Sports

Vingt-huit ans après, le 100m court encore après la «bavure» de Séoul

Temps de lecture : 4 min

La présence aux premiers rangs à Rio de Justin Gatlin fait perdurer l'écho du choc du dopage de Ben Johnson, vainqueur de l'épreuve aux JO de 1988. Un fantôme toujours bien encombrant.

RON KUNTZ / IOPP / AFP
RON KUNTZ / IOPP / AFP

De quel côté se placer? Dans le camp des éternels optimistes ou des incurables sceptiques? En regardant chaque jour les épreuves des Jeux olympiques de Rio, notre conscience peut se laisser insinuer par le doute sans être plus avancée pour autant. Qui sommes-nous, après tout, pour juger définitivement qu’un athlète serait dopé ou qu’un autre ne le serait pas? Là où les autorités sportives peinent à traquer les tricheurs et même à les sanctionner, les spectateurs ou les téléspectateurs ne sont pas mieux armés pour établir des certitudes. Et les journalistes, pas davantage, au-delà de leurs doutes et de leur travail, parfois remarquable, sur ces questions.

Dimanche 14 août, les Jeux olympiques de Rio et le sport en général vont probablement connaître un moment de vérité et jouer une part de leur crédibilité lors de l’épreuve du 100m, sommet indiscutable, comme à chaque fois, de la quinzaine des anneaux.

En principe, cette course arbitrera la rivalité entre Usain Bolt, 29 ans, sacré à Pékin en 2008 et à Londres 2012, et Justin Gatlin, 34 ans, couronné à Athènes en 2004. Elle tranchera également entre la vertu supposée de Bolt dont les tests antidopage se sont toujours révélés négatifs, et l’immoralité démontrée de Gatlin, contrôlé positif à deux reprises et suspendu sur une période de quatre ans après avoir vu sa peine initiale de huit ans réduite de moitié. Si Gatlin venait à l’emporter dans des Jeux olympiques déjà contestés en raison de la présence des sportifs russes, il est vraisemblable que son triomphe serait aussitôt remis en cause au moins sur le plan moral.

La course la plus sulfureuse de l'histoire

Au regard de son lourd passé, et tant pis pour les règles de droit puisqu’elles ne sont pas à la hauteur des enjeux, Gatlin n’aurait jamais dû pouvoir poursuivre sa carrière dans ces conditions. Et dans un monde sportif qui n’arrive pas à se gendarmer, son succès serait une terrible nouvelle. Dans ce contexte, Bolt serait donc un vainqueur nettement plus désirable et il est probable que le Comité international olympique soit d’accord là-dessus.

Chasser les doutes plutôt que de les entretenir même si nos certitudes sont tombées définitivement depuis le 24 septembre 1988 lorsque Ben Johnson a remporté le 100m des Jeux de Séoul en battant le record du monde en 9’’79. La course la plus sulfureuse de l’histoire de l’athlétisme, devenue le scandale le plus important de la saga des JO, a ensuite changé le cours des événements et du sport pour toujours. Et c’est à ce sprint en Corée du Sud que nous renvoie chaque finale olympique comme celle de Rio.

Tout est là dans ces 9 secondes 79 d’éternité que Ben Johnson s’est appropriées. Comment a-t-il fait ainsi pour bloquer le chronomètre?

Que croyaient d’ailleurs les commentateurs à l’époque avant de découvrir le pot aux roses? Au soir du succès de Ben Johnson, Le Monde avait écrit:

«Tout est là dans ces 9 secondes 79 d’éternité que Ben Johnson s’est appropriées. Comment a-t-il fait ainsi pour bloquer le chronomètre? On glosera longtemps sur ce don quasi surnaturel de cet enfant pauvre de Kingston, élevé au Canada, à s’éjecter de ses blocks de départ et sur la puissance qu’il arrive ensuite à dégager jusqu’à la ligne d’arrivée. Mystère de l’hérédité, acquis de l’entraînement, dons plus secrets, Johnson va vite comme d’autres respirent. (…) Et ils [avec Carl Lewis, 2e en 9’’92, ndlr] ont fait de ce 100m un moment historique. Tout est dit et les Jeux pouvaient continuer

Mais ils n’ont pas continué normalement et ils ne s’en sont toujours pas vraiment remis vingt-huit ans plus tard. «Tout le monde est surpris de ma victoire d’aujourd’hui, avait déclaré Ben Johnson sa médaille d’or autour du cou avant d’ajouter drôlement. Il n’y a donc que moi qui n’ai jamais douté?»

Dans la presse, des interrogations

En réalité, plutôt que des doutes, les journalistes s’étaient contentés d’émettre des interrogations comme Robert Parienté, grand spécialiste de l’athlétisme à L’Équipe, et qui écrivait au lendemain des prodiges de Johnson:

«Préparation biologique et génétique: depuis le début de l’année, Johnson paie de ses propres deniers un endocrinologiste réputé –on parle de 10.000 dollars par mois– dont il suit aveuglément les prescriptions. Dans le domaine inexploré du cerveau, l’utilisation de certains produits (stimulants?) à dose infinitésimale ne peut être détectée. Et d’ailleurs, ces procédés ne sont pas encore interdits. Nous touchons là un point sensible qu’il faudra bien aborder un jour

Dans Le Figaro, où «un raz de marée de dopage» était mis en exergue au niveau des compétitions d’haltérophilie lors de cette olympiade de Séoul, le problème de cette puissance extraordinaire, qui concernait également Florence Griffith-Joyner, n’était carrément pas abordé au sujet de Johnson à l’issue de son sacre inouï. Il s’agissait davantage d’insister sur le parcours de vie accidenté de Johnson à la personnalité marquée par «l’agressivité et la timidité».

Il faudra du temps pour oublier cette bavure

Puis tout a basculé. Au lendemain d’avoir fait la Une de tous les journaux du monde à l’image de L’Equipe et de sa manchette «Historique», le Canadien est vite devenu un paria à une époque où il n’était donc pas forcément nécessaire d’attendre des mois voire des années pour découvrir la vérité des faits. Dans les laboratoires du Comité international olympique le docteur Park-Jon-Sung avait identifié un stéroïde anabolisant, le stanozolol, qui avait fait le bonheur puis le malheur de Ben Johnson.

L'impossible pardon?

«Il faudra du temps pour oublier cette bavure», écrira Michel Clare un peu sur la retenue dans L’Équipe dans le sillage de ce coup de tonnerre. «Un scandale plutôt qu’un désordre», lui répondra Robert Parienté dans le même journal en paraphrasant une phrase de Goethe.

Mais le désordre a perduré, les «bavures» se sont succédées et en 2016, la bonne conscience est étrangement dans le camp de Justin Gatlin. «J’ai purgé ma peine, a-t-il confié à l’Associated Press. Et je suis allé de l’avant.» Et les observateurs comme le public, sans cesse tentés de regarder en arrière, ne paraissent pas plus certains de ce qu’ils voient en voulant conserver une forme de naïveté salvatrice comme les témoins de 1988. «Je peux encore faire mieux, mais ce sera pour l’année prochaine », avait promis Johnson à Séoul. Il n’y a pas eu d’année prochaine pour le Canadien, mais il y en a eu quelques-unes de plus pour Gatlin. Il ne manquerait plus qu’il s’impose à Rio en 9’’79…

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