Parents & enfants

Comme des millions d'entre vous, je suis scolarisante pratiquante

Temps de lecture : 7 min

J'appartiens à la communauté des gens qui vivent au rythme du calendrier scolaire, et qui en honorent les fêtes et les coutumes.

À Vertou, le jour de la rentrée 2016. LOIC VENANCE / AFP.
À Vertou, le jour de la rentrée 2016. LOIC VENANCE / AFP.

Il y a le Nouvel An chinois vers le mois de février, le Nouvel An orthodoxe vers la mi-janvier, le Nouvel An juif et musulman vers le mois d'octobre et le Nouvel An grégorien, que nous connaissons bien et qui tombe le 1er janvier. Pour moi, le Nouvel An, c'est début septembre. Pourquoi? Parce que je suis femme de prof et mère de cinq enfants scolarisés. J'appartiens donc à la communauté des gens qui vivent au rythme du calendrier scolaire, et qui en honorent les fêtes et les coutumes. Bref, je suis une scolarisante pratiquante. Petit retour, non sans une pointe d'ironie, sur ce mélange de rite initiatique, cyclique, ainsi que sur ce rituel de renouveau qu'est la rentrée des classes.

Une tradition vieille de plusieurs siècles

Comme dans la plupart des traditions, les fêtes et événements majeurs du calendrier scolaire sont fixés par les calculs ésotériques des édiles de l'institution, ici représentée par le ministère de l’Éducation Nationale. Lisent-ils ces dates dans les reliques de Jules Ferry, ou en observant de quel côté s'échappe la fumée des cahiers brûlés de l'an dernier? A vrai dire, en voyant les dates des vacances de la Toussaint de cette année, exceptionnellement fixées du mercredi au mercredi, il y a de quoi se le demander. Plus sérieusement, on peut s'interroger sur l'origine de cette coupure exceptionnellement longue de l'été, qui transforme comme par magie un exubérant bambin aux joues roses de maternelle en un petit CP timide et appliqué, et qui me fait toujours m'étonner de trouver les mois d'octobre, novembre et décembre en supplément gratuits dans mon agenda.

La tradition des «grandes vacances» en France remonterait à au moins deux siècles. On les croit souvent liées à l'exigence des moissons et autres travaux agricoles de l'été auxquels tous participaient, enfants compris. Ceux-ci auraient en effet pu donner lieu à une sorte de négociation informelle entre les parents et l'institution scolaire afin de concilier le besoin saisonnier de main d’œuvre des uns avec l'objectif de scolariser un maximum d'enfants des autres. En réalité, les historiens de l'éducation, tels que Antoine Prost ou Claude Lelièvre, rappellent régulièrement que si l'absentéisme saisonnier des enfants était une réalité, ce n'est pas directement lui, et la culture populaire qui lui est liée, qui ont dicté les dates des grandes vacances. Bien au contraire, celles-ci trouvaient leur raison d'être dans une tradition propre à la culture bourgeoise, elle-même inspirée du mode de vie de l'ancienne noblesse, à savoir la chasse et les pratiques sociales qui lui était liées. C'est ainsi que les grandes vacances du début XIXe siècle s'étalaient du 15 août du 1er octobre. Elles se sont ensuite progressivement allongées et décalées au gré des événements et des mutations sociales des décennies: octroi de congés supplémentaires aux instituteurs au titre de «récompense» moins coûteuse qu'une augmentation de salaire à la fin du XIXe siècle, nouvelles aspirations populaires de loisir liées à l'obtention des «congés payés» dans les années 1930 et préservation de l'économie touristique au-delà.

Voeux et bonnes résolutions

Bien d'autres détails achèvent de me convaincre que ce Nouvel An du mois de septembre en est bien un et qu'il imprègne profondément notre façon de nous représenter le temps qui passe. Il est à la fois rite de passage pour les petits nouveaux (élèves, parents ou enseignants); rite saisonnier pour les habitués, voire même rite de renouveau pour tous. Comme au Nouvel An, on se souhaite plein de bonnes choses: d'éviter les enseignants trop taciturnes, les élèves trop remuants, les emplois du temps nécessitant le recours à un retourneur de temps, les camarades de classe agaçants, quand on ne prie pas tous les saints de la récré pour pouvoir partager son banc (ou son projet de classe!) avec un bon copain (collègue!).

Mais ce n'est pas tout, on formule aussi quantité de bonnes résolutions qu'on ne tiendra pas. Les miennes seront: faire du sport, manger moins de Haribo, troquer Candy Crush dans le métro contre les podcasts de France Culture, ou encore expérimenter une demi-journée hebdomadaire loin des écrans. A quoi s'ajoutent parfois des rituels de purification: souliers neufs, habits neufs, cheveux bien peignés, crayons fraîchement taillés et cahiers immaculés. D'ailleurs, pour les plus nostalgiques d'entre nous, je conseille un petit reniflage d'huile essentielle de cèdre, qui est l'essence de bois utilisée dans la confection des crayons à papier. Effet garanti.

Quoiqu'il en soit, si les rentrées sont souvent citées comme exemple de rituels scolaires, rares sont les études qui s'intéressent à sa face cachée, celle qui se déroule hors de l'école, qui commence avec les empoignades au supermarché pour le cahier de travaux pratiques 24X32 reliure tissu, couverture plastifiée, 96 pages et demi; et qui se termine avec l'équivalent d'une tour de Babel de livres à recouvrir et de formulaires à remplir. A la fin des années 1990, Marie-France Doray avait pourtant décrit dans une perspective ethnologique comment les familles vivaient ce moment particulier: elle a pu montrer l'ambivalence entre la rigueur dont les familles faisaient preuve dans sa préparation et leur désir de ne pas «dramatiser» ce moment, mais aussi l'importance accordée à l'effort vestimentaire et au soin corporel (en particulier dans les milieux modestes), et celle accordée aux actions pour garantir un placement dans la «bonne» classe, avec le «bon» enseignant (en particulier dans les milieux plus favorisés).

L'école, un lieu fortement ritualisé

On cite souvent l'exemple de l'Allemagne pour dénoncer en France, avec force regrets, le déclin des rites de passage et des rituels scolaires, festivités d'accueil et autres remises de prix. Il est vrai que dans ce pays, l'entrée de l'enfant à l'école primaire fait l'objet d'un rite identifié qui comprend, d'une part, une cérémonie scolaire où les enfants sont mis à l'honneur et, d'autre part, la confection par les parents d'un «cornet scolaire» appelé Shultüte, empli de surprises et de friandises mais aussi de matériel de classe. Pour autant, il serait pour le moins aventureux de déclarer la fin des cérémonials dans une institution aussi fortement ritualisée que l'école française.

On observe d'ailleurs depuis quelques années un regain d'intérêt, tant dans les directives de l’Éducation nationale que dans la recherche en pédagogie, sur la question des rituels à l'école. Il est loin le temps où, suivant le philosophe Michel Foucault, on pouvait y voir l'expression du désir institutionnel de contrôle et d'assujettissement des masses! Aujourd'hui, l'instauration de rituels fait partie intégrante de la geste enseignante et figure en toutes lettres dans les programmes de l'école maternelle. Leur efficacité dans «l'appropriation» des «règles collectives» permettant à l'enseignant de gérer sa classe est pourtant toujours mise en avant, mais elle côtoie d'autres intérêts pédagogiques tels que la socialisation (rituels de début et fin de séance pour «entrer en relation avec les autres») ou le repérage dans le temps (ils sont alors considérés comme des «repères» rassurants). Côté recherche, un hors série de la revue «Recherches en éducation» a été entièrement consacré en 2015 à la place des rituels à l'école. Pour les chercheurs qui y ont contribué, les rituels sont aujourd'hui encore très présents dans le quotidien scolaire même s'ils ont fortement été remaniés au gré des évolutions sociales. Trois fonctions principales sont identifiées: aider l'enfant à «devenir élève», lui permettre de s'insérer dans une communauté plus large que sa famille, et enfin être un support pour faciliter la transmission des valeurs éducatives de l'enseignant.

Le retour de l'angoisse

Reste à évoquer un revers plus sombre, que tout le monde connaît mais dont on parle bien moins, celui des inquiétudes liées à la rentrée. Qui sait combien d'enfants ont eu le ventre tordu de douleur à quelques jours de la rentrée? Qui sait combien d'entre eux auront des difficultés à trouver le sommeil ou connaîtront des crises de larmes incontrôlables? Qu'un rite de passage comporte une part de tension, d'appréhension à dépasser, pourquoi pas? Mais quand celle-ci se répète chaque année, et sans que l'enfant puisse ensuite en tirer réellement de fierté, n'est-ce pas problématique? Sur Internet, les articles de la presse destinée aux parents pullulent sur le thème de la gestion du «stress de la rentrée» vu comme un petit tracas passager, inévitable, bénin et vite oublié. On se satisfait même, cette année, que les scènes de stress constatées soient «normales» et non pas «liées aux menaces d'attentats». Entre eux, les parents s'échangent des «astuces » pour tenter de contenir l'angoisse: on réveille les enfants plus tôt, on invite des camarades de classe, on les emmène au square près de l'école, histoire qu'ils reprennent contact doucement avec les habitudes scolaires. Et puis, tôt ou tard, on finit par céder à la bonne vieille méthode Coué à base de «Ne t'en fais pas, tout ira bien» car il faut bien se l'avouer: on est toujours aussi impuissant que quand on avait leur âge, et pour cause! Il ne viendrait sans doute à l'idée de personne de trouver confortable pour un adulte d'apprendre le matin même entre 8h20 et 8h30 à quelle sauce il va être mangé pour l'année, emploi du temps, collègues et supérieurs hiérarchiques inclus.

Quoiqu'il en soit, les conséquences de ce stress de début d'année semblent encore mal connues et assez largement éclipsées par les quantités d'autres sources de stress que les élèves auront à affronter durant l'année, à commencer par celles liées aux évaluations. Certains chercheurs ont pourtant depuis longtemps montré une élévation importante des taux de cortisols salivaires, considérés comme des marqueurs biologiques du stress, lors de la première semaine de classe. Un résultat qui serait encore plus marqué chez les enfants les plus extravertis, c'est à dire les moins à même d'être considérés par les enseignants comme ayant besoin d'être rassurés. D'autres chercheurs vont même jusqu'à faire l'hypothèse que la saisonnalité des suicides, qui connaît une baisse importante pendant les mois d'été, pourrait s'expliquer chez les adolescents par l'action mortifère du lycée, à l’œuvre dès la rentrée.

Ne serait-il alors pas urgent d'inventer de nouveaux rituels de rentrée, qui respecteraient davantage le besoin des enfants de connaître un peu à l'avance les personnes et les lieux qu'ils vont devoir fréquenter, mais aussi qui les inviteraient à davantage exprimer «comment ils se sentent», à formuler leurs besoins, ou, pourquoi pas, à pratiquer des techniques de méditation ou de relaxation contre l'anxiété? Ils pourraient ainsi avantageusement apprendre tout ceci à leurs parents, et leur permettre ainsi de survivre en toute quiétude aux quantités de réunions, aux files d'inscriptions, aux demandes d'attestation, et autres obligations de rentrée dont j'espère réussir à m'acquitter avant la Toussaint.

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