Désespérant! C'est ce qu'ont dû se dire les conseillers du président à la lecture des sondages du jour, parce qu'ils résument parfaitement la situation. En l'espèce, il s'agissait de mesurer l'impact du transfert de François Pérol de l'Elysée vers le nouvel ensemble bancaire né de la future fusion des Caisses d'Epargne avec les Banques Populaires: approbation de l'entrée de l'Etat au capital, et d'un contrôle exercé par ce dernier, désapprobation de la nomination d'un proche du chef de l'Etat. Parce que ce dernier a été imposé, sans le respect des formes. On peut étendre le raisonnement: les Français peuvent approuver une politique, ils rejettent la méthode; ils peuvent considérer que l'action est bonne, mais se défier de celui qui la conduit.
Ce ne serait pas si mal. Pourtant le désamour va bien au-delà de la personne du chef de l'Etat, car près de deux Français sur trois n'approuvent ni n'ont confiance dans la politique conduite face à la crise. La difficulté est donc double: à l'impopularité du président s'ajoute celle de sa politique, dans un moment où chacun sent bien qu'à la crise économique peut rapidement s'ajouter une crise sociale majeure, débouchant elle-même sur une crise politique. Avec toutes les dérives que celle-ci pourrait comporter.
Bien sûr, il y a ceux — peut-être sont-ils aujourd'hui une majorité — pour qui la cause est entendue: rien ne sert de supputer pour savoir si le président peut reprendre la main, ou d'attendre qu'une politique porte ses fruits; pour ceux-là, venus de la gauche ou déçus de la droite, le quinquennat est déjà un échec, et il est urgent de passer à autre chose, fût-ce en brusquant les événements. Mais partons de l'idée que Nicolas Sarkozy n'a pas dit son dernier mot. Quelles chances a-t-il de redresser la barre?
Le quinquennat, cadeau empoisonné
Toute la construction de la Ve République repose sur une idée simple: protéger le président, car il est, comme disait de Gaulle, «en charge de l'essentiel». Hormis les situations insurrectionnelles - à laquelle rêvent ceux qui souhaitaient exporter le tumulte antillais en métropole - la Cinquième fait de la présidence une forteresse imprenable. Or il n'en est plus tout à fait ainsi.
En premier lieu du fait du quinquennat, cadeau empoisonné légué par le couple Chirac-Jospin. Le quinquennat et la concomitance des mandats présidentiel et législatif privent le président de l'arme absolue de la reconquête qu'était la cohabitation. Souvenons-nous de la crise qui s'installa très vite après 1981, et qui vit le pays rejeter la gauche au bénéfice d'une droite à la fois libérale et sécuritaire, conduite par Jacques Chirac; en moins de deux ans (1986-1988), François Mitterrand récupéra la mise et réinstalla la gauche. On a pu louer alors, et admirer, les capacités du Président.
Mais quelque temps plus tard, rebelote! Un autre président, Jacques Chirac, pourtant moins habile, mit plus de temps et obtint le même résultat: cohabitation égale résurrection! D'ailleurs, qui n'a observé, à une plus petite échelle, que dès qu'un ou une ministre se tait ou fait mine de s'opposer, il ou elle redevient aussitôt populaire. Cette fois, pour le président, nulle issue de secours: sauf dissolution de l'Assemblée, Nicolas Sarkozy ne peut plus guère «donner du temps au temps», selon la maxime mitterrandienne.
Union nationale
En second lieu, la moindre force présidentielle tient à l'actuel titulaire de charge: tout se passe comme s'il s'était ingénié à défaire un à un les remparts que lui offraient les institutions: puisqu'il n'y a plus ni Premier ministre ni ministres puissants, il n'y plus de «fusibles». Au seuil de l'été 1984, après que deux millions de personnes mobilisées par l'Eglise et l'opposition eurent convergé de Versailles à Paris, le président Mitterrand avait du pour s'en sortir non seulement retirer une réforme litigieuse (celle d'un service public unique de l'éducation) mais aussi sacrifier son Premier ministre Pierre Mauroy. Or chacun sait que dans le système mis en place par et pour Nicolas Sarkozy, il n'y place pour aucun autre responsable que lui-même, donc pas de fusible possible.
Ou plus précisément, pour obtenir l'oxygène que suffisait à donner un autre Premier ministre, il faudrait une redistribution des cartes bien plus grande; pas impossible, sur le papier, mais dans les faits bien improbable. C'est le scénario d'une ouverture aux allures cette fois d'union nationale.
Après tout, de deux choses l'une: ou bien, nous sommes dans une crise grave, certes, mais comme les autres, c'est-à-dire cyclique; il nous faut alors essentiellement attendre la reprise américaine, et traiter socialement les conséquences de la crise pour en atténuer le choc ; politiquement, rassurer l'électorat de la droite peut suffire, dès lors que l'on considère qu'en 2012, la reprise étant passée par là, une nouvelle candidature est possible. Ou bien nous sommes, comme le croient certains experts, dans une crise de système, beaucoup plus grave, comportant des risques d'ébranlement de nos sociétés assez incontrôlables; alors qu'importe l'UMP ou le PS, qui y sont résolument hostiles, il faut passer par dessus les clivages, et choisir ailleurs que dans son camp, mais avec une autre répartition des pouvoirs, un chef de gouvernement.
De ce point de vue, chacun devine que Nicolas Sarkozy n'a qu'une option en magasin, en la personne de Dominique Strauss-Kahn, parce que, ès qualités et par lui-même, il crédibilise une politique de lutte contre la crise. On retrouverait alors une forme de cohabitation, et de sauvegarde pour le président. Scénario, encore une fois, hautement improbable, tant l'allergie est grande en France à toute forme de ce que les Américains appellent une politique «bipartisane», et de ce que les Allemands pratiquent à travers leur «grande coalition».
Il reste donc à espérer que Jacques Attali, et ceux qui avec lui nous annoncent que le pire est devant nous, seront démentis par les tenants d'un prochain retournement de cycle, plus compatible avec une gestion classique des clivages politiques. Mais dans tous les cas, ça risque de secouer!
Jean-Marie Colombani