La Russie ne s'intéresse pas seulement à la Chine pour lui vendre son gaz. Le parti Russie unie, cherche à resserrer ses liens avec le Parti communiste chinois (PCC). Vladimir Poutine et ses amis sont intéressés par la manière dont le pouvoir chinois a géré la crise économique mais plus généralement le régime chinois avec son mélange de fermeté politique et d'ouverture économique leur parait être une source d'inspiration pour leur propre pays. On assiste ainsi à un de ses retournements dont l'histoire a le secret.
Malgré des relations parfois tumultueuses avec le Parti communiste d'Union soviétique avant même la création de la République populaire de Chine, qui vient de fêter son 60e anniversaire, le PCC a été construit sur le modèle du grand frère de Moscou. Les deux partis et les deux pays se sont séparés dans les années 1960 quand Mao a accusé Khrouchtchev de «révisionnisme». Le schisme a duré plus de vingt ans. Avec Mikhaïl Gorbatchev, les relations ont connu une nette amélioration, marquée par la visite du numéro un soviétique à Pékin en 1989. C'était au moment du «printemps de Pékin» et Gorbatchev a été fêté par les manifestants de la place Tien Anmen comme un héros.
En effet, il avait l'image du réformateur, qui avait desserré l'étau idéologique et politique en URSS alors que la direction chinoise, menée par Deng Xiaoping, pratiquait depuis dix ans l'ouverture économique de la Chine tout en refusant toute idée de libéralisation politique. Deng allait en faire la démonstration juste après le départ de Mikhaïl Gorbatchev de Pékin en lançant les chars de l'armée populaire contre les manifestants.
Le paradoxe, c'est qu'à Moscou, dans le même temps, les critiques du secrétaire général du PCUS louaient déjà la «modèle chinois» qu'ils voulaient voir appliquer à l'URSS: une sorte de perestroïka sans glasnost, la réforme économique sans la liberté d'expression. Ils en attendaient à la fois la croissance et le maintien de la main mise du Parti sur la société. Ce n'était pas la voie choisie par Gorbatchev et ses plus proches conseillers, tel Alexandre Iakovlev. Ceux-ci soutenaient que la fin de la gestion administrative de l'économie, qui avait mené l'URSS au bord de la faillite, et l'adoption d'une forme d'économie de marché ne pouvaient être séparées de la réforme politique.
Avec sa théorie de la «démocratie souveraine» ou de la «verticale du pouvoir», Vladimir Poutine se sent plus roche des idées chinoises que des chantres de la démocratisation de la Russie. Sans doute, le système de parti unique a été aboli à Moscou depuis 1991, et quelles que soient ses convictions profondes, le Premier ministre et ex-futur président russe n'est pas en mesure de la rétablir. D'ailleurs, du côté chinois, s'il n'est pas question d'abolir le monopole du PCC sur le pouvoir, on songe à tolérer au sein du parti unique des tendances qui refléteraient la diversité croissante de la société. Mais le parti Russie unie est devenu le parti du pouvoir, un parti dominant et omniprésent, dont l'hégémonie est constamment renforcée par des changements des institutions.
La loi électorale ne laisse que des miettes aux autres formations politiques dont la seule fonction semble être de sauver les apparences d'un système pluraliste.
Dans ses conditions, il n'est pas étonnant que Russie unie s'intéresse de près au fonctionnement du PC chinois et que Poutine veuille tirer les leçons du modèle de développement. Toutefois, il est un peu simpliste d'opposer les deux expériences, russe et chinoise, de ces vingt dernières années: la liberté politique qui a conduit dans un premier temps à une forme d'anarchie et de baisse du niveau de vie, d'une part; la modernisation économique sans réforme politique d'autre part. La structure des deux économies fait la différence: un système archaïque en Russie dont la prospérité est uniquement fondé sur l'exportation des ressources naturelles, en particulier énergétiques; une économie de plus en plus diversifiée en Chine, dont le moteur est certes l'exportation mais qui est en mesure de fabriquer des produits finis pour le commerce mondial. Il ne suffira pas à Vladimir Poutine d'accroître son emprise par l'intermédiaire d'un parti de plus en plus puissant pour assurer à son pays un en véritable développement.
Daniel Vernet
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Image de une: les Premier ministres chinois et russe, Wen Jiabao et Vladimir Poutine, à Pékin le 13 octobre 2009. REUTERS/Jason Lee