Économie

Qui sont les fonctionnaires menacés par la baisse des dépenses de l’État?

Temps de lecture : 7 min

L’administration pèserait trop lourd sur les finances de la France, et pourtant les dépenses semblent incompressibles. Comment se répartissent les personnels concernés dans les trois fonctions publiques, à l’heure où l’on reparle de réductions d’effectifs?

Manifestation policière. Octobre 2016 I PATRICK HERTZOG / AFP
Manifestation policière. Octobre 2016 I PATRICK HERTZOG / AFP

C’est (re)parti! Avec la campagne des primaires de la droite, la baisse des dépenses de la fonction publique redevient un élément de polémique pour les candidats qui affichent dans leurs programmes des réductions du déficit budgétaire et qui veulent marquer leurs différences avec les politiques de gauche. Il faut «dégraisser le mammouth», selon l’expression maintenant consacrée de l’ancien ministre Claude Allègre –pourtant de gauche– et employée sans que l’on ne précise jamais quels effectifs de la fonction publique sont précisément visés.

Certes, le développement de l’e-administration (formalités administratives effectuées en ligne) se prête à une diminution des effectifs, et près de neuf Français sur dix se déclarent prêts à adhérer à cette évolution, selon un sondage de l’Ifop, mais les opérations concernées ne représentent qu’une petite partie des interventions de l’administration.

En outre, les secteurs sont nombreux dans lesquels l’État exerce des missions régaliennes, comme la justice, la santé et la sécurité où les sous-effectifs entraînent engorgement, perte d’efficacité et finalement démission de l’État dans l’accomplissement de ces missions. Sans parler de l’enseignement qui mobilise le gros des bataillons, ni de l’emploi qui est une priorité pour les gouvernements. Aussi, lorsqu’on parle de réduire le poids de la fonction publique, qui vise-t-on?

Trois fonctions publiques

Il existe en réalité trois fonctions publiques distinctes: d’État (avec 44% des effectifs), hospitalière (21%) et territoriale (35%). Des dispositions statutaires spécifiques régissent les trois administrations depuis un peu plus de trente ans. Ensemble, ces fonctions publiques emploient 5,64 millions de personnes selon les statistiques ministérielles établies fin 2014, soit environ 140.000 de plus qu’en 2011 d’après la fondation Ifrap qui analyse les politiques publiques.

Ainsi, environ un salarié sur cinq en France travaille dans la fonction publique. Et au plan budgétaire, les dépenses de personnel de ces administrations représentent quelque 40% des dépenses de l’État, a calculé la Cour des Comptes dans un rapport de septembre 2015.

Mais toutes les missions de service public ne sont pas assurées par des fonctionnaires. Par exemple, La Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics, et la SNCF est un établissement public industriel et commercial (EPIC). Ces entreprises se situent hors du champ de la fonction publique, avec des salariés dont les statuts sont distincts de celui des fonctionnaires.

Autre exemple, Pôle emploi est bien un établissement public administratif (EPA), mais ses agents sont soumis à des conditions de travail et d’emploi relevant d’un régime de droit privé (à l’exception des personnels de l’ex-ANPE qui auraient opté pour l’ancien régime lors de la fusion ANPE-ASSEDIC en 2009). De même, les caisses de sécurité sociale ont le statut d’organismes de droit privé chargés d’une mission de service public, et les agents n’ont pas le statut de fonctionnaires.

Titulaires et contractuels

Enfin, au sein même des trois fonctions publiques –sans parler des militaires et des magistrats, qui sont régis par des statuts spécifiques et autonomes–, plusieurs régimes cohabitent. À côté des titulaires, véritablement fonctionnaires, il existe des personnels bénéficiant de contrats aidés, et des contractuels de plus en plus nombreux. Leurs salaires entrent dans le champ des dépenses de la fonction publique, mais ils n’ont pas le statut de fonctionnaire avec les spécificités qui s’y rattachent, comme la sécurité de l’emploi ou la retraite.

Quant aux personnels sous statut de fonctionnaire, qu’ils soient d’État, territoriaux ou de la fonction hospitalière, ils sont répartis en trois catégories, correspondant soit à des fonctions d’encadrement et de direction (catégorie A), soit à des fonctions d’application et de rédaction (catégorie B), ou encore à des fonctions d’exécution (catégorie C). Une organisation qui structure les conditions d’avancement et d’évolution de carrière de ces personnels.

En remplaçant les fonctionnaires par des contractuels pour diminuer le nombre des premiers, on ne réalise pas forcément de grosses économies

Ainsi, les fonctionnaires –titulaires– représentent aujourd’hui entre 71% et 74% du total des effectifs. Mais dans la gestion des personnels, la proportion des contractuels parmi les entrants est maintenant supérieure à celle des titulaires, remarque l’Insee. Par exemple en 2014, 180.000 contractuels sortants ont été enregistrés pour 250.000 entrants, contre 150.000 fonctionnaires sortants pour 80.000 entrants : 70.000 contractuels de plus pour autant de fonctionnaires en moins.

Toutefois, en remplaçant les fonctionnaires par des contractuels pour diminuer le nombre des premiers, on ne réalise pas forcément de grosses économies. Il arrive même que, à l’hôpital, les praticiens intérimaires coûtent plus cher qu’un titulaire: par exemple, la facture atteint 500 millions d’euros par an pour les vacations de médecins employés par l’hôpital public à titre temporaire pour occuper les postes vacants. Les sous-effectifs génèrent alors des surcoûts. L’affichage est, dans ce cas, seulement politique.

Dans ces conditions, il est bien difficile de réorienter la gestion des effectifs de fonctionnaires. Des évolutions sont perceptibles. Ainsi de 2013 à 2014, alors que les effectifs ont été stables dans la fonction publique de l'État (2,47 millions de salariés), ils ont augmenté de 1,5% dans la fonction publique territoriale (1,98 million) et de 0,9% dans la fonction publique hospitalière (1,18 million). Toutefois, ce sont surtout les bénéficiaires de contrats aidés (comme des contrats d’insertion ou des contrats d’avenir) qui en ont profité, pas des titulaires de la fonction publique.

Priorités et contradictions

En réalité, les marges de manœuvre sont difficiles, voire dangereuses. Par exemple, pas question pour la fonction publique d’État d’alléger les effectifs de police et de gendarmerie (257.000 personnes dans les forces de sécurité intérieure) qui souffrent aujourd’hui des compressions opérées avant à la montée de la menace terroriste et qu’il faut maintenant au contraire renforcer. Même chose pour les forces armées (209.000 militaires et 62.000 civils) compte tenu de l’engagement des armées françaises et de l’instabilité de grandes régions du monde.

Quant aux récentes agressions d’enseignants ou destructions de locaux scolaires, elles soulignent le besoin d’encadrement dans l’éducation nationale, qui fait manifestement défaut dans certaines zones où l’autorité de l’État est contestée. Ce qui implique de créer des postes plutôt que d’en réduire le nombre.

De son côté, la fonction publique territoriale se justifie en arguant des nouvelles missions qui incombent aux collectivités locales lorsque l’État se défausse, comme pour assurer les animations auprès des élèves dans le cadre de la réforme de l’Éducation nationale. Les transferts de compétences ne font que déplacer les problèmes.

Quant à l’hôpital, il souffre d’un manque de personnels qui se traduit par une désaffection des vocations à cause des conditions de travail; impossible d’aggraver le malaise.

Alors, comment réaliser des économies? Il est vrai que la France figure dans le peloton de têtes des pays où le poids de l’administration est le plus élevé dans l’emploi total. Avec 22% des emplois, elle n’est dépassée que par la Norvège et la Suède et se trouve au même niveau que la Finlande, établit l’OCDE.

En revanche, l’emploi public en Grande-Bretagne et en Belgique ne représente que 17% de la population active, 15% en Italie, en Australie et aux états-Unis, et même 10% en Allemagne et en Pologne .. Ainsi, les salaires des fonctionnaires représenteraient 12% du PIB en France, contre 7% en Allemagne. Comment ramener la France à se rapprocher un peu de la moyenne de 15% d’emplois publics pour l’ensemble des pays de l’OCDE?

Gare, toutefois, au «benchmarking» en la matière. Les économies sont toujours nécessaires, mais une administration est toujours le fruit de l’histoire d’un pays et de son organisation territoriale, et les situations ne sont pas superposables. La France qui conserve un mode de fonctionnement jacobin ne peut être mise en parallèle avec l’Allemagne dont l’organisation est très décentralisée, les Français eux-mêmes ont un attachement au secteur public qu’on ne retrouve pas par exemple au Royaume-Uni…

La baisse des effectifs de l’État a été plus que contrebalancée par le dynamisme des recrutements des autres administrations publiques, opérateurs et collectivités locales en tête

Durée du travail et départs en retraite

Néanmoins, les ténors de la droite ont déjà indiqué la voie qu’ils comptaient suivre. Pour tous, l’objectif consiste à opérer une réduction des postes grâce à une augmentation de la durée de travail dans la fonction publique à 37 ou 39 heures hebdomadaires. La règle du non remplacement d’un départ de fonctionnaire sur deux à la retraite serait restaurée, sauf dans les secteurs de la justice et des forces de sécurité. La priorité serait donnée à des embauches contractuelles sur le mode des contrats privés, pour réduire les recrutements sous statut de fonctionnaire.

À partir de ce tronc plus ou moins commun, Alain Juppé se situe plutôt sur la partie basse de la fourchette en visant 250.000 à 300.000 suppressions sur la durée d’un quinquennat, Nicolas Sarkozy vise les 300.000 alors que François Fillon pousse le curseur jusqu’à 500.000 postes en moins sur les trois fonctions publiques.

Mais face à ces objectifs, notons que, de 2007 à 2012 au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy avec François Fillon au poste de chef du gouvernement, les réductions d’effectifs menées avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) auraient porté sur 150.000 postes de fonctionnaires, indique Éric Woerth, ex-ministre de la Fonction publique. Soit deux fois moins que les objectifs actuels.

Ce résultat est toutefois contesté, notamment par la Cour des comptes qui considère que «la baisse des effectifs de l’État a été plus que contrebalancée par le dynamisme des recrutements des autres administrations publiques, opérateurs et collectivités locales en tête». Un effet collatéral des transferts de compétences aux régions et aux départements, qui impose de pousser les analyses au-delà des affichages politiques.

Ainsi, traitant des trois fonctions publiques, la Cour conclut: «Au-delà des transferts de personnels importants réalisés sur la période, leurs effectifs ont continué de croître, sans réussir à dégager des gains de productivité suffisants.» De quoi réviser la méthode préconisée.

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