Parents & enfants

Les uniformes à l'école sont une escroquerie

Temps de lecture : 4 min

C’est un cache-misère qui prétend masquer les inégalités sociales plutôt que de lutter contre.

Dans un pensionnat de Sourdun, entre Paris et Troyes, en France en mars 2012 AFP PHOTO / THOMAS SAMSON
Dans un pensionnat de Sourdun, entre Paris et Troyes, en France en mars 2012 AFP PHOTO / THOMAS SAMSON

C’est un des plus beaux marronniers français. Presque chaque année à la rentrée sort un sondage sur les uniformes. Un sentiment de déjà vu? Déjà vu? Déjà vu? Et chaque fois, une majorité des personnes interrogées sont pour. Le principal argument pour défendre cet uniforme? Ce serait un instrument de lutte contre la discrimination sociale.

C’est l’un des arguments généralement avancés et c’est ce que déclarait Bernard Debré (Les Républicains) à l’Assemblée nationale au mois de juin ou encore… Kanye West il y a quelques jours. L’artiste propose de créer des uniformes pour les écoliers de la ville de Chicago.

Mais des États-Unis à la France, en passant par Cuba, l’Angleterre ou le Japon, l’uniforme c’est une réalité mondiale diversifiée… du simple T-shirt (comme aux Antilles française, où il est en vigueur dans de nombreuses écoles privées et publiques) à des trousseaux assez compliqués:

Juliette, mère d’une fillette de 7 ans, qui a dû partir vivre à New-York en janvier dernier, a failli choisir l'école privée d’un quartier plutôt bourgeois:

«Il y avait un uniforme pour l’hiver, un autre pour le printemps. Un pour la gym et des tenues de rechange pour toute la semaine. Le coût total était faramineux!»

L’uniforme identifie l’élève comme élève mais l’attache à son école avec par exemple un logo bien reconnaissable apposé sur tous les éléments de la garde robe… voilà qui permet à coup sûr de savoir d’où viennent les enfants comme nous le raconte une mère de famille brésilienne, Adriana Carvalho Silva:

Au Brésil les élèves des écoles publiques ne sont pas très fiers de leurs uniformes et certains éprouvent parfois une certaine honte à les porter car cela révèle l’école dans laquelle ils sont

Adriana Carvalho Silva

«Au Brésil, les élèves des écoles publiques, qui scolarisent surtout les enfants des catégories populaires, ne sont pas très fiers de leurs uniformes et certains éprouvent parfois une certaine honte à les porter car cela révèle l’école dans laquelle ils sont. Les élèves des écoles privés ne portent eux, pas forcément d’uniformes.»

Loin d’uniformiser les enfants d’un pays, les uniformes permettent de les distinguer et n’agissent pas du tout comme un homogénéisateurs mais plutôt comme un élément de distinction entre élèves de telle ou telle école.

Par ailleurs, comme peuvent le souligner les parents, les distinctions sociales se reflètent dans une foules d’éléments, comme l’explique parfaitement la chroniqueuse Dom Bochel Guégan dans un témoignage publiés par Rue 89 à la suite d’une déclaration de François Fillon en 2011.

«Dans l'école de mes enfants, celui qui portait telle marque et tel modèle de baskets, celui ou celle qui possédait tel portable, celle qui avait tel cartable (ou sac de marque), affichait par ses possessions, son style, qu'il soit vestimentaire ou de langage, son origine et marquait ainsi son rang social. Quand bien même on leur imposerait à tous de porter des jeans et le même T-shirt, ils feraient alors la différence par les marques et modèles de jeans (…) Et tous de faire très bien la différence entre celui, issu “d'en bas” qui n'avait pas la dernière console portable, ou le dernier smartphone, et celui “d'en haut”. La prétendue cohésion sociale que vante l'UMP par ce projet est impossible. Les groupes, les clans, malgré les uniformes, perdureront.»

Dans sa BD Les Cahiers d'Esther, Riad Sattouf pointe de même les différences de coupe de cheveux qui permettent chez les garçons de différencier élèves du privé et du public à Paris.

Et puis de quelle égalité parle-t-on? Entre les milieux, ou aussi entre les sexes? Dans beaucoup de pays où l’uniforme est une tradition –celui des filles est composé d’une jupe (pensez aux écolières japonaises)… Habiller les filles et les garçons différemment, est-ce vraiment un projet d’égalité? C’est sûrement pour cette raison que les écoles privées qui choisissent d’adopter l’uniforme en France optent souvent pour des uniformes mixtes.

Fause mémoire

Les débats sur l’uniforme se réfèrent souvent à un âge d’or mythifié, celui où les hussards noirs de la République, une règle à la main, prêts à taper sur les doigts, se dressaient face aux élèves en uniformes, égaux, sous leur blouse.

Photo d'archive d'écoliers jouant aux billes dans la cour de récréation d'une école primaire de garcons en France en octobre 1949. La ville n'est pas identifiée / AFP

Sauf que, comme l’historien Claude Lelièvre nous le rappelle:

Il n’y a jamais eu de blouses obligatoire en France

Claude Lelièvre

«Il n’y a jamais eu de blouses obligatoire en France. C’est clair et net. Ce n’était pas une pratique totalement généralisée et pas une obligation dans les écoles communales.»

Surtout ce n’était en rien pour des raisons démocratiques d’égalité:

«Les enfants portaient des blouses, pas tous la même, pour protéger les vêtements des tâches d’encre à des époques où le textile était très cher.»

Le déclin de la blouse doit beaucoup à l’arrivée du stylo bic à l’école en 1965 grâce à une circulaire de l'Éducation nationale publiée le 3 septembre de cette année-là.

Lelièvre insiste:

«L’uniforme (blouse) n’a jamais été un instrument d’égalité et n’a jamais été perçu comme tel. Les blouses et les uniformes étaient plus répandus dans les écoles privées. Et l’uniforme était parfois aussi adopté par des établissement publics plus huppés et féminins, pour distinguer les élèves du reste de leur classe d’âge (la scolarisation des adolescentes a progressé tout au long du XXè siècle). Dans les années 1950, par exemple, les élèves se promenaient en ville, le jeudi, sous surveillance, et il s’agissait pour les établissements de se distinguer… Mais certains établissements publics n’ont jamais, je dis bien jamais, rendu l’uniforme obligatoire.»

L’uniforme ne permet pas de lutter contres les inégalités, il permet seulement d’en masquer certaines, au sein d’un groupe donné, de manière lacunaire et superficielle. Peut-être que tous les hommes et femmes politiques qui se repaissent de ce débat sur l’uniforme devraient, plutôt que de vouloir cacher le problème avec un bout de tissu, s’attacher à le regarder en face et se poser la seule question: comment faire mieux réussir les enfants des catégories populaires qui pâtissent d’un vrai désavantage au sein du système scolaire français?

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