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Un Prix Nobel de la paix laisse les États-Unis en «état de guerre permanente»

Temps de lecture : 5 min

Les quinze ans du 11-Septembre et la fin du second mandat de Barack Obama sont propices aux bilans. Dans une note, l'Ifri s'interroge ainsi sur l'efficacité des options retenues (assassinats ciblés, partenariats et utilisation du soft power) dans la lutte contre le terrorisme.

À bord du USS D. Dwight Eisenhower, le 6 juillet 2016, en mer Méditerranée.
À bord du USS D. Dwight Eisenhower, le 6 juillet 2016, en mer Méditerranée.

A deux mois de l’élection présidentielle américaine, l’heure est à la fois aux bilans et aux perspectives. Dans un long entretien accordé au magazine The Atlantic, Barack Obama a déjà défendu en avril sa conception de la politique étrangère. Mercredi 7 septembre, Hillary Clinton et Donald Trump ont été interrogés –séparément– sur leurs idées dans ce domaine. Le candidat républicain a défendu sa vision protectionniste et isolationniste tout en évitant les gaffes qui avaient émaillé la campagne des primaires.

Pour l’ancienne secrétaire d’Etat, l’exercice est paradoxalement plus délicat, même si elle est beaucoup mieux préparée que son adversaire. Elle doit en effet montrer qu’elle a sa propre vision de la politique internationale sans toutefois trop se démarquer de la politique de Barack Obama. Non seulement elle y a été associée pendant les quatre ans du premier mandat (2009-2013) mais elle veut bénéficier de la popularité somme toute encore élevée de son prédécesseur démocrate.

L’histoire récente des Etats-Unis montre qu’il y a souvent plus de continuité dans la conduite des affaires extérieures entre des présidents, fussent-ils de couleur politique différente, qu’on ne le pense généralement. Un des domaines où Barack Obama semble avoir rompu avec la pratique de George W. Bush et où Hillary Clinton comme Donald Trump pourraient apporter des changements est la lutte contre le terrorisme.

La chronique d'un échec?

Une note publiée par l’Institut français des relations internationales (Ifri) ce lundi 12 septembre dans la collection des Potomac Papers s’interroge sur la «doctrine Obama» en la matière avec un titre faussement interrogatif: «Obama face au terrorisme: chronique d’un échec?». L’auteure, Maya Kandel, analyse les trois éléments du contre-terrorisme selon Obama: l’engagement massif remplacé par des assassinats ciblés, la recherche de partenariats et l’utilisation du soft power américain pour lutter contre les causes socio-économiques et idéologiques du terrorisme. Elle montre que la mise en œuvre de ces trois méthodes n’a pas donné les résultats escomptés, que parfois elle a conduit à des évolutions contradictoires avec les buts affichés et que les Etats-Unis se trouvent impliqués, certes avec une intensité moindre, dans un plus grand nombre de conflits qu’en 2008. Le pays se trouve «en état de guerre permanent», ce qui n’est pas le résultat souhaité par un président qui, en 2009, a reçu le prix Nobel de la paix.


Maya Kandel montre aussi –et c’est une idée à retenir quand on s’interroge sur la politique étrangère du futur chef de la Maison blanche– que le changement marqué sous la présidence Obama avait déjà été amorcé sous la direction de George W. Bush, après 2006. Autrement dit, qu’il ne constitue pas une nouveauté totale même si les accents et le vocabulaire ont évolués. La continuité l’emporte sur la rupture. A tel point que les chercheurs de la Brookings Institution de Washington ont pu soutenir que la première administration Obama avait été «plus efficace que Bush sur l’agenda de Bush».

Sur cette efficacité, il est permis d’avoir des doutes. La doctrine de «l’empreinte légère», par opposition à l’envoi massif de soldats américains sur les lieux de conflits, liée à l’utilisation de drones pour liquider les adversaires, a certes permis l’élimination de Ben Laden en 2011. Elle réduit le nombre de pertes américaines (20 soldats morts en Syrie en deux ans contre plus de 4.000 pendant la guerre en Irak). Elle a ramené les boys à la maison, même si le nombre de «conseillers» et de forces spéciales engagées en Syrie et en Irak est en augmentation constante.


L’appui aérien assuré à des partenaires supposés être sur le terrain est en effet moins coûteux en vies américaines. Mais ces partenariats coûtent cher en dollars pour des résultats douteux: 25 milliards pour la reconstruction de l’armée en Irak et 65 milliards en Afghanistan, sans garantie de succès. En Irak et en Syrie, les vrais alliés des Etats-Unis sur le terrain sont les Kurdes, ce qui pose des problèmes avec la Turquie, et l’Armée syrienne libre, qui n’a cessé de s’affaiblir depuis les débuts de la guerre civile. Les partenaires arabes sont aux abonnés absents, plus intéressés à réduire en cendres le petit Yémen qu'à s’engager en Syrie.

Les discours et les faits

Quant au soft power que Barack Obama a voulu opposer à la promotion de la démocratie par la force chère aux néoconservateurs entourant George W. Bush, il a eu plus de succès dans les discours que dans les faits. Le président démocrate a eu raison de souhaiter redéfinir les relations avec le monde musulman, comme il l’a fait dans son discours du Caire en 2009. Il a raison de vouloir s’attaquer aux causes économiques et sociales qui ont transformé certains Etats du Moyen-Orient en terreau du terrorisme islamiste et de vouloir mener une lutte idéologique contre l’obscurantisme au nom des valeurs universelles. Mais ce sont là des objectifs à long terme «court-circuités par des impératifs à court terme», comme l'écrit Maya Kandel.

L’échec des printemps arabes, la guerre civile en Syrie et l’implantation de Daech ont placé la stratégie Obama devant des défis qu’elle n’avait pas anticipés. Le refus d’intervenir en Syrie se comprend si l’on pense que l’existence même de Daech est la conséquence de l’intervention en Irak en 2003. Et rien ne dit que des bombardements occidentaux en août 2013 contre les positions de Bachar el-Assad après l’utilisation par son régime d’armes chimiques auraient fondamentalement changé la situation. Toutefois, il est certain que la Syrie restera le plus gros échec de la présidence Obama, quand bien même Washington et Moscou arriveraient dans les prochains jours à trouver un compromis sur une solution négociée, après un fragile cessez-le-feu.

Dans le bilan, cet échec risque de peser plus lourd que la normalisation avec Cuba et l’accord, qui n’a pas encore tenu toutes ses promesses, sur le nucléaire iranien. Il est à replacer dans l’analyse des rapports de forces internationaux qui est au fondement de la diplomatie Obama. Ce président a voulu rompre avec l’hubris qui a caractérisé la politique américaine après la fin de la Guerre froide. Selon lui, les Etats-Unis sont une puissance «indispensable», selon le mot de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright, mais ils ne sont pas la seule. Ils n’ont pas vocation à intervenir partout dans le monde –«Ce n’est pas parce que nous avons un marteau que tous les problèmes sont des clous», a-t-il dit, en mai 2014, devant les cadets de West Point–, et quand ils interviennent ce doit être dans la mesure du possible dans des coalitions. Ils sont porteurs des valeurs universalistes des Pères fondateurs mais ils doivent aussi reconnaitre qu’ils ne les respectent pas toujours.

Enfin, l’avenir des Etats-Unis se joue moins en Europe ou au Moyen-Orient, où ils avaient concentré leurs forces, mais en Asie, d’où le «pivot» déjà entamé sous Bill et théorisé par Hillary Clinton dans son article de Foreign Affairs. C’est sans doute vrai à long terme avec la montée en puissance de la Chine, interlocuteur indispensable, à la fois partenaire et adversaire. Mais dans l’immédiat, l’Europe avec la guerre en Ukraine et l’annexion de la Crimée, et le Moyen-Orient avec Deach, ont rappelé à Barack Obama et surtout à celle ou à celui qui lui succédera que la politique étrangère a des contingences imperméables aux analyses rationnelles.

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