Culture

Cinq films à voir pour surmonter votre peur du terrorisme

Temps de lecture : 8 min

On en a tous besoin.

«Les Cowboys» de Thomas Bidegain © Pathé Distribution
«Les Cowboys» de Thomas Bidegain © Pathé Distribution

Vous avez peur du terrorisme. Si ce n’est pas le cas, c’est que vous n’avez pas assez écouté les informations, car elles, au moins, en sont persuadées. Reste à trouver maintenant comment surmonter cette peur. Le cinéma est une solution: n’étant pas seulement propice à la propagande, il peut servir de catharsis. En cinq films et une dizaine d’heures de visionnage, vous devriez vous sentir beaucoup mieux.

1.Pour dompter la peur

  • Vivre dans la peur, d'Akira Kurosawa, 1955

Vos parents vous l’ont sûrement déjà dit pour vous tirer vers le haut: «Ne te compare pas par le bas». S’ils avaient en tête le cancre de la classe, le conseil est toujours de mise. Par exemple, en visionnant Vivre dans la peur aujourd’hui, vous pourriez être tentés de vous flatter en comparant votre bravoure et votre capacité de résilience à celles du protagoniste du film. Le légendaire Toshirô Mifune y incarne Kiichi Nakajima, un vieil homme traumatisé par les attaques de Hiroshima et de Nagasaki, à tel point qu’il redoute des années après que le Japon soit frappé par une troisième bombe atomique et envisage même de s'expatrier au Brésil.

Vivre dans la peur, d'Akira Kurosawa

Dans votre situation, l’exil n’est peut-être pas encore une option, mais ce n’est pas une raison pour dénigrer l’angoisse de Kiichi, mieux vaut chercher à la comprendre. C’est cela que raconte Kurosawa en imaginant que la psychose grandissante de son personnage puisse avoir des conséquences directes sur ses proches. S’il quitte le Japon, le patriarche ferme son usine et ruine les siens. D’abord sévère à son égard, sa famille va devoir apprendre à l’écouter et pour certains à admettre son point de vue. C’est toutefois un personnage extérieur au clan Nakajima, amené à apprécier la situation d’un point de vue juridique, qui se met à douter le plus fortement de la prétendue «folie» du vieillard. Il émet l’hypothèse qu’il soit simplement plus «sensible» que les autres citoyens japonais qui, à ses yeux, ressentent une peur comparable mais ne l’expriment pas. Un dialogue avec son fils l’éclaire notamment: «As-tu peur?» lui demande-t-il, «Bien sûr», répond le jeune avant d’ajouter:

«Mais à quoi bon y penser... Y penser rend fou».

Au terme du récit, un docteur semble prolonger cet échange quand il conclut: «Est-ce vraiment Nakajima qui est fou, ou bien nous qui restons impassibles en ces temps de folie?». Ce n’est donc pas en toisant Nakajima que vous surmonterez plus aisément votre angoisse du moment, mais en acceptant l’idée que même si le danger demeure réel et imprévisible, la peur vous appartient.

2.Pour savoir résister

  • Le Village, de M. Night Shyamalan, 2004

Eux, ils ont sauté le pas, le mal est fait. Comme le fantasmait Kiichi Nakajima dans le film d’Akira Kurosawa, les personnages du Village ont choisi de fuir la violence, de se cacher au fond des bois pour qu’elle ne les retrouve pas. Pour évoquer plus en profondeur cet aspect du thriller surnaturel du Village, il faut toutefois le spoiler sans vergogne.

Le Village de Night Shyamalan

Vous savez déjà sûrement qu’à la fin du Sixième sens on apprend [SPOILER] que Bruce Willis était un extraterrestre depuis le début (ou quelque chose comme ça), et bien si ce n’était pas le cas, maintenant vous saurez que la prétendue communauté américaine vivant au XVIIIème siècle dans Le village est en réalité composée d’une poignée d’universitaires qui ont tout plaqué dans les années 1970 pour aller vivre au coeur d’une forêt, à l’abri de tout et de tous.

Plus précisément, ce que l’on découvre dans le dernier tiers du film, c’est que chacun de ces professeurs a personnellement connu la violence «des villes», ayant perdu un ou plusieurs proches, avant de fonder leur havre de Paix. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’échec de cette prétendue solution trouvée par les personnages. Ils ont voulu tromper la mort, mais celle-ci les rattrape, un peu comme dans un épisode de Destination finale. «On ne peut pas fuir la souffrance, la souffrance fait partie de la vie», soupire Brendan Gleeson lors d’une scène-clé du film, puisque son personnage a certes perdu un proche avant de s’installer dans ce village hors du temps, mais qu’il y a aussi perdu son fils depuis. Une étude rappelait il y a quelques temps que le monde dans lequel nous vivons n’est pas au paroxysme du chaos, qu’il est même plus apaisé que jamais, et que cette méprise commune s’explique essentiellement par une connaissance accrue des violences qui nous sont contemporaines. S’enfuir dans le passé n’étant techniquement pas possible, une fuite façon Le village demeure hors de question. En revanche, partir vivre au pays de Justin Trudeau, c’est déjà plus envisageable... mais Shyamalan vous aura averti de la désillusion à venir.

3.Pour relativiser

  • La Stratégie du choc, de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, 2010

Comment ne plus avoir peur du terrorisme? En réalisant que ce n’est pas encore le pire. Et par là, il ne s’agit pas seulement de dédramatiser les attaques terroristes en comparant les statistiques à celles des accidents de la route. Non, si ce n’est pas la pire des perspectives, c’est parce que ce déferlement de violence que la France connaît depuis 2015 n’est pas une fin en soi. Et par là, il ne s’agit pas seulement d’estimer qu’il ne s’agit que d’une manoeuvre parmi d’autres dans l’agenda des djihadistes. Le pire, c’est que l’effroi ressenti par le peuple au lendemain d’une attaque terroriste pourrait bien être instrumentalisé en hauts lieux pour nous faire souffrir plus encore dans un second temps. C’est la théorie de la journaliste altermondialiste Naomi Klein, élaborée dans son ouvrage La stratégie du choc, et déployée tout au long de ce documentaire éponyme lui étant consacrée.

La Stratégie du choc © Haut et Court

Klein explique que depuis les années 1970, des politiciens ayant suivi les préceptes de l’économistes Milton Friedman profitent de l’état de choc des populations - voire les provoquent (les Îles Malouines? L’Irak?) -pour faire passer des réformes économiques contre lesquelles le peuple abasourdi n’aurait pas la capacité de se révolter. Un exemple parmi beaucoup d’autres : celui de survivants Sri-Lankais du Tsunami de 2004 insidieusement poussés à ne pas réinvestir les plages sur lesquelles ils vivaient pour que celles-ci puissent être privatisées et destinées à accueillir des hôtels de luxe. Si le documentaire avait été finalisé en 2016, Winterbottom et Whitecross auraient sûrement invités Naomi Klein à ironiser sur l’impeccable timing de la loi Travail et du 49.3. Difficile de dire si notre peur du terrorisme s’en retrouve amoindrie, mais une chose est sûre, c’est qu’une fois le film achevé, on n’y pense plus. (Trop occupé qu’on est à chercher des antidépresseurs dans l’armoire à pharmacie).

4.Pour continuer à rire

  • We are four Lions, Chris Morris, 2010

Comme l’a dit le philosophe Didier Super: «Mieux vaut en rire que de s’en foutre». C’est le parti pris de Chris Morris qui, plutôt que de livrer un brûlot ou un pensum sur le terrorisme islamiste, décide de le tourner en dérision dans We are four lions.


Sa comédie n’a pas pris une ride, et la triste actualité nationale la fait même rajeunir à nos yeux. Le film suit les préparatifs puis le passage à l’acte de quatre djihadistes britanniques qui semblent directement inspirés des Pieds nickelés (l’un d’eux est incarné par Riz Ahmed, figure centrale de la série The Night Of). Au-delà des frontières cinématographiques, redéfinir le degré de déficience intellectuelle des djihadistes est un mécanisme de défense éprouvé. Cet été, le «tueur au camion» de Nice a permis aux médias de lancer un nouveau débat à propos des assaillants: la fragilité mentale primerait-elle lors de leur radicalisation, ou bien serait-ce la conviction religieuse ou encore une révolte personnelle et politique? Dans Made in France (Nicolas Boukhrief, 2015), le seul qui ne dévie pas de sa funeste trajectoire est celui qui perd le plus ouvertement la raison, le seul du groupe à ne pas tiquer quand l’objectif est d’assassiner des enfants en bas âge. Même dans Nocturama (Bertrand Bonello, 2016), qui s’évertue pourtant à ne surtout pas expliciter les intentions de ses propres terroristes, l’une des dernières séquences montre l’un d’eux embrasser un mannequin et le démembrer, comme si l’on avait au droit à un accès isolé à la psyché désaxée du criminel. Le rire ne serait donc pas uniquement celui de la décontraction, mais aussi l’instrument d’une réflexion sur l’équilibre entre l’action et la réflexion chez les terroristes. Mais bon, quand l’un des djihadistes de We are four lions n’arrive pas à reconnaître une poule et l’appelle «lapin sans oreilles», on sait qu’on est quand-même surtout là pour se poiler.

5.Pour continuer à vivre

  • Nocturama, Bertrand Bonello, 2016

Ne serait-ce que le fait de se rendre au cinéma, c’est continuer à vivre. Grand bien vous fasse si vous y allez toujours autant, et pour voir un film sur le terrorisme qui plus est. Allez voir Nocturama ce 31 août, ce sera un acte de résistance, ou presque.

Finnegan Oldfield dans Nocturama

Contrairement aux restaurants, stades et autres salles de concerts, la salle de cinéma n’a pas encore été prise pour cible en France par les terroristes. Mais la perspective existe certainement dans bien des esprits si des oeuvres comme Made in France et Bastille Day ont été déprogrammées. La frilosité des exploitants explique d’ailleurs que parmi les très, très nombreux projets de cinéma prenant actuellement le terrorisme pour sujet, si peu soient produits au final (il y aura au moins celui des frères Dardenne l’an prochain).

Les salles sont peu enclines à montrer ces histoires, mais les spectateurs n’ont vraisemblablement pas très envie d’en voir non plus quand ils passent du petit au grand écran; d’où les échecs plus et moins retentissants de Taj Mahal de Nicolas Saada et des Cowboys de Thomas Bidegain en 2015. Le film de Bonello est toutefois loin d’aborder Daesch, par exemple. On est ici dans l’évocation poétique et symbolique de la révolte par le biais du terrorisme. Pour vous donner une idée, Nocturama est à peu près aussi évasif sur le sujet quand lorsque Gus Van Sant fait un «biopic» de Kurt Cobain avec Last Days. Ce qui ne signifie pas qu’il soit exempt de propos, aussi succinct soit-il: les terroristes bonelliens sont des «ennemis d’état» et veulent «tout faire péter». Lorsque l’un d’eux lit un article sur le renversement du gouvernement Allende au Chili en 1973, on connecte toutefois le film à la «stratégie du choc» de Milton Friedman, que ses personnages reprendraient pour mieux l’inverser. Cette fois-ci, le «choc» provoqué ne ferait pas ou peu de mort (en théorie), et ne causerait pas la torpeur et la malléabilité du peuple, mais au contraire il serait enclin à le réveiller (en théorie toujours). Si l’on ne peut pas taxer Bonello de faire l’apologie du terrorisme, il reste possible de fantasmer une nouvelle société fondée sur les cendres des attentats perpétrés par ses personnages. On imagine même déjà ce sequel, et vous iriez aussi le voir en salles.

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