France / Politique

Avec ses pantalons, Chirac était sapé comme on ne le sera plus jamais

Temps de lecture : 5 min

Impossible d'oublier cette façon qu'il avait de les porter au-dessus du nombril.

Le 27 avril 1996, le président de la République Jacques Chirac marchant dans les jardins du palais de l'Élysée à Paris. | Jacques Demarthon / AFP
Le 27 avril 1996, le président de la République Jacques Chirac marchant dans les jardins du palais de l'Élysée à Paris. | Jacques Demarthon / AFP

Dès l'annonce de la mort de Jacques Chirac, ce 26 septembre à l'âge de 86 ans, les photos de l'ancien chef de l'État endormi dans un avion ou dans le métro ont défilé sur les réseaux sociaux. Dans toutes ces images, un détail récurrent: ses pantalons, remontés jusqu'au nombril –voire au-dessus. Jacques Chirac pouvait même y coincer facilement ses cravates, pour que le vent ne les emporte pas.

À notre époque où le taille basse règne sans partage chez les hommes, cette façon de porter son pantalon est tellement vintage qu'elle a connu un véritable retour de hype auprès de certains hipsters, qui lui ont consacré un Tumblr et un nombre incalculable de t-shirts. Qui ne reconnaît pas cette posture détendue où feu Jacques Chirac ouvrait sa veste et plantait ses mains dans ses poches pour faire ressortir son large pantalon? Un cliché, symbole de cette vieille France OSS 117, cigarette au bec et cheveux gominés, qui a d'ailleurs longtemps fait le bonheur des «Guignols de l'info» et des humoristes qui avaient trouvé chez lui une caricature plus vraie que nature. Dans Chirac, le président aux 5 visages, le chansonnier Jacques Mailhot expliquait:

«Pour nous, c'est un bonheur scénique, tellement la matière est énorme. […] On a longtemps utilisé le coup du pantalon remonté jusqu'au menton, mains dans les poches.»

Marionnette de Jacques Chirac dans les Guignols de l'info. | Capture écran

Symbole de la virilité en politique

Si aujourd'hui, le jean taille basse et ses différentes déclinaisons (du baggy des années 2000 au slim des années 2010, que l'on porte au niveau des hanches) dominent l'industrie du pantalon masculin, dans les années 1960-1970, quand Chirac faisait ses premiers pas en politique, la coupe était bien différente. Le pantalon taille haute régnait en maître.

Jacques Chirac sur le tarmac de l'aéroport de Fort-de-France, le 6 avril 2002. | Patrick Kovarik / AFP

Son choix de les porter ainsi «n'était pas un effet de style. Tout le monde avait ce genre de pantalon quand il a commencé la politique, explique Alice Pfeiffer, journaliste spécialisée dans la mode. À ses débuts, la technologie pour faire du stretch qui tenait sur les hanches n'existait pas encore. Le pantalon taille basse et son image sexualisée sont arrivées plus tard avec la mode femme. D'ailleurs, avec les années, Jacques Chirac aurait pu changer de coupe. Il ne l'a pas fait.»

L'ancien président n'a pas opté pour ce style par seule flemme de coller à la mode: il accordait une importance particulière à leur symbolique. Dans Une histoire politique du pantalon, l'historienne Christine Bard écrit qu'en 1976, alors qu'il est le Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, Chirac s'indigne de voir la secrétaire d'État aux Universités Alice Saunier-Seïté arriver en pantalon.

L'une de ses insultes préférées: dire qu'une personne n'avait «rien dans le pantalon».

Il demande alors à son chef de cabinet, Jérôme Monod, «de faire savoir à la rebelle qu'elle dégrade la fonction et l'image de la France». «Le pantalon –et son ancêtre la culotte– était depuis des siècles le symbole le plus fort de la masculinité et du pouvoir, explique Christine Bard. Le pantalon, vêtement fermé et protecteur, “fabriquait” la masculinité. Le porter, pour une femme, était considéré comme une transgression allant contre l'ordre naturel et contre l'ordre social. Mais il était aussi très réprouvé, en tant que geste d'émancipation.»

Autre anecdote, à propos de l'une des insultes préférées de Jacques Chirac: dire qu'une personne n'avait «rien dans le pantalon». Ce qu'il se passe sous la ceinture (on ne parle pas de ses vacances au château de Brégançon en 2001) revêtait à ses yeux une importance particulière. «Jacques Chirac a une forte présence corporelle. Il est très “physique”, confirme Christine Bard. Mettre son pantalon en avant, c'est aussi faire preuve d'une virilité ostentatoire –c'est l'époque d'Elvis the Pelvis

Une image «proche du peuple»

Au fil du temps, et une fois bien installé dans le paysage politique français, Jacques Chirac, avec ses pantalons remontés, a fini par adopter une autre image, celle d'un homme au «style plutôt décontracté et “proche du peuple”, ce que confirment les bains de foule», nous explique l'historienne.

«C'était une façon de ne pas se faire beau, avec des costumes qui n'étaient pas sur-mesure comme Sarkozy qui, avant la crise, faisait preuve d'une certaine opulence, note Alice Pfeiffer. Chirac, lui, donnait l'impression d'avoir acheté ses vêtements dans l'urgence, comme pour signifier: “L'argent du pays ne va pas dans mes costumes.” Sans être populiste, il jouait avec l'image du papa sans ego, du monsieur sympathique, bienveillant et pas narcissique.»

Son allure dégingandée que soulignent les mains dans les poches participaient aussi à cette image d'homme proche du citoyen. «C'était une façon un peu provoc de dire: “Je m'en fous, regarde comme je suis peu guindé”», ajoute la journaliste.

Avec le Premier ministre britannique Tony Blair dans les jardins de l'Élysée, le 11 juin 1997. | OFF / AFP

À l'occasion d'une chronique diffusée sur France Info en 2014, Philippe Vandel évoquait deux autres raisons pour lesquelles l'homme politique restait attaché aux tailles hautes et elles sont directement liées à l'âge. Ces pantalons étaient une façon de cacher un ventre qui s'arrondissait et tombait en vieillissant tout en compensant la diminution de sa propre taille. «Chacun, au cours de sa vie, perd des centimètres, explique Vandel. Année après année, les vertèbres se tassent, le dos se courbe. De deux choses l'une. Soit on refait tous ses ourlets, soit on remonte son pantalon pour qu'il ne traîne pas au sol. D'où la ceinture au nombril.»

«Aujourd'hui, explique Alice Pfeiffer, avec la peopolisation de leur milieu, les politiques font plus attention à leur bedaine. Le public, qui est inondé d'images toutes les secondes, y fait désormais attention à son tour.»

La disparition de Jacques Chirac et de ses pantalons remontés jusque sous les aisselles, sonne à sa manière la fin de cette vieille France dont le plus haut représentant n'avait pas à se soucier de ses problèmes de cravate.

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