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Quel est le problème avec cette photo?

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François Fillon fait sensation vêtu d'un bandana sur la tête. N'est pas Barack Obama qui veut.

Capture Twitter
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La photo de François Fillon la tête couverte avec un tissu bleu à l’allure de bandana peut désormais être gravée comme un des clichés cultes de la politique française. L’image fût immortalisée ce dimanche 25 septembre lorsque l'ancien Premier ministre s'est rendu au temple Sikh de Bobigny en Seine-Saint-Denis afin de rencontrer des représentants de cette religion.

Les clichés officiels issus de la rencontre, et publiés sur la page Facebook de la communauté, ne montrent pas François Fillon avec l’accessoire faisant figure de turban Sikh traditionnel, le Daastar. Ce sont les photos partagées par ceux présents lors de l’événement qui donnent à voir l'ancien Premier ministre la tête couverte, remarque le Huffington Post. Les internautes n’ont pas hésité à s’en emparer, et à en faire des mèmes.

Ce matin, le porte-parole de François Fillon, Jérôme Chartier, a même re-tweeté des photos du candidat faisant une comparaison (sarcastique?) entra François Fillon et Justin Trudeau, qui avait lui même porté un accessoire similaire de couleur rouge.

Bien entendu, le choix du bandana n’était pas une gaffe de la part de Fillon. Le rituel d’entrée dans une salle de prière Sikh demande de se déchausser et de se couvrir la tête. Les temples Sikh, ou Gurdwara, ont l’habitude de proposer à leurs visiteurs des bandanas similaires afin de se couvrir la tête en guise de turban traditionnel. David Cameron en porte un orange lorsqu’il visite un temple dans la ville de Gravesend, au Royaume-Uni, ainsi que Justin Trudeau en bandana rouge à Ottawa.

Mais s'agit-il d'une stratégie de communication? Pour Philippe J. Maarek, professeur de communication politique à l’université Paris Est-UPEC et auteur de Communication et marketing de l’homme politique (LexisNexis, 4 édition, 2014), il est incontestable que François Fillon fait un acte de communication.

«Il est clair qu’en visitant un lieu de prières Sikh, et en se pliant, du coup, forcément aux règles qui permettent d’y entrer, François Fillon fait un acte politique clair de soutien à l’expression libre des opinions religieuses, même les moins répandues, ce qui est, certes, une forme de soutien au multiculturalisme», affirme-t-il.

Une avis partagé par Arnaud Mercier, expert en communication politique contacté par Slate.fr, bien qu'il insiste que François Fillon est loin de préconiser un multiculturalisme à l'Américaine. Dans le climat actuel, le choix d'un temple Sikh est sans doute moins crispant que la visite à une mosquée.

«S’afficher avec quelque chose sur la tête (on va rester vague) parce que c’est la tradition attendue dans un lieu de culte d’une communuaté religieuse, c’est un geste de respect de la religion. Je respecte les communautés et les religions, mais ce nest pas la reconnaissance d’une légitimité communitariste.»

Un multiculturalisme qui est bien plus visible dans l'approche des leaders anglo-saxons face au port de tenues traditionnelles.

Lors du White House Tribal Nations Conference, Barack Obama se laisse envelopper par une couverture et chapeau traditionnels au rythme des maracasses. Le chef d’État a pourtant fait une exception à sa règle personnelle de ne pas porter des accessoires capillaires, un conseil que certains politiciens feraient bien de suivre venant sans doute d'un des hommes politiques le plus charismatique au monde.

«Voici la règle générale: tu ne mets pas de trucs sur ta tête si t’es président. C’est la base de la politique: tu n’as jamais bonne allure avec un truc sur la tête,» dit-il en 2013.

Justin Trudeau est sans doute devenu la référence dans le domaine, visiblement si à l'aise en tenues traditionnelles hindoues. Le Premier ministre canadien a même reçu le surnom de Justin «Singh» Trudeau. Peu de temps après son élection en tant que Premier ministre, une vidéo de 2009 refaisait surface le montrant en tunique hindoue qui fait un déhanché de la danse de Bhangra. Le Canada et le monde ont adoré, quitte à imaginer les leaders politiques français dans une situation similaire.


En France, le port de tenues traditionnelles fait beaucoup plus frémir les chefs d’états. À la suite à l'apparition de cette photo mythique de François Hollande en chapka traditionnelle Kazakh en 2014, le président subit des moqueries sans cesse sur les réseaux sociaux. Celle-ci avait été prise par le photographe officiel du président kazakh et publié dans le compte Instagram du service de presse local.

La photo a tout de même été dénichée en France avant d'être effacée du compte kazakh, sans doute en raison du contenu peu flatteur pour le président. Depuis, en visite à Wallis et Futuna, François Holland a accepté de porter un collier de fleurs mais a mis de coté le pagne traditionnel, alors qu’on lui avait «supplié» d’en porter.

Certes, Barack Obama et Justin Trudeau sont des figures plutôt populaires, et l’habilité à amortir des situations potentiellement embarrassantes dépend bien du charisme du politicien en question. Ce diaporama de leaders internationaux se retrouvant chaque année aux meetings de l’Apec, qui a la spécificité de demander aux dignitaires de venir en habit traditionnel local, démontre que la gêne va bien au-delà du seul cas français.

Mais de François Mitterand en costume traditionnel béninois, à Nicolas Sarkozy en boubou blanc Sénégalais en passant par François Hollande en chapka Kazakh et enfin Manuel Valls en chapeau en feuille de palmier de Nouvelle-Calédonie, pourquoi nos politiciens nous semblent-ils plus ridicules?

Si Justin Trudeau ne suscite pas la polémique et les moqueries en dansant le Banghra, c’est avant tout grâce au multiculturalisme plus prononcé du monde anglo-saxon. Contacté par Slate.fr, Arnaud Mercier, expert en communication politique, affirme qu’il faut tenir en compte la culture politique du pays.

«Le rapport à la religion et aux minorités au Canada n’est pas du tout le même qu’en France, affirme-t-il. Le creuset français est un modèle qui est historiquement assimilationiste. L'État ne favorise pas l’organisation en communauté. Tout au contraire, elle attent que les personnes deviennent “des francais commes les autres”.»

En somme, soit on risque l’embarras national ou on manque de respect envers les traditions et la culture d’accueil. Jusqu'où faut-il donc aller en adoptant des tenues traditionnelles?

«Dans ce cas précis, François Fillon n’avait pas le choix, pas plus que l’homme politique qui ne voudrait pas se découvrir dans une cathédrale ou se couvrir dans une synagogue. En revanche, il aurait pu demander, sans doute, que l’on ne le prenne pas en photo à l’intérieur, en somme que les fidèles le respectent autant qu’ils les respecte en se couvrant et en se déchaussant (sans doute, on ne le voit pas sur les photos)», conclut Philippe J. Maarek.

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