Imaginez que vous passiez une année enfermé dans une sorte de yourte blanchâtre de 11 mètres de diamètre et de six mètres de hauteur, que les seuls aliments que vous puissiez ingurgiter soient des denrées déshydratées. Imaginez aussi que vous n’ayez plus aucun contact avec l'extérieur et que vos seuls compagnons soient cinq personnes de nationalités et de cultures différentes que vous n'avez en aucun cas choisis pour cette drôle de cohabitation. Enfin, vos moindres faits et gestes sont passés au crible d'une équipe de scientifiques qui vous observent 24 heures sur 24.
Une telle configuration vous paraît apocalyptique? Digne du pire scénario de téléréalité? C'est pourtant le choix de Cyprien Verseux, 26 ans, qui vient de passer une année entière à simuler les conditions de la vie sur Mars sur une zone volcanique hawaïenne. Le Français a participé au programme Hi-Seas 4 afin que la Nasa puisse évaluer les conséquences psychologiques d'un tel isolement sur les six aspirants astronautes. À peine sorti de son «dôme», ce dimanche 28 août, Cyprien a déclaré au micro de France Info que l'expérience s'était avérée «plus facile que je ne le pensais».
Back to Earth tomorrow (Sunday)! See you soon! https://t.co/ThnBAcLRcG#hiseas pic.twitter.com/QA7fiZOogr
— Cyprien Verseux (@CyprienVerseux) 27 août 2016
Sur son blog, le jeune astro-biologiste a été autorisé à publier 27 posts très exactement où il a décrit son ressenti. Voici quelques extraits choisis d'une année (presque) martienne.
1.Les nourritures martiennes
«J’ai reçu de nombreuses questions concernant la nourriture dans le dôme. D’accord, ce n’est pas de la haute gastronomie puisque tout notre stock de nourriture consiste en des produits de longue conservation, essentiellement de la nourriture lyophilisée que nous réhydratons. Mais avec un peu de créativité, on peut en tirer des plats corrects.»
Qu'est-ce qu'on mange à #hiseas ? Dernier post de mon blog traduit par @maglarecherche : https://t.co/xn2zJxbJj9 pic.twitter.com/a9Q2r7j4l5
— Cyprien Verseux (@CyprienVerseux) June 19, 2016
«De plus, je suis biologiste et nous avons quelques souches de microbes qui nous permettent de produire du pain, du fromage, du fromage blanc et autres produits fermentés. Et un effet secondaire de mes recherches sur la production de ressources sur Mars sera des légumes frais. De toute façon, après des années en tant qu’étudiant fauché, je ne suis pas très regardant de ce côté-là.»
Extrait du post du 5 octobre 2015
2.Papiers cadeaux en housses de sac de couchage
«La veille de Noël, nous avons cuisiné un repas de réveillon avec ce que nous pouvions. Nous avons réhydraté des cubes de dinde lyophilisés et les avons amalgamés pour leur donner une forme de dinde rôtie. Dans les semaines précédentes, nous avions fermenté des raisins secs pour avoir quelque chose qui ressemble à du champagne.
Et j’ai tenté de cuisiner une bûche de Noël. Mais comme j’ai dû substituer plus de la moitié des ingrédients, le résultat n’était pas vraiment celui escompté: le gâteau était coulant à la sortie du four, le glaçage n’a pas pris, et le croquant sur le dessus était mou. Du coup, j’ai superposé les différente couches dans un plat, ai congelé le tout pour qu’il tienne en place, et l’ai présenté comme une bûche glacée. L’équipage, qui n’avait aucune idée de ce à quoi cette pâtisserie était censée ressembler, l’a apparemment beaucoup appréciée.»
Dernier article de mon blog traduit sur @maglarecherche : comment on prépare #Noël sur notre volcan, à #hiseas. https://t.co/gyerKg45zf
— Cyprien Verseux (@CyprienVerseux) December 24, 2015
«La remise des cadeaux a eu lieu le matin du 25 décembre, suivant un mélange de nos différentes traditions. La plupart des cadeaux ont été mis la veille au pied du sapin (ou, vu la taille de l’arbuste: le sapin a été mis au pied de la plupart des cadeaux), à côté des chaussures des destinataires. D’autres ont été remis en mains propres, d’autres encore ont été cachés. Nous n’avions pas de papier cadeau, et les emballages étaient aussi intéressants que leurs contenus : boîtes en carton, serviettes en papier, chaussettes, housses de sacs de couchage…»
Extrait du post du 13 janvier 2016
3.Le 13 novembre depuis mars
«Vendredi 13 novembre. “Cyprien… Les dernières nouvelles devraient t’intéresser”. Je comprends au ton de mes coéquipiers que quelque chose de grave s’est produit.
J’ouvre mon ordinateur et trouve l’e-mail d’une amie. Paris, ma ville d’origine, est attaquée par des terroristes. Une cinquantaine de personnes ont été tuées, d’autres sont prises en otage.
Je demande immédiatement des informations à l’équipe d’appui à la mission. Le temps que mon e-mail les atteigne,v ingt minutes plus tard d’autres attaques se produisent. L’équipe d’appui m’envoie des articles. Je les reçois après un autre délai de vingt minutes. Le nombre de morts a dépassé la centaine. Est-ce que des membres de ma famille ont été tués? Ai-je perdu des amis? Je ne peux pas décrocher un téléphone ici, alors j’envoie des e-mails. Mais je sais que je n’aurai pas de réponse ce jour-là: c’est le milieu de la nuit à Paris. Il me faut attendre le jour suivant.»
Extrait du post du 26 novembre 2015
4.Supporter la promiscuité
«Cela dit, je sais que le plus dur est devant nous: le troisième quart commence juste. D’après notre expérience dans les stations spatiales et polaires, notre santé mentale, nos relations et nos performances ont de grandes chances de se dégrader brutalement autour de… maintenant. Ce phénomène, bien connu dans les sciences humaines en environnements extrêmes, a été baptisé “third-quarter syndrome”. Les symptômes possibles incluent l’instabilité et l’hypersensibilité émotionnelles, l’irritabilité, la perte de motivation, la dépression et l’apathie. Super.
Je ne sais pas encore à quel point nous serons affectés, mais les premiers signes se font sentir. Discrètement, parce que mes coéquipiers ne sont pas du genre à se plaindre ou à se laisser abattre. S’ils souffrent, ils le cachent. Mais les tensions entre les membres de l’équipe deviennent plus fréquentes et plus intenses.»
«Une partie de ces tensions peut être expliquée par le fait que mes coéquipiers se révèlent de plus en plus: s’il est facile de masquer ses travers pendant quelques semaines, il est extrêmement difficile de le faire pendant des mois. Si vous êtes égocentrique et manipulateur, ou si votre courage a tendance à faire défaut dans les moments difficiles, vos coéquipiers le sauront. Un autre facteur est que plus le temps passe, plus il est difficile pour certains de mes coéquipiers de supporter de petits défauts chez les autres auxquels ils ne prêtaient pas attention auparavant. Un de mes coéquipiers, par exemple, sera énervé par un autre qui a tendance à faire des affirmations erronées sur un ton de professeur.
Globalement, notre situation sociale est plutôt bonne étant données les circonstances: nous maintenons tous des relations au moins professionnelles avec chacun, et dans la plupart des cas bien meilleures que ça.
Ce qui se passera dans les prochains mois est ce qui intéresse le plus les chercheurs qui nous observent. Que se passe-t-il une fois que la période d’excitation est passée, que les équipiers se révèlent et que la monotonie, le confinement et l’isolement commencent à peser?»
Extrait du post du 15 mars 2016
5.Imaginer l'extérieur
«Dans un mois je serai dehors. [...] En plus des choses que je vais retrouver, il y a celles que je vais découvrir. Ici, avec un accès internet limité à une poignée de sites statiques, loin des réseaux sociaux et sans la possibilité de parler en temps réel avec qui que ce soit en-dehors du dôme, je ne sais rien des nouvelles chansons populaires, des phénomènes internet, des étrangetés de la mode, ni d'autres sources de blagues que je ne comprendrai pas.
Oui, nous recevons de temps en temps des nouvelles, par e-mail. Mais ces nouvelles sont filtrées: on me parle principalement des attaques terroristes, des catastrophes naturelles et des violences dans les manifestations, et occasionnellement de certains évènements culturels. En bref: d'après les e-mails que je reçois, je vais rentrer dans une France post-apocalyptique parcourue par des chômeurs qui se battent avec des policiers dans les rues inondées de Paris, pendant que des adolescents en calchemise attrapent des pokémon avec leurs téléphones.»