Selon une version apocryphe de la Divine Comédie, Dante aurait prévu un dixième cercle de l'enfer pour les gens incapables de détecter de l'ironie dans un e-mail. D'un côté, il aurait eu raison, parce que c'est atrocement pénible de voir ses blagues incomprises et de devoir les expliquer (exemple: je rigole avec cette histoire de Dante, parce les e-mails n'existaient pas au XIVe siècle). Mais d'un l'autre, il se serait fourré le doigt dans l’œil bien profond, vu qu'un message ambigu a toutes les chances d'être mal interprété par son destinataire, même s'il est personnellement très proche de l'émetteur et que ces deux individus se connaissent par cœur «dans la vraie vie».
Telle est en tout cas la conclusion d'une étude relativement déprimante menée par Monica A. Riordan, chercheuse en psychologie expérimentale spécialisée dans la communication électronique et Lauren A. Trichtinger, chercheuse en psychologie quantitative, toutes deux affiliées à l'université de Chatham, aux États-Unis.
Un travail qui rassemble trois expériences analysant l'effet du contexte énonciatif autant sur l'émetteur –est-il capable de bien faire passer ses émotions?– que sur le destinataire –réussit-il à les interpréter correctement?
«Avec l'hégémonie croissante des e-mails, textos et autres formes de communication électronique dans les interactions humaines, la transmission des émotions devient de plus en plus difficile, explique Riordan. Notamment parce que les expressions faciales, les gestes, les intonations et autres manières d'exprimer ses émotions sont absentes.»
Dans les deux premières, des participants devaient écrire deux e-mails, en précisant si huit émotions (la joie, la peur, la confiance, la surprise, la tristesse, le dégoût, la colère et l'impatience) étaient ou non présentes. L'un des deux messages était brodé à partir d'un scénario précis et l'autre était entièrement libre. Les e-mails étaient ensuite lus par des individus totalement inconnus au bataillon des émetteurs. La troisième expérience était à peu près identique, sauf que les émetteurs devaient à la fois écrire à des inconnus et à des amis proches, qui devaient leur répondre.
Résultat, dans le contexte «amical», les émetteurs comme les destinataires surestiment leur capacité à bien faire passer des émotions et à correctement les interpréter, sauf que ce degré de confiance n'indique en rien si l'interprétation des émotions sera adéquate. C'est même tout l'inverse: amis comme inconnus se gourent aussi souvent sur la réalité affective d'un message, qu'importe qu'il soit truffé de smileys, de CAPITALES ou de multiples ?????!!!!! (le 11e cercle de l'enfer, soit dit en passant).
«Il ressort de notre étude que les lecteurs arrivent à savoir que nous sommes en colère, sauf qu'ils sont incapables d'en déterminer l'intensité. La perte de cette subtilité peut avoir diverses conséquences –notamment dans nos relations, où la différence entre une petite contrariété et l'exaspération peut être énorme, et un simple malentendu changer du tout au tout cette émotion.»
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