En avion, rien n'est plus agréable que de fermer les yeux et de faire une petite sieste. S'installer confortablement, se détendre, s'assoupir tranquillement... Aucune inquiétude: l'équipage s'occupe de tout.
Le problème, c'est que dans cet environnement propice au sommeil réparateur, l'équipage pique parfois du nez, lui aussi.
Derniers suspects en date: les pilotes du vol 188 de la Northwest Airlines, qui ont dépassé leur destination d'origine (Minneapolis) de 240 kilomètres, sans répondre aux appels des contrôleurs du trafic aérien (pas plus qu'à ceux d'autres pilotes), et ce pendant plus d'une heure. Ils jurent qu'ils étaient bel et bien éveillés. Cela reste à voir. Reste qu'en général, sommeil et cockpit font bon ménage. «Il arrive effectivement que les pilotes fassent des siestes contrôlées», affirme ainsi Hugo Martin, consultant en aviation, ancien pilote et journaliste au Los Angeles Times.
Martin passe en revue plusieurs incidents célèbres. En 1998, les trois pilotes d'un 747 se sont endormis au dessus du Pacifique. Six ans plus tard, un autre pilote a avoué que son copilote et lui-même avaient fait un petit somme lors d'un vol Baltimore-Denver. Cette année, deux pilotes se sont endormis, ratant leur destination (Hawaii); l'un deux a avoué avoir déjà fait de nombreuses siestes «contrôlées» en plein vol.
Plutôt effrayant, non? Bien évidemment, l'équipage d'Hawaii a été renvoyé. La FAA (Federal Aviation Administration) interdit catégoriquement les siestes dans le cockpit, et c'est tant mieux: un pilote se doit d'être constamment en éveil.
Mais attendez voir... quand est-ce qu'un pilote est sensé dormir, au juste ?
Selon un porte-parole de l'Allied Pilots Association, si les équipages s'endorment, c'est d'abord et avant tout parce que les compagnies aériennes (qui sont sous pression financière) les poussent à faire autant d'heures que la loi le permet. «Il arrive maintenant que nous fassions cinq legs [étapes d'un vol] par jour, et ce plusieurs jours d'affilée», affirme-t-il. Du point de vue légal, tout pilote ayant volé huit heures de suite doit prendre du repos; le problème, selon ces mêmes pilotes, c'est que pour les compagnies, le temps passé à rentrer chez soi entre chaque vol est comptabilisé comme du «temps de repos».
Ce qui nous amène au sexe.
Je sais, je sais: il n'y a pas que le sexe dans la vie. Mais vous allez vite comprendre où je veux en venir.
Lorsque j'étais à l'université, j'adorais les cours de philosophie. Si l'on me confiait aujourd'hui une classe de philo pendant, disons, une journée, j'en profiterais pour faire une petite expérience. Je répartirais les étudiants en groupes de trois, et je leur donnerais un seul sujet à traiter: «Laquelle de ces activités est la plus importante: manger, dormir ou faire l'amour?»
Cet exercice n'aurait en réalité pour but que d'inciter les étudiants à définir le concept d'«importance». Mais s'il fallait vraiment répondre à la question, je choisirais le sommeil, instinctivement: si vous voulez vous passer des trois, la fatigue sera la première à vaincre votre résistance. En toute logique, c'est donc du sommeil dont nous avons le plus besoin.
Si ce raisonnement est juste - et si nous admettons qu'il est impossible de se passer de nourriture, et qu'il est déraisonnable et dangereux de priver une personne de sexe -, comment imaginer pouvoir priver un pilote de sommeil?
Pour ce qui est du sexe, la plupart d'entre nous ont déjà compris qu'il est proprement impossible de lutter contre la nature. Sur le plan émotionnel, les adolescents d'aujourd'hui sont sans doute trop immatures pour faire l'amour, mais ils le font quand même - tout comme nous à leur âge. Interdisons-leur cet exutoire, et ils le feront en secret... et sans se protéger.
C'est à peu près la même chose pour ce qui est de manger: si l'on tente de réprimer ses envies à l'excès, on finit par craquer, et par se goinfrer (à grand renfort de malbouffe).
Pourquoi ne pas conclure de même avec le sommeil? Si nos pilotes sont surmenés, et que l'on comptabilise leurs trajets au sol comme du temps de repos... rien d'étonnant à ce qu'ils tombent en plein vol dans les bras de Morphée.
Et si la sieste du pilote est une faiblesse incontournable (tout comme les sucreries et le sexe entre adolescents), mieux vaut encadrer cette pratique plutôt que l'interdire. Martin fait remarquer que dans plusieurs compagnies aériennes, des cadres ont proposé de soutenir la «sieste contrôlée en cockpit» sur les vols intérieurs de longue durée. Cette pratique, qui n'est pour l'heure autorisée que sur les vols internationaux, permet aux membres de l'équipage de dormir à tour de rôle: de cette manière, il y a toujours un pilote en éveil dans la cabine.
Interrogé par Martin, un pilote de ligne a déclaré ne pas aimer cette idée: «Si un pilote s'endort, tout dépend de l'autre gars; il faut être sûr qu'il ne va pas s'endormir, lui aussi. Cela pose un problème de sécurité.»
Peut-être. Mais si vous voulez mon avis, je pense que la meilleure façon d'empêcher deux pilotes de piquer du nez en même temps reste encore de s'assurer que l'un d'entre eux est bel et bien frais et dispos. Les automobilistes prennent bien le volant à tour de rôle lorsqu'ils conduisent sur de grandes distances, non?
En matière de nourriture et de sexe, on sait que l'abstinence de fonctionne pas bien longtemps - avec ou sans soutien psychologique. Et qu'on le veuille ou non, il en va de même pour le sommeil
William Saletan
Traduit par Jean-Clémen Nau
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Image de Une: Des pilotes dans le cockpit d'un Concorde, REUTERS/STR New