France

La primaire de droite tourne au test psycho, pas au débat politique

Temps de lecture : 3 min

Au gré des livres et d'interviews, les candidats de la primaire de droite se distinguent de plus en plus par leur tempérament et leurs traits de caractère. Est-ce pour masquer le fait qu'ils n'ont pas grand chose à dire sur le fond?

Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, le 2 septembre 1988 | MICHEL PLASSART / AFP
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, le 2 septembre 1988 | MICHEL PLASSART / AFP

En cette rentrée politique, Alain Juppé est «bien dans ses bottes». «Transfiguré, heureux, serein». Dans le portrait que lui consacre Le Monde à l’occasion de son meeting à Chatou dans les Yvelines, on apprend que le candidat à la primaire de la droite se sent enfin lui-même, écoutant ses envies sans se soucier du regard des autres. «Je vais poursuivre une campagne qui me ressemble. Ma campagne, pas celle d’un autre», ­a-t-il fièrement martelé. «Ce qui fait son bonheur et nourrit son désir de gagner, lit-on encore dans l’article du Monde, c’est son affranchissement de toutes les chaînes du passé, […] et il aura fallu attendre 71 ans pour qu’il ose s’en convaincre.» Une émancipation tardive pour le moins touchante. Alain Juppé, longtemps handicapé par une image de froideur et de distance, va d'ailleurs publier un nouveau livre qu'on annonce «plus personnel que les trois livres programmatiques déjà parus».

Cet «autre» candidat à la primaire qu’Alain Juppé ne nomme pas, Nicolas Sarkozy, s’est lui-même placé sur ce terrain de l’examen de conscience. Pourtant «peu enclin à l’autocritique, [il] a néanmoins compris que c’est sur sa personnalité qu’il devait apporter les correctifs les plus appuyés», lisait-on toujours dans le quotidien de référence. Sans toucher vraiment sur le fond à la «synthèse libéralo-identitaire» qui l’avait porté au pouvoir en 2007, note l'article signé François Fressoz, Sarkozy mise donc sur une métamorphose de style et de tempérament, gommant les aspects de sa personnalité qui passent le plus mal dans l’opinion, tout en mettant en avant d’autres traits, «son énergie, son autorité, son expérience», pour convaincre. C'est d'ailleurs cette personnalité aux traits particulièrement saillants qu'il met en avant pour promouvoir le livre dans lequel il annonce sa candidature à la primaire pour l'élection présidentielle: «J'ai senti que j'avais la force», clame-t-il dans l'extrait qu'il met en exergue au moment de la sortie. Un peu comme s'il annonçait sa participation à une compétition sportive de haut niveau...

Pour l’outsider de la primaire Bruno Le Maire, les deux précédents candidats ne sont pas tant associés à des courants politiques de la droite qu'à des types de comportement, avec d’un côté «des discours toujours plus durs, toujours plus violents, toujours plus brutaux», qui font référence à Nicolas Sarkozy bien sûr et de l’autre «l’immobilité heureuse», une pique qui vise l’expression floue d’«identité heureuse» portée par Juppé.

Une dérive qui masque une absence de clivage clair

Il ressort de ces premières étapes de la rentrée politique, alors qu’approche la primaire de la droite fixée au mois de novembre, que le combat politique ressemble de plus en plus aux dossiers qu’on a l’habitude de lire dans les magazines de psychologie et de développement personnel, rubrique «Devenir enfin soi-même». Pour déterminer la place qu’occupe chaque candidat dans la compétition, mieux vaut donc avoir en main un test des Big five –test psychologique basé sur cinq traits de caractère– qu’un manuel de sciences politiques.

Cette sur-psychologisation des discours est le signe que les candidats ont beaucoup de mal à établir des lignes de clivage fortes entre eux. Si Nicolas Sarkozy veut mettre le paquet sur l’identité, ses adversaires n’osent pas lui opposer une alternative lisible, préférant jouer sur le contre-emploi en matière de tempérament.

Cet affaiblissement du clivage gauche-droite est compensé par de nouveaux clivages qui évoquent plutôt une attitude générale vis-à-vis de la marche du monde qu'un réel programme politique, comme c'est le cas du très à la mode clivage ouvert/fermé. Selon cette vision du monde, propagée notamment dans un récent dossier du magazine The Economist, les électeurs se départagent en fonction leur plus en moins grand degré d'optimisme et d'ouverture face à l'avenir, qu'il s'agisse de l'état de l'économie, de la cohésion sociale ou de l'immigration.

La transfiguration de l’échiquier politique en test de personnalité est aussi la conséquence de la montée de ces nouveaux clivages. «Dans ce nouveau paysage politique, notait Eric Dupin sur Slate, le “Parti raisonnable (PR)” affronte le “Parti mécontent (PM)”». Il est donc logique que les candidats en lice aient tendance à enfiler le costume de représentant d’une de ces postures vis-à-vis de la situation actuelle. Or, si le FN s’impose comme le principal porte-drapeau des seconds, les raisonnables doivent encore élire leur champion. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la tempérance, la stabilité et la modération sont des qualités très mises en avant ces dernières jours par les candidats.

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