Santé

En France, le suivi des grossesses, c'est bien trop souvent l'angoisse

Temps de lecture : 6 min

La France a opté pour un suivi des grossesses très médicalisé avec un échange de paroles parfois très réduit. Un choix pas forcément idéal pour traverser ses neuf mois en toute sérénité.

PHILIPPE HUGUEN / AFP
PHILIPPE HUGUEN / AFP

Trois tests de grossesses, 10 analyses d'urine, 11 prises de sang, 12 échographies, 1 test HPGO, 200 bandelettes pour la glycémie, 1 prise d'antibiotique, 11 consultations (dont 1 avec une endocrinologue), des centaines de pages internet consultées et le même mantra répété sans cesse «Jusqu’ici tout va bien».

En neuf mois, je suis devenue une habituée du laboratoire d'analyse de mon quartier. À mon arrivée, la secrétaire me lance un sourire complice et s’enquière de mes nouvelles. Il faut dire qu'on commence un peu à se connaître. À chaque début de mois, j’enchaîne les prises de sang et les analyses d'urine.

«L'une, c'est pour vérifier si vous n'avez pas d'agglutinines irrégulières et l'autre pour voir votre glycosurie et votre protéinurie... deux petits trucs pour prévenir les risques de diabète et d'hypertension qui pourraient être sources de... complications pour votre bébé et vous», m'informe ma gynécologue à notre premier rendez vous.

Complication, un mot prononcé à la va-vite au cours d'un entretien de quinze minutes qui allait me lancer dans un processus propre à certaines futurs mères angoissées qui passent leur temps sur internet à l'affût du moindre renseignement sur ces éventuelles complications.

  • Première étape: la recherche d'explications:

S'informer sur les différent termes présents sur la feuille d'analyse: Glycosurie Protéinurie, agglutines irrégulières. Prenons ici l'exemple de la protéinurie:

Selon le site Infos-grossesse.fr:

«La protéinurie décrit un état dans lequel l'urine contient une quantité anormale de protéines. La protéinurie est un signe qu’une pré-éclampsie est possible et qu’il faut donc monitorer la grossesse de plus près afin d’éviter le pire. (...) Si vous avez de la protéinurie et une tension élevée il est vivement conseillé de voir votre médecin! Vous avez de très grandes chances de faire une pré éclampsie!»

  • Deuxième étape: Mesurer sa chance... en recherchant la définition de pré-éclampsie

Selon l'Inserm:

«La pré-éclampsie est une maladie fréquente de la grossesse. (...) Non traité, ce syndrome entraîne de nombreuses complications qui peuvent conduire au décès de la mère et/ou de l’enfant.»

On en revient toujours aux fameuses COMPLICATIONS!!!

  • Troisième étape: se rassurer via les forums de discussions en attendant d'avoir votre gynéco au téléphone

Lu sur le forum notrefamille.com

«J'ai eu mon résultat d'analyse d'urine hier et il indiquait un taux de 0.22 g/l de protéine pour un taux normal inférieur à 0.10g/l. J'ai donc téléphoné à mon gygy, mais comme il n'était pas là, on m'a passé un interne qui n'avait pas l'air trop inquiet mais évidemment, comme je m'inquiète toujours (ma psychose de femme enceinte).»

Pendant mon dernier mois de grossesse, j'ai eu la même chose, et tout comme toi: psychose. Mon gynéco était en vacances quand j'ai eu les résultats

Réponse de Junior Member:

«Pendant mon dernier mois de grossesse, j'ai eu la même chose, et tout comme toi: psychose. Mon gynéco était en vacances quand j'ai eu les résultats. J'étais sûre que je faisais une pré-éclampsie et j'ai appelé la maternité. Une super sage-femme m'a rassurée en me disant que si je n'avais pas de tension, cela ne pouvait pas être une pré-éclampsie mais que je pouvais passer, si ça pouvait me rassurer! Donc si tu n'as pas de tension, ce n'est rien de grave! 0.22 n'est pas très haut...»

Nous voilà rassurées mais pas totalement... Et pour cause, les forums de discussions peuvent amplifier nos angoisses. «Ils ne sont pas modérés par des soignants et donnent des informations souvent erronées qui ne tiennent pas en compte des pathologies des certaines femmes». Pour éviter au maximum de s'angoisser, Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des sages-femmes, préconise de bien choisir le praticien qui suivra la grossesse:

«Les femmes doivent se sentir en confiance pour poser toutes les questions qu'elles souhaitent et comprendre pourquoi elles doivent faire des examens.»

Au nom du principe de précaution

Oui, mais voilà certaines femmes n'ont pas la chance d'être en phase avec leur praticien. Pour ma part, dès le premier rendez vous avec ma gynécologue, j'ai su que le suivi de ma grossesse allait s'avérer très médicalisé. Ma «gygy» n'était qu'une machine à effectuer des ordonnances et des échographies mensuelles «pour voir si le cœur du bébé bat toujours ;)», dixit avec humour ma praticienne «d'amour» –j'apprendrais plus tard que ces échos n'étaient pas obligatoires mais ça bien sûr «gygy» avait oublié de m'en parler. Question relationnel, le rendez-vous était bâclé en quinze minutes sans que j'ai pu ou eu le temps de poser la moindre question. Résultat, ma grossesse s'apparentait plutôt à un long parcours médical ponctué par des prises de sang, des échographies, des heures d'attente chez le gynécologue, le laboratoire, la pharmacie...

Dans son article intitulé Pour une médicalisation raisonnée de la maternité, Myriam Szejer, pédopsychiatre, psychanalyste et présidente de l'association La Cause des bébés pointe du doigt la médicalisation intensive de la grossesse:

«Dans une logique économique, la priorité a été mise sur l’efficacité technique, et dans une logique paranoïaque, sur la diminution du risque, si bien qu’en périnatalité, les femmes ne sont plus des sujets pensants et parlants, les enfants des êtres de langage, mais les objets d’enjeux multiples qui les dépassent. Il serait bon de repenser la façon dont est mis en équation le futur. La grossesse n’est pas une maladie, les progrès en matière d’obstétrique ont tendance à le faire oublier.»

«On ne veut pas pourrir la vie des femmes, on tente juste de prévenir les maladies que l'on peut prévenir», explique Marianne Benoit Truong Canh qui reconnaît qu'en France, nous appliquons à outrance le principe de précaution. Selon celui-ci, j'ai dû faire l'HPGO (hyperglycémie provoquée par voie orale) pas obligatoire mais «fortement recommandée» car j'avais des antécédents familiaux de diabète. L'HGPO est pratiquée en trois temps: une première prise de sang à jeun , une seconde prise de sang une heure après avoir bu 75 g de glucose, puis une troisième prise de sang deux heures après ingestion. Pour la seconde prise de sang, j'étais à 1,83 au lieu d'1,80, un «score» suffisamment élevé pour que je rejoigne le cercle très fermé des 5% de femmes qui font du diabète gestationnel. Joie.

«Il faut que vous voyez une endocrinologue très rapidement pour convenir d'un régime sans sucres car cela pourrait représenter des risques pour votre bébé», m'informe ma «gygy» par téléphone. Après deux heures d'attente, je me retrouve devant la spécialiste qui, voyant mon niveau d'angoisse me rassure:

«Vous savez 1,80, c'est juste une norme. Avec votre 1,83, vous êtes une petite joueuse. Tranquillisez-vous. Chaque année, je reçois une cinquante de femmes enceintes stressées car leur gynécologue a dressé un bilan alarmiste de la situation.»

Peur et culpabilité

Au final, je suis repartie après quarante minutes d'entretien, avec un appareil pour les diabétiques accompagnée d'une centaines de bandelettes pour mesurer chaque jour ma glycémie, un heure après chaque repas. Mais cette fois-ci, je n'étais pas stressée, on avait pris le temps de me parler, de m'expliquer, de me réconforter. On avait pas utiliser ma peur ou jouer sur ma culpabilité.

Avec un suivi personnalisé, j'ai pu me projeter dans l'après, dans quelque chose de positif et de moins anxiogène

À bien y réfléchir, le problème ne serait pas la médicalisation de la grossesse, mais plutôt l'approche de son suivi. Depuis janvier 2016, neuf maisons de naissance, gérées par des sages-femmes libérales, proposent des accompagnements personnalisés et un accouchement physiologique. Au CALM, une maison de naissance accolée aux Bleuets à Paris, les consultations mensuelles durent 1h30 et se décomposent en deux temps: l'entretien médical et la préparation naissance.

Margaux qui a décidé d'accoucher dans cette structure ne voyait pas se faire suivre dans un hôpital ou une clinique. «Pour moi, les établissements hospitaliers représentent la maladie et la douleur.» Pendant sa grossesse, la jeune femme s'est fait accompagnée par une seule sage-femme qu'elle a choisie et en qui elle a placé sa confiance. Avec elle, Margaux a parlé de son histoire, de ses peurs et de ses inquiétudes, elle a aussi pu l'appeler à chaque fois qu'elle s'est angoissée, quand elle a senti ses contractions se rapprocher.

«J'ai pu poser des questions à chaque analyse que j'ai effectuées. De plus, comme les suivis ne tournaient pas uniquement autour du médical, j'ai pu me projeter dans l'après, dans quelque chose de positif et de moins anxiogène», souligne-t-elle.

J'ai bien conscience que soulever le problème de la médicalisation en France ressemble à un problème de petite fille riche. Dans d'autres pays, les femmes donneraient chers pour effectuer ces examens afin de prévenir certaines maladies. Je ne suis pas contre cette médicalisation, simplement j'aurai souhaité me sentir enceinte au lieu de me sentir malade.

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