Mettre un paquet de sucre et d’épices dans du vin soigneusement produit, n'est-ce pas une drôle d’idée? C’est en tous cas une idée très ancienne. «Au départ, les épices servaient à la conservation. Puis à des fins médicinales, et pour le goût. C’est une vieille tradition», raconte Sandrine Goeyvaerts, caviste et auteure de La Pinardothèque.
Dans son récent ouvrage Jamais en carafe, elle évoque ainsi le vin aromatisé d’Hippocrate, concocté par le savant plusieurs siècles avant J-C. Mais aussi:
«On trouve dans le De Re Coquinaria d’Apicius [le Cyril Lignac de l’époque, ndlr] une recette de vin merveilleux aux épices et une recette de vin miellé pour le voyage. Le bassin méditerranéen perpétue cette tradition de vins aux épices: utiles à la conservation, offrant une palette de saveurs originales, voire clairement utilisés comme médocs, les épices et les aromates donnent le pimen, l’ipocras puis l’hypocras qui sont les ancêtres des rosés pamp’: la variété des épices, des fruits qu’on peut utiliser n’est limitée que par la seule imagination».
L’historienne Catherine Ferland explique sur son site que l’usage de servir ce vin épicé en version chaude viendrait surtout du nord de l’Europe. De nombreuses variantes du breuvage deviennent au cours des siècles des recettes traditionnelles de divers pays et régions du monde… Citons l’Alsace et ses marchés de Noël, mais aussi l’Allemagne (le vin chaud est appelé «Glühwein») ou bien sûr en Scandinavie et notamment la Suède («glögg»).
Cilla Lewenhaupt-Herpe, Suédoise installée en France et auteure de Cuisine suédoise, récits et recettes, raconte que dans le nord de l’Europe, on le buvait autrefois pour les vertus médicinales des épices, et puis parce que «le vin avait fortement besoin d’être amélioré à l’époque... Aujourd’hui nous avons gardé la tradition à Noël».
C’est tout un concept, pas seulement du vin! C’est un peu “portes ouvertes”, on passe, on s’arrête, on continue. Cela permet d’inviter tout le monde
C’est donc une boisson que l’on sirote «pendant le mois de décembre, pour le goûter, avec des petits biscuits épicés. On le prépare plutôt à la maison, c’est amical et familial».
Anna Nordenmark, chef du Café Suédois, dans l’Institut Suédois à Paris, approuve:
«En Suède, tout le monde fait du glögg, partout. Cela fait partie du moment de préparation de Noël. C’est tout un concept, pas seulement du vin! C’est un peu “portes ouvertes”, on passe, on s’arrête, on continue. Cela permet d’inviter tout le monde. Pendant les vacances de Noël, il y a toujours une casserole à réchauffer sur le feu…»
Le choix du vin…
Comment procéder? D’abord, choisissez l’ingrédient de base, le vin. Non, un litre de Villageoise ne se transformera pas, comme par magie, en un délicieux vin chaud embaumant votre cuisine. Sandrine Goeyvaerts explique que «si le vin est mauvais au départ, on aura un produit fini mauvais… Mais il n’est pas nécessaire non plus de choisir une AOC prestigieuse. Un vin de pays parfumé, bien fait, c’est très bien».
Plus précisément, quel type de vin choisir? «C’est une tradition alsacienne, donc si on est attaché à l’origine des produits, on peut se tourner vers un Pinot noir d’Alsace», souligne Sandrine Goeyvaerts. Mais «un Merlot ou un Grenache, c’est très bien aussi». Même si, «vu l’ajout d’épices et de sucre, l’expression du cépage n’est pas très marquée»...
Notons qu’on peut voir de plus en plus de vin blanc chaud en Alsace, notamment grâce la Tribu des Gourmets du vin d’Alsace, qui veut promouvoir les vins locaux… essentiellement blancs. On se limitera ici au classique rouge.
…Et du mélange de bonnes choses pour parfumer
Justement, évitez les mélanges en poudre tout prêts. «Les arômes sont souvent peu précis. Et puis ce n’est vraiment pas compliqué de faire son vin chaud», glisse Sandrine Goeyvaerts. Ne parlons même pas des préparations au vin épicé à réchauffer, souvent bien trop sucrées.
Alors, cannelle, cardamome, badiane (anis dit «étoilé»), gingembre, clous de girofle, noix de muscade, voire vanille ou poivre, quelles plantes et épices choisir pour parfumer tout ça? C’est là que la quête de la vraie recette se complique.
«En Suède, on dit qu’il y a autant de recettes pour la cuisson des écrevisses que de lacs dans le pays. Ce qui n’est pas peu dire. Je pense que c’est un peu pareil pour le vin chaud! Pour moi, la recette de base, c’est cannelle, cardamome, clous de girofle, gingembre. Mais c’est très souple! Cela dépend des familles», explique Cilla Lewenhaupt-Herpe.
Sans oublier l’écorce d’orange amère, souvent présente dans les recettes suédoises.
Au marché de Noël de Strasbourg, Mathilde Bonichot propose chaque année sur son stand «Chez Mathilde» des gâteaux et un vin chaud fort apprécié. «Je ne peux pas dire que ce soit la recette traditionnelle, car je l’ai recréé à partir du souvenir d’enfance du vin chaud préparé par mon père, en Lorraine. Il n’y a pas de secret, à part un bon mélange d’épices, et de l’amour!», dit-elle. Justement, les épices et autres éléments aromatiques: Mathilde Bonichot choisit quant à elle de l’anis étoilé, des bâtons de cannelle, du gingembre, des gousses de cardamome, de la muscade, les clous de girofle. Mais aussi des cubes d’orange et de citron bio.
Le vin peut attraper un côté amer. Il vaut donc mieux augmenter la température doucement, pour obtenir juste un frémissement
Aucun ingrédient ne semble donc interdit ou immanquable dans les diverses recettes... Après le vin, les épices et autres zestes, le troisième élément essentiel, c’est bien sûr le sucre. Le dosage est un peu une question de goût et d’habitude, et dépend là encore de la version choisie: de 50g à 200g de sucre par bouteille de vin en fonction des recettes!
La préparation
Enfin, faut-il ajouter de la vodka? Du porto? Du rhum? «C’est un peu dommage, ce n’est pas génial pour l’arôme du vin», souligne Sandrine Goeyvaerts.
Mais une dose d’un breuvage costaud peut tout de même être utile pour la préparation du vin chaud. Car les choses se corsent encore. Deux méthodes principales existent: on peut d’une part faire macérer les épices dans un alcool fort. Ainsi, Cilla Lewenhaupt-Herpe met les épices dans un bol de 20 cl de porto pendant 24 heures. Elle filtre cet alcool parfumé, qu’elle chauffe ensuite avec le vin et le sucre.
Anna Nordenmark, la chef du Café Suédois, fait quant à elle bouillir les épices (cannelle, gingembre, clous de girofle, cardamome, écorce d’orange amère) dans un petit peu d’eau, puis ajoute une dose de vodka et laisse infuser deux ou trois jours. Ce breuvage parfumé est filtré et sert ensuite à aromatiser le vin (et peut tout à fait se conserver).
Autre manière, on met les épices directement dans la marmite de vin. «Au marché de Noël, on fait de grandes quantités, donc on met les épices et les morceaux d’agrumes dans le vin et on fait chauffer doucement», raconte Mathilde Bonichot. Made in Alsace, qui édite un site web et des guides sur le tourisme et la gastronomie en Alsace, propose également une recette où l’on met tout les ingrédients ensemble dans la casserole: le vin et l’étoile de badiane, puis les zestes de citron et d'orange, et enfin le sucre et les épices (cannelle, clous de girofle, genièvre, noix de muscade râpée), avant de laisser chauffer pendant une vingtaine de minutes.
«Les deux méthodes sont valables!», affirme Cilla Lewenhaupt-Herpe, qui avoue une préférence pour l’infusion dans le porto.
Non au bouillon
Attention, il ne faut jamais faire bouillir le vin, au risque de voire l'alcool s'avaporer. «Et le vin peut attraper un côté amer. Il vaut donc mieux augmenter la température doucement, pour obtenir juste un frémissement», signale Sandrine Goeyvaerts. Quand ça sent très, très bon dans votre cuisine, ça y est.
Dans un bon glögg, il faut qu’on puisse faire la différence entre les différentes épices
Une fois que votre vin chaud a bon goût (il est évidemment conseillé de goûter la mixture en cours de route pour obtenir la boisson qui vous conviendra le mieux), il s’agit de le filtrer si vous avez employé la deuxième méthode. Une passoire fine fera bien l’affaire. Cette étape est importante pour que les épices ne s’éternisent pas dans le vin, car «si on les laisse trop longtemps, le vin aura par exemple trop le goût du clou de girofle, qui prendra le pas sur les autres épices. Dans un bon glögg, il faut qu’on puisse faire la différence entre les différentes épices», signale Anna Nordenmark.
Et pour servir, quel récipient choisir? «Cela n’a pas une importance fondamentale! Il faut juste que le vin reste chaud et qu’on ne se brûle pas», dit Sandrine Goeyvaerts. Dans la version suédoise, on ajoute des raisins sec et/ ou des amandes dans la tasse.
Si vous ne buvez pas tout, tout de suite, le vin chaud peut se conserver dans une bouteille et se réchauffer un peu plus tard. Dernière petite chose, «il est possible de faire plaisir avec un Glögg sans alcool: laissez les épices mariner dans du sirop de cassis concentré, filtrez et mélangez avec du sirop de cassis dilué», note Cilla Lewenhaupt-Herpe.
La vraie recette du vin chaud
Vous l’aurez compris, la vraie recette n’est pas gravée dans le marbre. Entre le choix des épices et la méthode, il y a le choix et aucun sacrilège impardonnable. Voilà cependant une bonne recette testée et approuvée, à laquelle vous pourrez ôter ou ajouter des épices en fonction de vos goûts.
Ingrédients
- 1 bouteille (75 cl) de vin rouge
- 120 g de sucre roux
- 1 bâton de cannelle
- 1 cm de gingembre
- 5 clous de girofle
- 1 petite cuillère à café de graines de cardamome grossièrement concassées
- le zeste d’une demi-orange bio
- Voire aussi, si le cœur vous en dit: un peu de noix de muscade, une étoile de badiane, quelques grains de poivre, des morceaux d’agrumes…
Recette
Mélangez dans une casserole le sucre et le vin. Faites chauffer à feu doux. Quand le liquide frémit, ajoutez les autres ingrédients. Ne laissez surtout pas bouillir, couvrez et prolongez la cuisson tout doucement pendant vingt à vingt-cinq minutes, en mélangeant de temps en temps. Le vin chaud doit sentir très bon!
Filtrez avec une petite passoire et servez bien chaud.
Retrouvez d'autres recettes en vidéo dans notre playlist YouTube dédiée et sur notre page Facebook.