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Pourquoi il y a de plus en plus de champions difficiles à gérer

Temps de lecture : 5 min

Les récents déboires de Hatem Ben Arfa, Benoît Paire et Astier Nicolas illustrent une tendance grandissante de sportifs rebelles.

VALERY HACHE / AFP
VALERY HACHE / AFP

Hatem Ben Arfa, Benoît Paire, Astier Nicolas, trois noms et trois cas évoqués dans les colonnes de L’Équipe, le mercredi 21 septembre, où ces sportifs, au gré des pages et du hasard de leur actualité, cultivaient, en quelque sorte, leur différence en commun. Au grand dam de son entourage, le footballeur Ben Arfa, qui a perdu partiellement la confiance d’Unai Emery, son entraîneur, rongeait alors son frein en tribune en regardant ses coéquipiers du Paris Saint-Germain battre Dijon.

Au cœur d’une violente polémique lors des Jeux de Rio où il avait fini par être exclu de l’équipe de France, le joueur de tennis Paire venait d’être dominé au tournoi de Metz et étalait à chaud son vague à l’âme du moment. Le cavalier Astier Nicolas, champion olympique par équipes de concours complet et médaillé d’argent en individuel au Brésil, y révélait de son côté sa personnalité à facettes plutôt complexe à laquelle doit s’adapter en permanence l’équitation française. «Il est plutôt déstabilisant à pied, mais énormément rassurant à cheval», reconnaissait l’un des proches de ce dernier.

Mauvaises habitudes?

Trois exemples parmi tant d’autres de sportifs réputés talentueux voire artistes ne s’intégrant pas facilement au sein d’un collectif, mais qui sont peut-être aussi le reflet d’une tendance plutôt grandissante vers la singularité des comportements sur et en marge des terrains.

«Le pourcentage de sportifs “difficiles à gérer” augmente. C’est lié à l’évolution de l’éducation depuis plus de trente ans –parents plus souples pour ne pas dire plus laxistes, moins de principes de vie inculqués à l’école, enseignants moins respectés, pas de culture du collectif dans notre société, constate Patrick Grosperrin, préparateur mental associé notamment aux succès olympiques de Jean Galfione et Jean-Luc Crétier. Ces jeunes-là ont du caractère, ou mauvais caractère, et ils ont pris l’habitude de n’en faire qu’à leur tête

Makis Chamaladis, coach mental travaillant également avec plusieurs sportifs de haut niveau, note, moins tranchant: «Aujourd’hui, c’est vrai, il existe peut-être une individualisation plus grande des parcours, notamment dans le football, et c’est très visible dans le cas de Balotelli venu clairement se refaire une “santé” à Nice et dont on peut imaginer qu’il s’en ira aussitôt qu’il aura retrouvé une partie de son aura. Et c’est une individualisation qui peut commencer de plus en plus tôt au regard des enjeux financiers entourant chaque sportif.»

Jamais facile non plus pour un sportif d’une discipline individuelle de se fondre parmi les autres –le cas de Gaël Monfils a également alimenté la chronique à ce sujet lors de la demi-finale de Coupe Davis Croatie-France– comme il est donc de moins en moins évident pour un sportif issu d’une discipline collective de trouver sa place au sein du groupe qu’il est censé servir, ses objectifs personnels de carrière pouvant prendre le pas sur l’intérêt général.

Franchir une ligne rouge «invisible» quitte à passer pour un élément perturbateur ou pour un personnage «étrange» voire un paria… Cultiver sa différence originale à l’heure des lissages des comportements et des paroles émollientes dans un monde friand de coups d’éclat médiatiques, mais toujours prompt à vilipender avec férocité les comportements jugés déviants devant le tribunal, en comparution immédiate, des réseaux sociaux…

«On gagne avec sa personnalité»

Battu en demi-finales de l’US Open au terme d’une rencontre baroque contre Novak Djokovic, Gaël Monfils avait fini par réclamer le droit de jouer à sa façon face à la presse qui paraissait critiquer la manière avec laquelle il avait conduit sa rencontre.

«Ce n'est peut-être pas académique, mais j'essaie de gagner, s’était-il défendu. Je suis désolé, à chaque fois, d'entendre que je me fais détruire. Qu'on me dise que je suis si talentueux, et que je perds mon temps. Pardon, mais je ne perds pas mon temps. Je pense que je sais comment essayer de jouer le mieux possible. Je suis désolé d'être différent. J'ai perdu un gros match, mais j'espère revenir meilleur, plus fort, apprendre de mes défaites et de mon manque de professionnalisme

Dans son livre Champion dans la tête coécrit avec Makis Chamalidis et qui vient d’être réédité dans une version étoffée, François Ducasse, préparateur mental récemment décédé, s’interroge. «La “mission” du champion n’est-elle pas en grande partie solitaire?, se demande-t-il. Le champion ne devient-il pas champion parce que, à un moment ou à un autre, il est sorti du rang pour explorer seul d’autres chemins parce qu’il a su “voir ce qu’on ne lui a pas appris à voir”?» Tout en ajoutant: «On gagne avec sa personnalité.»

Sortis du rang à leur façon en raison de leur talent et parfois de leur façon de se comporter, Ben Arfa, Paire, Nicolas ou Monfils –d’autres exemples comme le golfeur Victor Dubuisson peuvent allonger la liste– ne sont pas des champions ayant encore imprimé une trace durable dans la mesure où ils n’ont rien gagné, ou pas suffisamment, dans leur sport ou parce qu’ils sont trop neufs au sommet de leur discipline pour être déjà considérés comme des valeurs de référence. Ils peuvent avoir fait des choix qui n’ont pas été les bons, mais qui ont été les leurs, ce qui est déjà beaucoup. Ben Arfa devait-il choisir le PSG à la place de Lyon où il aurait peut-être pu trouver moins de concurrence et matière à davantage d’épanouissement? Il est encore trop tôt pour le dire…

Compenser les mauvais caractères

Quoique… «Pour moi, c’était couru d’avance qu’Hatem Ben Arfa allait se planter au PSG car son entourage et le PSG n’ont eu aucun discernement dans cette affaire, juge Patrick Grosperrin. Il est plus apaisé qu’avant, mais il lui faut un contexte bien particulier qu’il n’a connu qu’une fois dans sa carrière, à Nice.» Le désir des autres peut être, il est vrai, plus grand que les propres aspirations du champion en devenir.

«Entre les désirs des parents ou de l’entourage en général qui sont affichés (épanouissement), conscients (gagner de l’argent, réussir socialement) et inconscients (compenser un manque à leur niveau), ceux de l’athlète (s’amuser, devenir une vedette, être aimé, s’opposer à l’autorité) et ceux de l’entraîneur (former des champions, atteindre des objectifs qu’il n’a pas lui-même atteints), il y a parfois un vrai décalage», relève Makis Chamalidis. Et cette harmonie entre les êtres n’est pas facile à trouver.»

Plus les buts de chacun sont compatibles, plus le triangle (parents, athlète, entraîneur) est harmonieux et «le sportif peut alors s’approprier son projet», souligne Makis Chamalidis. Quand le triangle ne se transforme pas en carré avec l’agent comme conseiller en tout.

Quel est le projet d’Hatem Ben Arfa? Ou celui de Benoît Paire? Difficile à dire à ce stade.

«De tout temps, ceux qui ont du caractère et un rêve peuvent réussir [Hinault, Prost, Longo, Pérec, Fignon, Platini], résume Patrick Grosperrin. Ils s’opposent à beaucoup de choses, mais ils bossent très dur et ils avancent. Leurs caractères leur permet même d’éviter d’être pollué, “bousillé” par des incompétents [Prost et Hinault]. Ceux qui ont mauvais caractère [Paire, Ben Arfa] se plantent car ils n’arrivent pas à s’astreindre à la discipline indispensable du haut niveau [bosser et la “fermer”]

Makis Chamalidis conclut: «Ils ne sont pas compris et ne se font pas comprendre. Du coup, c’est tellement facile de les montrer du doigt jusqu’au point où certains finissent par devenir des animaux traqués

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