Regarder une vidéo au ralenti permet de mieux comprendre ce qui s'y passe. Mais en observant une action selon un rythme déformé, ne risquons-nous pas de déformer, aussi, l'impression que nous nous en faisons?
Oui, pour une équipe de trois chercheurs des universités de Chicago, San Francisco et de Virginie dont l'étude est en passe d'être publiée dans les PNAS. Une distorsion particulièrement dommageable dans un contexte judiciaire: au ralenti, les suspects ont tout simplement l'air davantage coupable qu'en vitesse normale.
Le point de départ de ce travail, expliquent Eugene M. Caruso, Zachary C. Burns et Benjamin A. Converse dans le New York Times, remonte à 2009 et au procès de John Lewis, accusé d'avoir tué un policier lorsqu'il braquait une pâtisserie. Lewis, qui avait plaidé coupable, avait assuré au juge et aux jurés que son geste avait été spontané, simple réflexe de panique à la vue d'un représentant des forces de l'ordre déboulant dans son champ de vision alors qu'il était en train de commettre son larcin. Les procureurs furent d'un autre avis: Lewis avait tiré sur le policier de manière «consciente, délibérée et préméditée». Une différence de taille, vu qu'elle distinguait pour Lewis, la perpétuité du couloir de la mort.
Pour les aider à rendre leur verdict, les jurés allaient visionner les images de vidéosurveillance tournées dans la pâtisserie au moment de la fusillade. Et pour bien comprendre ce qui s'y était passé, ils allaient la voir au ralenti. Lewis fut condamné à mort, mais fit appel en arguant que le ralenti avait donné aux jurés une «fausse impression de préméditation».
Un argument qui se tient, selon les différentes expériences menées par Caruso, Burns et Converse auprès de 1.895 volontaires. En l'espèce, voir des images en ralenti pousse les spectateurs à croire que l'acteur des faits représentés a eu davantage de temps avant de les exécuter qu'il n'en a réellement disposé. Le ralenti donne l'impression d'une action plus réfléchie, plus préméditée et en user dans un tribunal peut avoir de dramatiques conséquences. Lewis et ses avocats avaient donc raison.
Selon les estimations des scientifiques, calculées sur plus d'un millier de procès, un jury a ainsi quatre fois plus de chances de déclarer un suspect coupable de meurtre avec préméditation si ses membres ont regardé les images du crime au ralenti. Un phénomène qui s'observe aussi dans des contextes moins tragiques: lorsqu'une faute au football américain est montrée au ralenti, les spectateurs sont bien plus enclins à considérer que son auteur l'a fait exprès.
«Nous vivons à l'ère de YouTube», commentent les chercheurs. «À l'heure actuelle, si un événement contesté se déroule en public, il y a de grandes chances qu'il soit filmé et analysé en détail. Il est important de garder à l'esprit que les preuves vidéo peuvent autant distordre le jugement humain que l'affûter. Nos études montrent que, du moins au tribunal, il convient de ne pas être trop prompt à ralentir les choses.»
À la Cour suprême de Pennsylvanie, la condamnation à mort de John Lewis fut confirmée. Selon les juges, le ralenti avait été bien plus probant que préjudiciable.