En vacances dans ma Bretagne natale pour trois semaines au mois d’août à Lorient, je n’avais en aucun cas prévu de bûcher jusqu’à une après-midi en bateau avec des copains.
«Il y a l’épouse de mon ancien collègue qui est là au centre de Kerpape. Tu sais Marie-Amélie qui fait de l’athlétisme?, m’explique mon ami François entre deux baignades. Elle s’est blessée au quadriceps et du coup elle est en rééducation ici en espérant qu’elle soit à Rio… Elle est avec Pauline [la femme de François]. On va passer leur faire un petit coucou.»
Après dix minutes de discussion avec Marie-Amélie Le Fur, j’ai très vite compris qu’il serait intéressant de la revoir avant mon départ. Pas très compliqué, puisqu'il a suffi d'un SMS pour régler l'affaire.
Avant de rejoindre Marie-Amélie près du petit port morbihannais de Lomener, je n’avais jamais parlé avec un sportif de haut niveau handicapé. Par le plus grand des hasards, au cours de cet entretien ensoleillé, j’ai eu finalement l’opportunité d’en rencontrer deux. Marie-Amélie et apparemment notre voisin de table...
Ce dernier après vingt minutes: «Vous parlez beaucoup de sport madame…»
-Marie-Amélie le Fur: «Un petit peu ouais.»
-Moi: «C’est une athlète.»
-Lui, en tapant, sur son tibia: «J’ai la même jambe que vous, depuis cinquante ans.»
-Moi quand même un peu halluciné: «C’est vrai?»
-«J’ai été champion du monde de saut en hauteur en 1969 avec prothèse en ventral car il n’y avait pas le Fosbury à l’époque. Je sautais 1 mètre 83, c’était pas mal. Vous savez le Breton est têtu…»
«L’essentiel de la vie était encore là»
Marie-Amélie Le Fur n’est pas Bretonne mais pas besoin de longtemps parler avec elle pour se rendre vite compte qu’elle a un caractère bien trempé. Les épreuves de la vie ne l’ont pas anéantie, elles l’ont grandie.
Il lui en fallu du cran, pourtant, lorsque le 31 mars 2004, un accident de scooter oblige les médecins à lui amputer la partie inférieure de la jambe gauche, sous le genou. En pleine adolescence, à seulement 15 ans, Marie-Amélie est handicapée et voit son rêve de devenir pompier s’envoler.
«Ça a été le plus dur d’oublier ce métier. Ce n'est pas quelque chose qu’on oublie car ça reste une passion. On fait avec, il a fallu trouver autre chose, ça a été compliqué mais avec le temps on s’y fait. En même temps, c’est le métier de mon mari donc je suis le rêve de pas très loin», rigole-t-elle.
Elle surenchérit:
«J’ai eu envie de me battre car l’essentiel de la vie était encore là. Cela ne servait à rien de pleurer tous les jours sur son sort. Après, il y a eu évidemment des moments difficiles où le moral était moins bon mais globalement je me suis vite reconstruite.»
Heureusement, il reste son autre grande passion: le sport. Depuis toute petite, Marie-Amélie pratique l’athlétisme. «Fondeuse, puis sprinteuse depuis l’accident», elle va très vite se relancer. Avec son entraîneur actuel, Cyrille Nivault, elle va faire beaucoup de piscine avant de très rapidement repartir courir.
«J’avais découvert le handisport, l’année d’avant, aux championnats du monde à Paris. Très vite, après l’amputation, mes parents ont pris contact avec la fédération pour savoir ce qu'il était possible de faire. Il a fallu acheter et avoir la prothèse et puis j’ai repris. Dès le lendemain de l’opération, j'avais envie de recourir mais il fallait que j’attende de cicatriser.»
Au départ, l’objectif de Marie-Amélie n’est bien évidemment pas le haut niveau. Mais au fil des années et des titres –qui lui ont permis «d’être bien dans son corps et bien dans sa tête» et de «guider la rééducation»– les objectifs se sont petit à petit élevés jusqu’à atteindre les sommets. La jeune femme est aujourd’hui à 27 ans l’une des athlètes les plus titrées du handisport français.
«Le titre paralympique, on ne me l'enlèvera jamais»
La pensionnaire du club de Blois a un sacré palmarès dans la catégorie T44 (les sportifs amputés d'une ou deux jambes) qui rendrait jaloux plus d'un athlète puisqu'elle a glané pas moins de 21 médailles au plus haut niveau international dont sept breloques dorées. Elle est notamment championne du monde du 100, du 200 et du 400 mètres ainsi qu'à la longueur. Elle a surtout décroché le Graal à Londres: le titre de championne paralympique du 100 mètres.
«C’est le plus beau. Il y a plein de choses qui ont changé à ce moment-là. On sent qu’on franchit une étape, on ne me l’enlèvera jamais, c’est vraiment une fierté ouais. C’est aussi un soulagement car tu te dis toutes ces années de travail ont servi à quelque chose. les gens ne se sont pas investis pour rien car il y a le sportif qui travaille mais il y a toute l’équipe autour et on déçoit les gens si on rate.»
Les bons résultats de Marie-Amélie ne sont certainement pas dus au hasard mais à une meilleure préparation calquée sur celles des meilleurs athlètes valides. Abonnée aux places d’honneur pendant longtemps, elle a décidé de mettre un coup de collier pour progresser à la fois physiquement et mentalement.
Depuis 2011, elle s’entraîne ainsi deux fois par jour et cumule entre 15 et 20 heures d’entraînement par semaine. Vitesse courte, aérobie, musculation, technique, tout est calculé. Tout comme sa nutrition et sa préparation mentale qui lui ont, selon elle, permis de décrocher le titre mondial à la longueur. En attendant, elle l'espère, le titre paralympique cette année.
«J’avais un gros manque de confiance arrivé au très haut niveau, et notamment sur la longueur, car je modifiais mes marques et j’étais incapable de sauter avec la bonne jambe en compétition. On a beaucoup travaillé, on a visualisé des sauts et ça a bien marché. Je n'avais jamais réussi à concrétiser les résultats de l’année en longueur, à chaque fois, j’étais moins bonne. Là, à Doha, j’ai fait le meilleur concours de l’année.»
Avec un record du monde à la clef...
«Le système ne nous permet pas d’être de vrais pros»
Le palmarès de la Française est d’autant plus impressionnant que Marie-Amélie doit travailler à côté. Elle bosse actuellement à mi-temps chez EDF. Cette situation «lui convient bien» car cela lui «permet de voir autre chose que la piste» mais contrairement aux «Américains, aux Allemands, aux Néerlandais et à d’autres qui sont professionnels», les athlètes français ne sont pas salariés par leur fédération.
«On a ce qu’on appelle des contrats d’insertion professionnelle. On est salarié d’une entreprise avec un contrat aménagé. Sauf que le fait de travailler à 50, 60%, ça enlève certains temps de récupération et de soins que devrait avoir le sportif.»
Ces lacunes expliquent sans doute le bilan plutôt décevant des athlètes paralympiques français aux derniers Jeux de Londres. Pour rappel, les Bleus avaient terminé 16es au classement des médailles alors que l'objectif était d'atteindre au moins le top 10.
«On nous demande d’avoir une plus grande rigueur, d’être professionnel mais le système mis en place en France ne nous permet pas d’être de vrais pros.»
«Il y a du dopage en handisport»
Cette professionnalisation progressive et la hausse du niveau des athlètes entraînent irrémédiablement des dérives. C’est le cas notamment du dopage. Les sportifs handicapés russes se sont d’ailleurs fait suspendre par le Comité international paralympique pour les Jeux de Rio, qui débutent ce mercredi 7 septembre. Une décision confirmée par le Tribunal arbitral du sport qui a provoqué l’ire de Vladimir Poutine selon qui cette exclusion est «en dehors de toute justice, morale et humanité». Les Russes organiseront d'ailleurs une compétition parallèle aux jeux officiels en guise de protestation.
Pourtant, plusieurs contrôles positifs ont rappelé qu' il y a bel et bien aussi de la triche dans le milieu. En 2012, une enquête de la BBC montrait que de nombreux athlètes paralympiques pratiquaient le «boosting». Une technique qui consiste à s'auto-mutiler pour accélérer la pression sanguine et donc améliorer soit-disant sa performance. Certains n'hésitant pas d'ailleurs à se briser un orteil. Mais le dopage plus «classique» existe aussi.
«Comme partout, il y a eu des contrôles positifs. On est soumis aux mêmes contrôles. Bien sûr qu’il y a du dopage en handisport mais il est caché sous l’angle thérapeutique. Quand on est en situation de handicap, il y a plus de médicaments autorisés et ça complique la chose. C’est le même fléau, peut-être moins marqué car il y a moins d’argent mais on sait malheureusement que plus on va être médiatisé, plus il y aura de l’argent et plus on risque de tomber là-dedans.»
Titulaire d’un Master en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), Marie-Amélie connaît plutôt bien la question pour avoir réalisé un long travail de recherche sur le sujet, se penchant notamment sur les bêta-agonistes utilisés notamment dans le traitement de l’asthme.
«C’est un sujet qui m’a beaucoup intéressé parce que je suis passionné de sport mais j’aime bien que ce soit fait dans le respect des règles et des valeurs. Ça m’aurait vraiment plu de travailler dans la lutte antidopage, ça me tient à cœur.»
«Le handisport est plus reconnu dans les autres pays»
Condamné six ans pour le meurtre de sa compagne Reeva Steenkamp, le Sud-Africain Oscar Pistorius, qu’Amélie «a déjà côtoyé par le passé», avait eu le mérite de populariser le handisport en devenant le premier athlète handicapé à devenir médaillé chez les valides. C'était à Daegu en 2011 où il avait décroché l'argent au relais 4 x 400.
«Peu importe ce qu’il a fait, c’est quand même quelqu’un qui nous avait fait beaucoup de bien», estime Marie-Amélie.
Le handisport souffre il est vrai encore d'un manque criant de visibilité. À Rio, certes, France Télévisions a décidé de diffuser l’intégralité des Jeux. Un pas en avant par rapport à ceux de Londres durant lesquels le service public n'avait proposé à la base qu'un magazine quotidien diffusé en troisième partie de soirée. Une pétition signée par 17.000 personnnes avait poussé la chaîne publique à faire un effort emboîtant le pas de la britannique Channel 4 qui mise beaucoup sur le handisport.
Dans le reste de la sphère médiatique, la couverture de cet événement sera encore bien moindre que ce qu’elle a été durant les JO.
«Le handisport est plus reconnu dans les autres pays. Le principal frein reste la mentalité française où on a encore un peu de mal avec le handicap, on a encore peur. Faut vraiment qu’on travaille sur ça. Il faut voir le handisport comme de la performance et occulter le côté handicap. Il faut faire évoluer les générations futures sur ce qu'est la notion de handicap et faire en sorte que les gens en aient beaucoup moins peur et puissent en parler librement.»
Pour essayer de faire changer les mentalités, justement, la jeune sportive se rend régulièrement dans les écoles primaires pour rencontrer des enfants afin de casser avec eux l’image négative qu’ils pourraient avoir du handicap. Une barrière involontairement érigée aussi par les parents qui n’osent pas toujours en parler avec leur progéniture.
«Souvent, les enfants posent des questions et les parents ne vont pas répondre. On ne regarde pas un handicapé, il ne faut pas en parler. En fait, on crée une barrière chez l’enfant, qui se dit qu'il a peut-être touché un sujet qui était interdit. Ouais, le handicap c’est une différence, il y a quelque chose de compliqué mais j’ai le droit d’en parler. Je n'ai pas le droit de me moquer mais je peux quand même en rire. Là où j’ai aimé le film Intouchables, c’est qu’on a pu rire du handicap, c’était bien fait, c’était la première fois où les Français ont osé rire d’une chose qui était encore tabou.»
«Le handicap ne nous empêche pas de rêver»
L'athlète française prête également son image pour Telmah, un fonds de dotation qui a pour but de faciliter la pratique des activités physiques et sportives par les handicapés et notamment les plus jeunes. Ces derniers «par manque de confiance» mais aussi souvent à cause de la «l'auto-censure des parents», rechignent encore à prendre une licence dans un club. Un peu comme lorsqu'il s'agit de s'inscrie dans le supérieur puisque 8 bacheliers handicapés sur 10 ne poursuivent pas leurs études.
«Ce n'est pas parce que on est handicapé que faire du sport, faire des études, n'est pas possible. On a peur de traumatiser le jeune par l’échec alors que l’échec fait partie de la vie.»
La réussite et la réalisation de ses rêves aussi. Si la sportive pouvaire faire passer un message à un jeune handicapé, ce serait celui-ci:
«Je lui dirais d'y croire, de continuer à rêver. Le handicap nous empêche beaucoup de choses mais ne nous empêche pas de rêver. Il faut chercher par tous les moyens à réaliser son rêve parce que même si c’est compliqué, que la route la plus simple n’est pas accessible, on peut trouver des chemins à côté pour atteindre ce rêve et le vivre différemment.»
Celui de Marie-Amélie n'est pas totalement accompli puisque la jeune femme a été nommée coprésidente du comité des athlètes pour la candidature de Paris aux Jeux olympiques 2024 aux côtés de Teddy Riner. D’ici là, espérons qu’elle arrivera comme son compère judoka à conserver son titre à Rio avec brio.