La maladie, sa difficulté à paraître en public l'ont rendu plus sympathique encore aux Français. Ses dernières sorties ont dû parfois inspirer aussi de la gêne, voire de la pitié, tant son regard égaré, son visage comme réduit ne parvenaient plus à rappeler sa haute silhouette et son port de tête d'acteur américain. Ses yeux étaient devenus muets, quand ils furent si rigolards, sur son fameux appétit du pouvoir, quarante ans durant, qui lui valut si souvent la réputation d'un prédateur de la République!
Depuis combien de temps Jacques Chirac s'était-il fait à lui-même ses propres adieux, las d'ordonner la mémoire d'un destin de toute façon marqué par les rebondissements et les contradictions, et donc difficile à reconstituer, même en pleine conscience?
La mort, qui a des douceurs, gomme les paradoxes d'une existence, au moins le temps des hommages. Soustraire quelques étiquettes désobligeantes: Chirac «roi fainéant» (Sarkozy); Chirac «l'agité» (Giscard); «L'homme sans conviction» (Mitterrand); «Super Menteur» («Les Guignols»).
Au contraire s'avancent les éloges flatteurs. Reviennent inévitablement les séquences réussies, aux deux extrêmes de sa carrière: l'opposition, en 2003, à la guerre américaine en Irak, et la survivance d'une politique arabe gaulliste, venue à point sauver un second mandat de bel endormi et, à l'autre bout d'une vie politique, tout au début, l'épopée victorieuse de Corrèze, aux législatives de 1967, du jeune énarque impétueux, membre du cabinet de Georges Pompidou, qui trompait si bien son monde.
Caricature de techno bien né, échassier en lunettes, belle gueule avec ça, et piège à filles, il était apparu que le gaillard parlait patois, retenait par cœur des dizaines de prénoms de paysans, autant de faces de bovidés entrevus, buvait ferme et mangeait d'appétit –«Bulldozer Chirac», comme l'appelait affectueusement Pompidou.
Georges Pompidou et Jacques Chirac, le 27 mai 1968. | AFP
Un vernis faubourg Saint-Germain, aussi, largement puisé dans l'univers aristo des Chodron de Courcel, auquel le jeune Chirac s'était lié en épousant leur fille Bernadette en 1956, rencontrée à Sciences Po, contredit avec aplomb par un tempérament de carnassier pressé aux manières rad-socs, amical même aux adversaires communistes de la région.
«Grand arpenteur du pays», comme il le confiait lui-même, il allait imiter le général de Gaulle dans son besoin d'avaler des kilomètres en voiture, et devenir le champion, incontesté sous la Ve République, des serrages de mains.
Il y eut trop de Chirac
Quel Chirac retenir? Décompte difficile. Il y en eut trop, et souvent très opposés les uns aux autres, assurent ses détracteurs. «Jacques Chirouette», décrivaient ceux-là. Fidèle à lui-même, à lui seul. Surdoué de la conquête du pouvoir et en définitive assez inapte à le conserver en l'état, même à son usage.
Tour à tour libéral-thatchérien, dans les années 1970, anti puis pro-européen, raccommodeur de «fracture sociale» en 1995, il se voulut gaulliste mais élimina l'un après l'autre les «barons» du gaullisme. Néo-gaulliste-social, alors, tendance Philippe Séguin?
Il se cala résolument sur l'autre rive, s'embourba, sous l'influence de ses conseillers Pierre Juillet et Marie-France Garaud, dans un gaullisme d'aventure, après Mai 68; sous celle de Charles Pasqua, également, dans les barbouzeries du Service d'action civique (SAC) et les affaires juteuses de Françafrique. Avec Jacques Chirac, l'héritage du gaullisme fut surtout sécuritaire.
Jacques Chirac et Charles Pasqua, le 19 mai 1988. | Gérard Fouet / AFP
«Vous savez, mon mari est de gauche», souffla un jour Bernadette Chirac à François Hollande. Comme si, au fond, il avait mené carrière, poussé son ambition contre son for intérieur, happé qu'il fût, par éducation, par ses études, et finalement sans protester, par la droite de l'époque, au sortir de l'ENA. Mais s'il s'était écouté...
Michel Rocard, son coreligionnaire à Sciences Po, pourra témoigner que l'étudiant Chirac fut un peu tenté par le PC à 20 ans, mais à son retour d'Algérie, en 1956, le sous-lieutenant Chirac se déclarait partisan de l'Algérie française. Retourné à Alger avec sa promotion de l'ENA, il ne fut sauvé que par ses camarades de l'enrôlement dans l'épisode des barricades, en 1960.
De gauche, il aurait pu l'être en 2002, et sans risque. Enfin, de gauche… Libre d'inventer l'inédit sous la Ve République, qui aurait signé sa réputation dans les annales: un gouvernement d'union nationale, droite modérée et gauche confondues, après son incroyable réélection à 82%, pour moitié avec les voix de la gauche, face au danger représenté par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle.
Au lieu de quoi, en quelques semaines, Chirac oublia ses promesses d'association et imposa à son premier ministre Jean-Pierre Raffarin un gouvernement sans esprit d'ouverture, conforme à l'usage idéologique du conservatisme français depuis vingt ans. Trois ans plus tard, en 2005, la réaction du pays lui vint par la victoire du «non» au référendum sur l'Europe.
Il voulut, dit-on, la droite à sa botte, en tout cas à son service, mais en quarante ans, Chirac éprouva toujours des difficultés à la contrôler. Trop d'ennemis intimes. Trahisons et trahisons et demie. Avant Nicolas Sarkozy en 1995, combien d'autres?
À la mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, il lança «l'appel des 43» pour rallier Giscard et les «divers droite» plutôt que d'apporter son soutien à la candidature de Jacques Chaban-Delmas. Puis il s'opposa, depuis Matignon, aux mêmes giscardiens, au point de démissionner deux ans plus tard et de recomposer l'unité des néo-gaullistes autour de l'UDR puis du RPR (Rassemblement pour la République) –non sans avoir été accusé par des gaullistes de la première heure, comme Robert Boulin ou Jean Charbonnel, d'une tentative de hold-up.
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Un rad-soc poussé à droite
Jacques Chirac se retrouva alors de plus en plus souvent en porte-à-faux par rapport à son électorat. Sous Giscard, à partir de 1974, sa base renâcla à voir adoptées les réformes sociétales, la majorité à 18 ans comme l'autorisation de l'avortement.
En 1981, il fut devancé par le président sortant et, autant par calcul que par dépit, fit discrètement voter pour François Mitterrand. Le Front national emplissait désormais son ciel.
François Mitterrand et Jacques Chirac, le 21 mai 1981. | AFP
L'épisode municipal de Dreux, en 1983, témoigna du raidissement sécuritaire de ses électeurs et de leurs tentations d'alliance avec l'extrême droite. Chirac le modéré, le rad-soc de Corrèze, poussé plus à droite qu'il ne le souhaitait. Aux législatives de 1986, il dut lui-même muscler son discours face à la menace du Front national.
Victorieux des élections, il lui revenait naturellement de conduire la cohabitation, et il commit l'erreur de s'opposer à François Mitterrand de front. Il s'épuisa en vaines querelles et se retrouva devancé par Raymond Barre dans les premiers sondages pré-électoraux pour la présidentielle de 1988. Mitterrand surclassa ses deux opposants: différence de statures trop importante. Le maître et l'élève, même énervé. «Chirac n'était pas encore tout à fait prêt», dira Charles Pasqua.
Par empressement sécuritaire, son gouvernement montra sa maladresse dans la gestion de la réforme des universités et les conséquences de la mort du jeune Malik Oussekine; évidemment, le président de la République en profita.
Au soir du premier tour, Jacques Chirac devança Raymond Barre d'un rien. Ecœuré. Tant d'efforts pour son camp, pour un gouvernement, pour la cohabitation, et si peu de points à l'arrivée?
Le débat télévisé du second tour fut une autre épreuve. Une démonstration d'inégalité:
– Ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n'êtes pas le président.., tenta-t-il d'affirmer.
–Vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre, lui répondit, glacial, le chef de l'État.
Réplique assassine. Le sort de Jacques Chirac était scellé. Il perdit l'élection par 54,02% des suffrages contre 45,98%. Score historique. Gaullien, même, pour Mitterrand. Et Chirac humilié pour le compte. «Les Français n'aiment pas mon mari», en conclut Bernadette Chirac.
Le battu de 1988 avait tellement tout emporté sur son passage jusqu'ici, alliés, adversaires et obligés, les figures de la droite avaient tellement l'habitude de buter sur lui, entré à la hussarde dans un ministère ou au siège du parti, de devoir rompre ou de l'accepter pour chef de file qu'ils étaient stupéfaits d'apprendre que Jacques Chirac traversait une profonde dépression post-électorale.
Il se morfondait dans son vaste bureau de la mairie de Paris, solitaire et autocritique. Pas au niveau, Chirac. Victime du complexe Mitterrand, il avait mené une campagne présidentielle de dauphin.
Jacques Chirac, le 5 juin 1988. | Pascal George / AFP
Il parlait maintenant de quitter la politique et pensait ouvrir une galerie d'art. Le château de Bity, qu'il avait acheté en 1969 avec Bernadette, sur le territoire de Sarran, en Corrèze, pouvait être transformé en musée des «arts premiers».
Une fois, déjà, il avait voulu changer de vie, en 1976. Mais c'était pour l'amour d'une femme. Sa conseillère de l'époque, Marie-France Garaud, était venue lui faire entendre raison.
La nature du système Chirac
Durant les premiers mois de 1988 apparaît mieux, sous une lumière affaiblie, la nature du système Chirac, lequel repose entièrement sur les produits dérivés du pouvoir –ce que Jean-Marie Le Pen appelle «les prébendes». La famille vit aux crochets des postes et mandats du père. Ils n'ont pas d'appartement à Paris. Ils squattent les salons de la République.
À la mairie, au long du mandat de premier magistrat, les frais de bouche des Chirac ont pu se monter à 2.134.200 euros et lorsque, en 1995, Jacques Chirac gagnera l'Élysée, la dotation présidentielle connaîtra un multiplicateur de 10, passant de 3 millions de francs sous Mitterrand à 31 millions en 2007.
Quand reflue le pouvoir, celui de distribuer postes, emplois –fictifs ou réels– qui vont assurer, des décennies durant, le financement du RPR, le clan Chirac se ramasse sur lui-même. Curieusement, on a toujours parlé de «clan» à propos d'eux. Comme les alliés politiques varient ou s'éloignent, ne demeure pourtant que la famille Chirac, qui ne compte que quatre membres. Bien peu de monde pour un clan, qui parvient tout de même à impressionner Paris et la France –c'est dire sa force de conviction.
Conscient de la fragilité des constructions politiques, au fond pessimiste, malgré sa tendance naturelle à l'empathie, Jacques Chirac se perçoit comme un homme seul. C'est pourquoi sa garde rapprochée se limite en fait à sa famille. Il a persuadé Bernadette de s'engager en politique, avec les mandats d'adjointe au maire de Sarran et de conseillère générale de Corrèze. Après 1988, Claude, sa fille cadette, deviendra le gourou de la communication de son père.
Claude et Jacques Chirac, le 11 février 1990. | Gérard Fouet / AFP
Les trois, père, mère et fille, protègent Laurence, la fille aînée, atteinte d'anorexie mentale depuis l'adolescence, qui ne paraît jamais en public. «Le drame de ma vie», confiera plus tard Jacques Chirac au journaliste Pierre Péan. Après plusieurs tentatives de suicide, Laurence décèdera en 2016, à l'âge de 58 ans.
Chirac est vraiment de retour en 1990. «Je me sens tout à fait bien», fanfaronne-t-il au micro d'un meeting. Chirac tel qu'en lui-même, les cheveux gominés du danseur de tango, le sourire du crocodile, affable et pressé. En fait, l'heure est plutôt grave: des «rénovateurs», parmi lesquels Séguin et Pasqua, contestent son leadership. Il prévient que s'il n'obtient pas les deux tiers des voix au congrès du RPR, il démissionnera.
Avec l'aide du précieux Alain Juppé, il est plébiscité. Mais le parti est hostile à la ratification du traité de Maastricht. Poussé par Édouard Balladur, son «ami de trente ans», il opte pour le «oui», «sans enthousiasme mais sans état d'âme». Le traité passe. Cap sur la présidentielle de 1995.
Aux élections législatives de 1993, le PS subit le plus grand revers de son histoire moderne. La droite revient au pouvoir. Mitterrand doit accepter une seconde cohabitation. Averti de l'adage selon lequel le locataire de Matignon ne gagne jamais la présidentielle suivante, Chirac envoie Balladur à sa place, lequel se sent aussitôt pousser une ambition inattendue.
Le nouveau Premier ministre prend ses distances avec le chef du RPR. Chirac se sent comme mis à la retraite. Ses fidèles, Pasqua, Toubon, Sarkozy, Roussin, même Juppé, se retrouvent au gouvernement. «Même quand Édouard me serre la main, il s'arrange pour ne pas me regarder», dira Chirac.
Le chef de l'État l'enjoint de déclarer sa candidature sans attendre. Mais dans les sondages, Balladur le devance déjà, et une bonne partie de l'entourage de Chirac, tels Sarkozy et Pasqua, vole au secours d'une victoire promise à la présidentielle. Même Juppé hésite. La majorité est persuadée que Chirac a laissé passer ses chances d'entrer un jour à l'Élysée. Chirac, homme du passé.
Jacques Chirac et Édouard Balladur, le 20 avril 1995. | Pierre Verdy / AFP
Il se déclare pourtant, le 4 novembre 1994. Philippe Séguin lui a concocté un programme de droite sociale, la lutte contre la «fracture sociale», «La France pour tous», slogan orné d'un arbre, peut-être un pommier, ce qui poussera «Les Guignols» de Canal + à croiser l'image de la marionnette de Chirac avec ce conseil: «Mangez des pommes!» Sa meilleure campagne, d'arpenteur et de serrements de mains.
L'élite parisienne, souvent même celle de gauche, est toute entière derrière Balladur, donné déjà victorieux partout. Lui est avec le peuple, et en province. Chirac n'est jamais aussi bon que lorsqu'il se bat contre le conservatisme de droite, note un observateur. Les semaines passant, Balladur apparaît comme un grand bourgeois, «qui serre les mains avec des gants».
L'homme des cohabitations
Au soir du premier tour, le candidat de la gauche, Lionel Jospin, débouche en tête avec 23% des voix. Chirac suit avec 20%, devançant son rival de 700.000 voix. L'Élysée lui ouvre enfin ses portes. Chirac, chef de l'État. Bernadette, Claude et Laurence, dans le palais des palais.
Il a nommé Alain Juppé à Matignon et, bien sûr, ses promesses de campagne sont impossibles à tenir. Chirac s'était engagé à baisser les impôts. Il faut au contraire accroître d'urgence la pression fiscale. La fracture sociale ne sera pas réduite, enfin pas cette fois. Reviennent les rengaines sur l'homme «qui varie avec le fond de l'air» et son incomparable capacité «à changer de promesses».
La première des réformes sociales, sur la sécurité sociale et les retraites, jette la France du travail dans la rue. À l'hiver 1995, le gouvernement doit reculer. La chute de popularité du Premier ministre est impressionnante: de 69% à 29%, le temps d'une saison.
Chirac, bien vite, n'a plus que deux solutions désespérées: «dissoudre» le Premier ministre ou dissoudre l'Assemblée nationale. Il ne touchera pas à Alain Juppé, le meilleur d'entre eux. Mais il jure aussi qu'il n'est pas question de dissoudre l'Assemblée. Pourtant, se contredisant une fois encore, il apparaît finalement à la télévision, le 21 avril 1997, pour déclarer la mine grave: «J'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale.» Décision ahurissante, de mémoire de Ve République. Il vient de donner le pouvoir à la gauche, qui ne lui demandait rien.
Chirac, l'homme des cohabitations, décidément. Mais cette fois, il est lui-même dans le rôle de Mitterrand et n'a qu'à faire le tour de la table du conseil des ministres pour retrouver des sensations connues. Son Chirac à lui s'appelle Jospin, et comme lui-même le fit en 1986, celui-ci réclame toute sa part constitutionnelle du pouvoir.
Comment, pourquoi un tel faux pas? Chirac avait tout, l'Élysée, Matignon, le perchoir de l'Assemblée, la majorité absolue la plus large, les régions et les départements. Comment s'est-il débrouillé pour être l'objet d'un tel ridicule, deux ans après un sacre personnel si difficile à décrocher?
À l'Élysée mieux qu'à la mairie de Paris ou au RPR se distinguent ses failles, ses hésitations, ses suivismes valant accord avec le dernier ayant parlé. Plus grave: son absence de vision de la France et de l'horizon où la conduire. Chirac, une ambition sans boussole. Un brave gars devenu président, bon gosier, bonne fourchette et non, comme de Gaulle, Giscard et Mitterrand, un souverain hautain condescendant à se mêler aux terriens.
Comme un fait exprès le rattrapent aussi les affaires de la mairie de Paris, suspicions de marchés truqués et d'emplois fictifs. Avec à la clé l'épisode «abracadabrantesque» (formule rimbaldienne) de la cassette Méry, ou les fameux «frais de bouche» de la famille présidentielle, ces vacances de nababs à l'île Maurice ou ces billets d'avion réglés en cash.
Le pouvoir est obligé de recourir aux pires méthodes, trop visibles, du «gaullisme judiciaire» des années 1960 pour retarder l'action des magistrats instructeurs contre le locataire de l'Élysée. Alain Juppé, le fils parfait, le paiera d'une inéligibilité au Canada.
Le balancier, pourtant, repart une fois encore dans l'autre sens. Chirac retrouve sa baraka en un autre retournement inédit sous la Ve République –ce qui fait de lui le premier collectionneur d'incongruités politiques de la période.
En 2002, il est candidat à sa propre succession, mais les oracles lui accordent fort peu de chances. L'avenir est promis à Lionel Jospin, qui n'a qu'à paraître pour l'emporter. Bien sûr, c'est sans compter la multiplicité des candidatures à gauche, et autant d'arrogances individuelles, et l'éparpillement électoral qui pourrait en découler. Au soir du 21 avril 2002, Chirac retrouve toutes ses chances de l'emporter grâce à l'aptitude au suicide d'une «majorité plurielle» jouisseuse maso.
Il ne serait pas inutile de conserver à part les images et discours de la campagne de Jacques Chirac pour le second tour de la présidentielle de 2002. Bien sûr, c'était plié; avec les voix de la droite et de la gauche, ou partie de celles-ci, face à Jean-Marie Le Pen sociologiquement cadenassé autour des 20%, le chef de l'État voyait un boulevard s'ouvrir devant lui. Mais il y mit la manière –qui demeure, dix-sept ans plus tard, comme une leçon. Il arpenta le pays une dernière fois, sous l'étendard de la démocratie et de la tempérance. Refusa les surenchères, toujours plus à droite, quand le leader du Front national y plantait ses mirages.
Jacques Chirac, le 3 mai 2002. | Patrick Kovarik / AFP
Dès le 22 avril, la jeunesse se propulsa dans la rue et ne la quitta pas de la semaine. Ennuyée, évidemment, comme une partie de la gauche adulte, d'avoir négligé d'aller voter au premier tour, néanmoins rivée à un idéal. Jacques Chirac, toute la même semaine, y répondit avec une totale justesse. «L'extrémisme dégrade, affirma-t-il, et salit l'image et même l'honneur de la France.»
Ce mérite-là, chez lui, fut constant: malgré les turbulences, il ne céda jamais aux chants des sirènes, refusa les alliances de majorité, rejeta jusqu'à l'idée même de crier aux loups avec les loups. Si ça devait être sa seule conviction, elle serait bienvenue, et encore fort opportune. Et Jacques Chirac, en un tel message posthume, aurait raison de se rappeler au bon souvenir de ses héritiers en campagne.