Monde / Culture

Œuvres d'art pillées: la Chine à la recherche d'un temps perdu

Temps de lecture : 3 min

Pékin veut recenser les objets pillés lors du sac du Palais d'été en 1860.

La Chine ne tolère plus que des œuvres d'art qui lui ont été dérobées soient éparpillées à travers le monde. Pékin veut désormais localiser tout objet ou document ayant trait aux trésors du «Yuanmingyuan», le Palais d'été, résidence impériale pillée par des troupes anglo-françaises puis incendiée en 1860. Une équipe d'experts chinois va parcourir les musées et collections d'arts aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France et au Japon. Officiellement pour les recenser et non réclamer des restitutions.

La démarche entretient le sentiment national chinois qui ne pardonne pas aux Occidentaux leur colonialisme passé. En février dernier, Pékin a protesté lors de la vente aux enchères de deux statues de bronze (une tête de rat et une de lapin) provenant de ce pillage. L'acheteur chinois a refusé de payer. Les statues, provenant de la collection de Pierre Bergé et d'Yves Saint Laurent, sont restées chez leur propriétaire. Pierre Bergé, peu enclin aux concessions envers le Parti communiste chinois, s'était dit prêt à la céder à la Chine en échange des «droits de l'Homme, la liberté au Tibet» et le retour du dalaï lama à Lhassa. Un chantage insupportable pour Pékin.

Paradoxe: de nombreux bâtiments et jardins du Yuanmingyuan détruit avaient été dessinés au XVIIIe siècle dans un style européen par des jésuites français et lombards présents à la Cour de l'Empereur Qianlong. Peu connu en France et en Angleterre, le sac du Palais d'été a, au contraire, laissé en Chine la marque d'une profonde humiliation. Au milieu du XIXe siècle, les Anglais n'arrivaient pas à obliger la Chine à ouvrir son marché, en particulier à l'opium produit en Inde. Forcer la main de l'Empereur est la principale raison en 1860 de l'envoi de 12.000 soldats de Sa Gracieuse Majesté, la Reine Victoria. Napoléon III y ajoute 8.000 hommes mais insiste sur un autre objectif: permettre la libre circulation en Chine des missionnaires catholiques.

Fin septembre, le corps expéditionnaire marche sur Pékin. 39 émissaires sont envoyés à la Cité interdite pour répéter les exigences européennes. La route suivie par les Français passe par une demeure immense, somptueuse et vide: le Palais d'été. Malgré les ordres du Général Charles de Montauban, les soldats s'emparent de bijoux, meubles, statuettes, tentures, etc. De nombreux pillards chinois profitent de la situation. Le sac reprend de plus belle mais plus méthodiquement quand arrivent les Britanniques et leurs contingents indiens.

Les soldats repartent vers Pékin, abandonnant en chemin une partie de leur trop lourd butin. Arrivés dans la capitale chinoise, les Européens apprennent que vingt de leurs émissaires sont morts sous la torture. En représailles, les Anglais décident d'incendier le Palais d'été. Les Français ne s'y associent pas.

Lorsque cet épisode est connu en Europe, Victor Hugo (alors exilé à Guernesey) exprime son indignation contre les «bandits» qui ont pillé et détruit un chef d'œuvre qu'il compare au Parthénon, au Colisée, aux Pyramides ou à Notre-Dame. Il ironise sur le gouvernement français qui a «empoché la moitié de cette victoire». En tout cas, 500 objets prélevés par les officiers sont offerts au titre de prises de guerre à Napoléon III; autant pour la Reine Victoria. En 1862, un musée est crée par l'Impératrice Eugénie au Château de Fontainebleau pour exposer les premiers. Ils y sont toujours. Les seconds sont pour l'essentiel au British Museum.

Il sera plus difficile pour les experts chinois de repérer des œuvres qui ont plusieurs fois changé de mains depuis 1860. Pierre Bergé a acquis ses deux têtes de bronze auprès d'un collectionneur italien qui les avait achetées dans les années 30. Impossible de savoir qui s'en était saisi lors du pillage. Ces deux statues proviennent d'une série de douze; la Chine en a récupéré cinq lors de ventes aux enchères. Beaucoup d'autres objets ne pourront pas être aussi facilement identifiés comme venant du palais d'été. Selon Pékin, des croquis qui n'ont pas brulé et même des photos se trouveraient dans des bibliothèques américaines. Les experts chinois demanderont à les voir le mois prochain.

Si, comme c'est probable, ils se rendent ensuite à Fontainebleau, ils constateront que les laques, les bronzes ou les céramiques sont régulièrement nettoyés. Que serait-il advenu de ces merveilles en Chine, pendant la Révolution Culturelle, quand les gardes rouges cassaient les vestiges du passé? Le ton actuel des responsables chinois de la Culture ne se prête guère à aborder la question sous cet angle. A Europalia, le Festival d'art consacré à la Chine qui se tient actuellement à Bruxelles, les organisateurs belges ont du présenter le pedigree de tous les objets exposés au public. Ceux de collections privées qui n'étaient pas suffisamment précis ont du être retirés. Et cette exposition bruxelloise n'a rien à voir avec le Palais d'été.

Richard Arzt

Image de une: Le Palais d'Eté

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