Économie / Culture

Hanouna, les médias et le cycle infernal des humiliations

Temps de lecture : 8 min

Les affrontements entre les médias et Hanouna sont si fréquents qu’une routine s’est mise en place.

Image extraite de «TPMP, le débrief», le 28 septembre 2016.
Image extraite de «TPMP, le débrief», le 28 septembre 2016.

Ce soir-là, sur le plateau de «Touche pas à mon poste» (TPMP), Cyril est colère. Tellement qu’un petit panneau «Le coup de gueule de Cyril» est affiché en bas à droite de l’écran. Après avoir dansé sur «En feu» de Soprano, fait des étirements et imité un dinosaure, Cyril Hanouna a tenu à expliquer son grief contre «la presse, P-R-E-C-E», qui l’a critiqué tout au long de la journée.

«Mais ferme ta gueule! Quel bouffon celui-là»

La veille, lors de son émission, Cyril Hanouna a interpellé l’un de ses chroniqueurs, Matthieu Delormeau, pour lui parler de l’époque où il travaillait à NRJ12. «NRJ12 ils vous ont mis dehors comme une merde, lui lance le présentateur, presque noyé sous les rires de son équipe et du public. On va pas se mentir, si, c’est vrai. Arrêtez. Parce que je vais raconter l’histoire! Qui c’est qui est venu en juillet dans mon bureau comme une pleureuse, hein? Mais ferme ta gueule! Quel bouffon celui-là!»

La séquence, comme beaucoup de séquences de TPMP, est reprise par des sites qui ne pressentent pas la polémique qui vient. «Matthieu Delormeau (TPMP): Son attitude de "pleureuse" dévoilée en direct par Cyril Hanouna», écrit Melty, suivi de près par Télé Star ou Closer qui estiment que l’animateur a simplement «remis à sa place» ou «recadré» Matthieu Delormeau.

Et puis le mot «humiliation», terme bien connu de l’équipe de TPMP et du CSA, surgit sur les sites de Konbini et des Inrocks, qui reprochent à l’animateur d’être allé, encore une fois, trop loin. Dès lors, à l’exception de sites comme Le Figaro, la perception de la séquence change, et internet est tiraillé entre des adversaires indignés de l’émission et des fans transis qui défendent «Baba» corps et âme.

Le soir de la polémique, Matthieu Delormeau n’est pas en plateau, alors Hanouna explique qu’il était «un peu fatigué» et s’emporte: «Il y a eu pleins d’articles, j’ai vraiment l’impression qu’il y a des teubés quoi. Il y a des gars qui comprennent pas la vanne. On est dans une émission où on est tous très très potes.» Le public se lève alors pour applaudir, et les chroniqueurs soutiennent unanimement l’animateur.

On pourrait débattre longuement de la question de l’humiliation ou non de Delormeau. Mais comment statuer sur l’humiliation d’une personne si elle-même affirme ne pas se sentir humiliée? L’humiliation dépend-elle de son propre ressenti, de ceux qu’on accuse d’humilier, ou de celle du groupe qui assiste à la scène? « Je vous promets que je n’ai pas été blessé», a déclaré le chroniqueur le lendemain, avant de conclure: «Fin de cette polémique, ça va très très bien.»

Cette polémique-là semble terminée, mais quand on observe son déroulement, on ne peut que constater ce schéma s'est déjà produit à de multiples reprises ces derniers mois, avec à chaque fois le même cycle médiatique qui se met en place.

Hanouna et les médias, un désamour théâtralisé

En général, tout commence avec une séquence particulièrement marquante de l’émission et qui, en raison de sa drôlerie ou des discussions qu’elle suscite sur les réseaux sociaux, va être reprise par les médias pour qui la diffusion d'extraits de TPMP sont depuis longtemps une habitude. Pour prendre l’exemple le plus marquant de 2016, à savoir les nouilles dans le slip de Matthieu Delormeau, la séquence est vite «rippée» par des sites liés au «buzz» comme Closer ou Public.

Ensuite, tout dépend de la volonté de médias et de journalistes qui, habituellement, ne relaient et ne discutent que très rarement de ce genre de contenus. Ce sont Konbini et les Inrocks qui ont parlé du «ferme ta gueule», mais à l'époque de l’affaire des nouilles dans le slip, c’est Bruno Donnet de France Inter qui a déclenché un début de polémique. Dans l’émission «l’instant M», plusieurs jours après la diffusion d’images qui jusque-là n’avaient pas fait de remous, il dénonce la normalisation de l’humiliation pratiquée dans l’émission.

Il est aussi possible que, face à l'omniprésence d'Hanouna dans les discussions, des personnalités ou des médias décident d'engager spontanément un débat autour de l'émission. C'était le cas de Michel Onfray en janvier, qui affirmait au Figaro qu'Hanouna était l'un des responsables de la montée du djihadisme, de Charlie Hebdo avec «Hanouna, le virus qui rend con», ou du journal Society qui a publié une enquête dévoilant les coulisses de l'émission et de la méthode Hanouna, un mois après l'affaire des nouilles.

Dès lors, parce qu’un journaliste réputé sérieux ou qu'une personnalité sortant directement du cadre du divertissement télé s’est emparé de la séquence, la polémique qu'on lui accole gagne en importance. La vidéo de la séquence et les articles indignés sont largement partagés, repris par des médias généralistes créant une deuxième bulle de discussion sur les réseaux sociaux, bien au-delà du cercle habituel de fanzouzes. Et en attendant l'émission du soir, l'équipe de TPMP laisse mijoter la confrontation entre ses fans et ses adversaires, qui alimentent alors les tendances Twitter toute la journée.

C'est là que le cycle se distingue de n'importe quelle autre polémique, avec une théâtralisation parfaite de la réponse de l'équipe de TPMP. D'abord, les chroniqueurs ou Hanouna lui-même teasent l'émission du soir, en expliquant qu'ils vont répondre en direct. Mardi 28 septembre dans l'après-midi, l'animateur écrivait «Réponse ce soir» à propos de «l'humiliation» de Matthieu Delormeau, instaurant une attente autour de TPMP, du côté des fans comme des médias.

Delormeau lui-même, en évoquant son absence sans donner plus de détails, alimente le fantasme d'un «drama» télévisuel en train de se construire sous nos yeux.

Et puis l'émission commence, avec de la musique en fond sonore et Hanouna qui déboule comme sur un ring, prêt à en démordre. En faisant semblant de ne pas pouvoir attendre, il se lâche dès le début de l'émission et dénonce l'arrogance et l'élitisme des journalistes et des personnalités, ce groupe incapable de comprendre pourquoi plus d'un million de fanzouzes s'esclaffent tous les soirs devant leur télévision. À Bruno Donnet, il a ainsi répondu:

«En fait, il faut qu’ils sortent un peu, qu’ils aillent voir des gens, qu’ils échangent un peu, qu’ils arrêtent de rester entre eux. En fait, ils ne comprennent pas que les jeunes d’aujourd’­hui ne font que de se char­rier, de s’amu­ser, de se vanner… C’est aussi ce qu’on fait ici.»

Le mythe d'une presse élitiste contre la France populaire

En répondant de cette manière, Cyril Hanouna ne fait pas qu'alimenter une nouvelle salve d'articles; il conforte l’idée d’une affrontement entre les masses et l’élite bobo, un cliché vieux comme le monde mais qui permet de rallier, non sans démagogie, son public à sa cause. Une technique dont le chef de bande abuse parfois et que ses chroniqueurs reproduisent à la perfection, que ce soit en plateau, sur les réseaux sociaux ou dans d'autres médias.

«C'est fouler au pied les millions de gens qui aiment la culture populaire, lance le chroniqueur Gilles Verdez le jour où Hanouna décide d'ignorer Michel Onfray. […] J'ai mis dans ce sac-poubelle les dernières pensées de Michel Onfray et elles iront où elles méritent d'être: dans la benne à ordures.»

«La presse bien-pensante déteste les succès, elle aime cracher sur les émissions populaires», affirmait également Delormeau dans les colonnes de Libération, journal parfois accusé d'être justement bien-pensant. Quoiqu'on fasse contre Hanouna, la bande maintient la barre du bateau TPMP, perdu en plein ouragan médiatique. Renforçant toujours plus l'amour des fans et la haine des haters.

L'équipe de TPMP évoque aussi régulièrement la volonté de médias de faire du clic sur le dos de son émission qui cartonne. Au moment de l'enquête de Society, le chroniqueur Julien Courbet expliquait en plateau: «Ce qu’il faut expliquer c’est qu’il y a un papier à vendre et qu’est-ce qui fait vendre aujourd’hui ? Vous [Cyril Hanouna] faites vendre. Donc à partir de là ils sont prêts à raconter n’importe quoi.» Même son de cloche aujourd'hui: «Ces gars-là veulent faire de l’audience sur le dos de Touche pas à mon poste, car ils savent que ça va faire du clic derrière et que les gens vont lire les articles, lance Hanouna à propos du «ferme ta gueule». […] Mêlez-vous de votre cul franchement, et arrêtez.»

Hanouna a raison, d'une certaine façon. En surfant sur l'importance d'une émission aussi aimée que détestée, les sites voient souvent leurs statistiques monter en flèche. Par exemple, l'article de Konbini, qui a véritablement lancé la polémique, a été partagé 793 fois et récolté plus de 4.000 commentaires sur la page Facebook du site, un chiffre largement supérieur à tous leurs autres articles de la journée. Et le fait que nous décidions, chez Slate.fr, d'écrire sur le système médiatique qui unit Hanouna et la presse nous fait également rentrer dans ce jeu-là. Mais la presse aide également TPMP à alimenter son propre buzz. S'il est difficile d'évaluer l'impact en terme d'audience, n'importe quelle polémique (volontaire ou non) renforce indéniablement la visibilité d'Hanouna et sa bande. Sur internet, une publicité bonne ou mauvaise reste une publicité. Alors qu'on la disait en difficulté face à son nouveau concurrent Quotidien, «Touche pas à mon poste» vient d'enchaîner de très bons chiffres d'audience, qui n'ont fait qu'augmenter en cette semaine chargée de polémiques.

Les médias et TPMP ont beau cultiver leur antagonisme, ils sont chacun devenus le meilleur ennemi de l'autre.

Dans une première version de cette article, nous écrivions à tort que l'enquête de Society était «à charge» contre Cyril Hanouna, ce qui ne correspond à la réalité du travail réalisé par le magazine et ses journalistes. Nous avons modifié l'article en conséquence.

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