France

La politique nuit-elle (gravement) à la santé?

Temps de lecture : 6 min

Le malaise d'Hillary Clinton fait dire à ses détracteurs que la candidate n'est pas en assez bonne santé pour exercer le pouvoir. Et si c'était la politique qui empêchait Clinton d'être en bonne santé?

Hilary Clinton après son malaise à New York, le 11 septembre dernier (Brendan Smialowski / AFP)
Hilary Clinton après son malaise à New York, le 11 septembre dernier (Brendan Smialowski / AFP)

L'image est saisissante et dévastatrice en pleine campagne électorale. Hillary Clinton, 68 ans, tenue à bout de bras par son équipe de campagne, titube pour s'engouffrer à l'intérieur d'une voiture aux vitres teintées, après avoir été victime d'un malaise, le 11 septembre dernier. La pression serait trop forte pour la candidate démocrate, persiflent ses détracteurs, tandis que Donald Trump, 70 ans, garde pour le moment un silence élégant.

Mais on se souvient de Myriam El Khomri, victime d'un «petit malaise» après avoir glissé dans sa baignoire au plus fort de la tourmente contre la loi Travail, en mars 2016. Du malaise vagal de Nicolas Sarkozy en plein jogging en 2009. Ou de l'accident vasculaire cérébral de Jacques Chirac en 2005, longtemps minimisé aux yeux du public. Des causes de la mort de Georges Pompidou –la maladie de Waldenstrom– dévoilées par sa femme en 1982, près de huit ans après sa mort. Du cancer de François Miterrand, dissimulé des années durant. La liste est longue des hommes politiques que le corps a lâché.

Épiés, scrutés, suivis par les médias, l'homme et la femme de pouvoir sont soumis à des rythmes épuisants et à la nécessité, toujours, de porter beau, de n'en rien laisser paraître. Comme si demeurait toujours associée à la puissance symbolique une capacité physique hors-norme.

En politique, la faiblesse est insupportable

La question de la santé des hommes et des femmes politiques est des plus paradoxales. Des êtres humains sont désignés pour incarner de façon infaillible un idéal, une institution ou parfois même une nation toute entière. Leurs corps deviennent le centre, à la fois pratique et symbolique, de leur autorité.

«On ne supporte pas qu'un politique ait une faiblesse. Pas plus qu'un politique ne peut la tolérer pour lui-même. Une maladie qui survient durant la prise de pouvoir ou son exercice, c'est une faille béante qui s'ouvre sous les pieds, commente Laurent Léger, grand reporter à Charlie Hebdo et co-auteur avec Denis Demonpion du livre Le Dernier Tabou, révélations sur la santé des présidents [Pygmalion 2012].

Ce qui arrive à Hillary Clinton en pleine campagne, c'est une bombe qui peut mettre en péril l'ensemble de sa stratégie politique. Et si Trump ne réagit pas pour le moment c'est peut-être car il n'est pas certain de demeurer irréprochable sur ce point compte tenu de son âge.»

Ce décalque du contrôle du corps du politique sur l'idée de contrôle du pouvoir est particulièrement visible chez les hommes ou femmes politiques qui se montrent en train de s'adonner à des activités sportives, preuves incontestables de leur vitalité et de leur endurance. À l'instar de Nicolas Sarkozy fréquemment photographié en pleine course à pied, de Barack Obama multipliant les parties de basket ou de bowling ou, de façon paroxystique, de Vladimir Poutine immortalisé torse nu sur un cheval ou posant à côté du tigre qu'il vient de «neutraliser».

Cumuler les risques

Mais si les politiques aiment à se mettre en scène en plein possession de leurs moyens physiques, c'est aussi que leur rythme de vie est comparable à celui des athlètes.

«Les personnalités politiques doivent entretenir leurs corps, qui est lui aussi, une machine politique, décrit Guillaume Marrel, enseignant-chercheur à l'université d'Avignon et co-auteur avec Laurent Godmer de La Politique au quotidien [ENS éd.]. À la façon des sportifs de haut niveau, ils sont physiquement entraînés à l'exercice du pouvoir. Et plus ils ont de responsabilités –plus leur pratique de la politique est intensive– plus ils sont astreints à des visites médicales régulières et à un suivi alimentaire et physique».

Le corps est lui aussi une machine politique

Guillaume Marrel

Car le quotidien d'un homme ou d'une femme politique, qu'il soit un représentant de l'exécutif ou un élu local est rythmé par une série de décisions, événements et campagnes électorales qui sont autant de source de stress, d'adrénaline et de pression permanente.

«Avoir une alimentation déséquilibrée, enchaîner les déplacements et réduire les heures de sommeil sont des facteurs qui peuvent avoir un impact considérable sur la santé physique et psychique de l'individu, explique le cardiologue Jean-Baptiste Huet. Les déplacements trop fréquents en avion entraînent par exemple des risques accrus de phlébites ou d'embolies pulmonaires. Un mode de vie sédentarisé, rythmé par des déplacements quasi-systématiques en voiture et peu de marche à pied, est également néfaste à long terme. Tout comme la prise de repas quotidienne au restaurant qui suscite une alimentation généralement plus riche et plus salée.»

Mais le cardiologue n'estime pas pour autant que les politiques sont les plus exposés à des accidents de santé: «Certes, ce sont des profils qui cumulent beaucoup de risques, de part leurs modes de vies intensifs. Mais ils disposent, en général, de nombreux atouts pour compenser les risques. D'un suivi médical dédié lorsqu'ils se situent à de hautes sphères du pouvoir mais aussi, tout simplement, de bonnes connaissances socioculturelles pour entretenir leur santé de façon optimale.»

Assiettes renvoyées et verres de vins délaissés

Dans son ouvrage La Politique au quotidien, Guillaume Marrel a pu constater ce contrôle exacerbé des politiques sur leur mode de vie. Avec Laurent Godmer, ils ont suivi durant deux années le parcours de l'élue régionale Cécile Helle –aujourd'hui maire d'Avignon– se plaçant délibérement hors de la «haute politique» mais dans l'approche sociologique du «travail politique concret qui s’incarne dans de multiples activités beaucoup plus banales, locales, pour la plupart non médiatisées et même non publiques» (p.9).

Pourtant, l'agenda de l'élue est décrit par Guillaume Marrel comme «saturé, laissant très peu de place à la vie personnelle qui est absorbée par l'activité politique». Pour cette trentenaire débutant sa carrière politique, «il s'agit d'un investissement nécessaire pour mener cette guerre permanente et quotidienne». Et un tel investissement suppose de ne pas négliger sa santé tout en se pliant aux (nombreuses) contraintes de la sociabilité politique.

Une guerre permanente et quotidienne

Ainsi, Cécile Helle au moment de l'enquête entre 2010 et 2012, prenait «presque tous ses déjeuners et ses diners au restaurant». Mais, elle «renvoie quasi systématiquement son assiette pleine», analyse Guillaume Marrel, se fait servir un verre de vin sans le boire ou se rend dans les cocktails en gardant un verre à la main mais sans consommer une goutte d'alcool.

«Il faut à la fois rester dans le contrôle de soi et respecter la convivialité, constate Guillaume Marrel. Dire qu'on ne mange pas est mal vu dans la politique française où le salon de l'agriculture est, par exemple, l'un des symboles de la figure du "politique bon vivant". Mais il est évident que, pour tenir le rythme, la stratégie est de tout réduire au maximum afin de préserver sa santé.»

L'homme politique en campagne, comédien sans relâches

Dans cet état de fait, les personnalités politiques sont surveillées de près. «C'est sûr que, dans le cas de la fonction présidentielle ou du haut niveau de l'exécutif on se doute que le moindre rhume est immédiatement traité, et pas que par de l'homéopathie», rapporte Laurent Léger.

Mais il arrive parfois que la pression de la campagne ou l'intensité de l'exercice du pouvoir soient trop lourds à assumer pour la santé de notre animal politique.

«Dans le cadre d'une campagne, le candidat est amené à aller au delà de ses limites, il ne dort presque plus, enchaîne les meetings et les représentations publiques, analyse le politicologue Guillaume Marrel. Je pense que les médecins seraient atterés de voir la façon dont ça se passe pour certains candidats. Et oui, la consommation de psychotropes médicaux ou d'excitants comme le guronzan ou même la cocaïne pour tenir sont plus fréquents qu'on ne le pense. Et évidemment pas dans des contextes récréatifs.»

Et, lorsque la machine politique s'interrompt, les candidats vainqueurs comme vaincus disparaissent en général durant quelque temps.

«Il faut une période de décompression c'est indispensable, explique Guillaume Marrel. Au fond il y a beaucoup d'analogie entre la politique et le monde du spectacle, c'est une succession de mise en scènes et de représentations d'une très forte intensité mais opérées de façon intermittentes. On constate toujours un relâchement après avoir fourni d'immenses efforts, car le corps ne s'est pas autorisé à faiblir auparavant. L'effondrement de Jacques Chirac après avoir quitté la présidence est un exemple probant. Il était physiquement tenu par le pouvoir.»

«Le pouvoir nécessite une santé de fer, conclut Laurent Léger. C'est même un des facteurs les plus importants –et les plus injustes– pour faire une carrière en politique: la capacité de travail et de résistance

Face à cette construction sociale de la personnalité politique comme un roc, on comprend mieux pourquoi lorsque Hillary Clinton tousse, la démocratie américaine s'enrhume.

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