'espace public, par exemple, est incompatible avec nos valeurs et contraire à la dignité de la personne humaine. Je me suis ainsi prononcé pour une loi d'interdiction, précédée d'une phase de dialogue avec les personnes concernées. Mais la République doit aussi être capable de s'adapter à la société française d'aujourd'hui.

Par exemple, il y a eu un temps où la République a construit son unité sur la négation des différences et des particularités régionales. Devons-nous continuer à considérer la culture bretonne comme une menace pour la Nation? Evidemment non! Tout en rejetant le multiculturalisme, faut-il refuser à des élèves d'origine maghrébine la possibilité d'apprendre à l'école républicaine la langue de leurs grands-parents surtout lorsqu'elle leur ouvre des débouchés professionnels? J'ai la conviction qu'il faut offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité d'apprendre l'arabe au sein de l'Education nationale, plutôt que dans les caves ou dans les garages. Ayons donc ces débats en profondeur. Il s'agit de se mettre au clair sur les droits et les devoirs des citoyens de ce pays pour renforcer la communauté nationale. Parmi les devoirs à l'égard de notre pays, je milite pour la création d'un service civique obligatoire pour tous les jeunes Français. Chacun pourrait contribuer pendant quelques mois à un service d'intérêt général et manifester ainsi son appartenance à la Nation de façon constructive. Là encore, je considère que cette question mérite d'être abordée dans le cadre du débat sur l'identité nationale.

Etre Français, c'est surtout vouloir construire un avenir ensemble. Comment faire de la France une terre de réussite individuelle et collective, pour tous les Français? Comment assurer l'égalité des chances de chacun? Qu'ils viennent du centre de Paris, des quartiers populaires de Meaux ou d'un hameau de Lozère, je suis triste quand je vois certains jeunes Français considérer qu'ils n'ont pas d'avenir ici, parce qu'ils sont persuadés qu'on leur fera davantage confiance ailleurs.

Je crois qu'en respectant ces quelques points de méthode, nous pouvons sereinement nous engager dans ce débat. Il doit poser les bases d'une réflexion qui ne peut évidemment pas s'arrêter à la fin du mois de février. Vous l'avez compris, mon désir, ce qui motive mon engagement politique, c'est qu'en recroisant dans quelques années le jeune Meldois que j'évoquais plus haut, il puisse me dire sa fierté d'être Français, son bonheur d'avoir construit sa vie dans ce pays, son envie de transmettre les valeurs nationales à ses enfants. Et naturellement sa volonté de rendre un peu de ce qu'il a reçu de son pays, la France...

Jean-François Copé

Vous pouvez lire également sur Slate.fr et sur la question de l'identité nationale ces articles et ces témoignages présentant des points de vue très différents: Les raisons du retour du débat sur l'identité nationale, L'identité nationale de la France, c'est de ne pas en avoir, Combien d'étiquettes devrais-je encore porter? et Il ne faut pas confondre nationalité et sentiment d'appartenance.

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Image de Une: Supporter français en 1998, lors de la Coupe du monde de football/Reuters, Ian Waldie

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