Cet article est le premier volet d'une série en trois parties sur les villes ayant symbolisé emblématiquement les Jeux olympiques avant l'ouverture de ceux de Rio ce vendredi 5 août.
Lorsque vient le moment de pénétrer dans le Stade olympique de Montréal, qu’il est possible de visiter comme un musée, tout Français ayant cette image en tête tente de porter son regard vers un lieu imaginaire. Où Guy Drut a-t-il franchi en vainqueur la ligne d’arrivée du 110m haies des Jeux olympiques de Montréal en 1976? Où a-t-il pu regarder vers le ciel, en direction du tableau de chronométrage, pour réaliser, pour de bon, qu’une médaille d’or allait s’enrouler autour de son cou?
Ce moment à part dans l’histoire du sport français a imprégné la mémoire de ceux qui ont eu la chance de le vivre en direct à la télévision, mais quarante ans plus tard, le Stade olympique de Montréal ne ressemble plus intérieurement à ce qu’il était en 1976. Et il n’est d’ailleurs même plus question, comme Drut, d’espérer regarder vers les nuages. Une nuit permanente s’est abattue sur le stade à travers un toit qui le recouvre désormais.
En revanche, le corps massif en béton de cette enceinte, tellement visible depuis un avion atterrissant à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau, se détache avec force dans le décor urbain en lisière du jardin botanique et continue de peser sur la conscience de la ville qui soupire presque de dépit à travers son destin funeste. Le «Big O», comme il devait être surnommé en raison de sa forme aperçue depuis le ciel, est aujourd’hui estampillé –et pour toujours– en tant que «Big Owe» (pour dette).
Une dette de 1,5 milliard
Alors que Rio de Janeiro se mettrait presque à regretter d’avoir accepté de devenir une cité olympique au regard de la crise financière qui étrangle le Brésil et des critiques qui s’abattent sur elle, Montréal reste, quarante ans plus tard, à tort ou à raison, un marqueur de l’histoire de l’organisation des Jeux olympiques, une sorte d’exemple ou de symbole de ce qu’il n’aurait pas fallu faire.
En effet, les Jeux olympiques de Montréal, au-delà des exploits des champions qui y ont rencontré la gloire à l’image de la gymnaste Nadia Comaneci, paraissent éternellement marqués à ce fer rouge. Comment une ville, élue en 1970 par le Comité international olympique (CIO) face à Moscou et Los Angeles, s’est-elle retrouvée pour ainsi dire ruinée par la mise sur pied du plus grand rassemblement sportif de la planète? Comment des JO budgétés 300 millions de dollars canadiens ont-ils pu laisser une dette de 1,5 milliard de dollars, une somme astronomique seulement soldée en 2006 au gré de trente années d’un interminable remboursement réglé par une taxe sur le tabac ou d’autres ponctions? Les médias québécois, comme la Montreal Gazette, n’en finissent plus de se poser ces questions en 2016…
Les Jeux olympiques ne peuvent pas avoir un déficit comme un homme ne peut pas avoir d’enfant
Jean Drapeau
Construit par l’architecte français Roger Taillibert, le créateur du Parc des Princes quelques années plus tôt, le Stade olympique est à l’origine du creusement de ce puits sans fond. Œuvre ambitieuse voulue par le maire de l’époque, Jean Drapeau, qui avait déjà été à l’origine de l’exposition universelle de 1967 –dont le souvenir est symbolisé par la célèbre biosphère–, sa structuré était liée à la piscine olympique située en dessous du mastodonte. Maire omnipotent de Montréal pendant vingt-neuf années réparties entre 1954 et 1986, l'édile avait fait une promesse: «Les Jeux olympiques ne peuvent pas avoir un déficit comme un homme ne peut pas avoir d’enfant.»
Ainsi vont les imprudences de ceux qui, à chaque candidature olympique, promettent la lune avant de durement retomber sur terre une fois confrontés à la réalité de ce presque impossible cahier des charges à tenir. Le projet du Stade olympique de Montréal, présenté en 1972, était beaucoup trop complexe, ou probablement trop en avance sur son temps. Il n’a été définitivement terminé qu’en 1987 avec la pose d’un toit ouvrant qui aurait dû être effectif lors des Jeux de 1976 sans compter l’achèvement de la tour inclinée surplombant le stade qui n’arrivait qu’à la moitié de sa hauteur lorsque la cérémonie d’ouverture a eu lieu le 17 juillet 1976.
Rejet et fascination
Aujourd’hui, quelque 250.000 touristes visitent chaque année cette tour penchée pour bénéficier d’une vue imprenable sur la cité québécoise et jeter en bas un regard presque compatissant sur un stade dont beaucoup auraient aimé qu’il n’existât jamais, mais dont certains estiment aussi qu’il manquerait tellement à la ville. Le Stade olympique de Montréal, c’est un peu la Tour (infernale) Montparnasse québécoise, l’objet d’un rejet et d’une forme de fascination contrite.
En 1980, un rapport, impitoyable, présenté par une commission conduite par un juge, Albert Malouf, avait déterminé que les causes de l'augmentation du coût des Jeux et des installations olympiques résidaient «dans l'irresponsabilité administrative des autorités de la ville et du Cojo [comité d’organisation des jeux], dans le choix d'un concept inédit, grandiose et complexe et dans le choix d'un architecte étranger.»
Le rapport avait également pointé des périodes de grèves et identifié l’existence de vols et de détournements de matériaux à grande échelle sur le chantier sans parler de corruption, de mauvaise organisation des travaux et de connections entre l'attribution de certains marchés et les caisses du Parti libéral du Québec de l’époque (une liste de défaillances que ne renierait pas Rio quarante ans plus tard).
En réalité, tout au long de sa vie, ce stade n’a cessé d’être une source de problèmes pour Montréal. En 1991, une poutre de béton de 55 tonnes s’est ainsi détachée et a obligé l’équipe résidente des Expos, de la ligue professionnelle de baseball, à disputer les derniers matches de sa saison en dehors de sa base du Stade olympique. En 1998, l’afflux de neige a crevé un bout du toit et a contraint l’annulation de deux concerts des Rolling Stones. En 1999, lors d’une tempête, une énorme masse de neige a fait ployer une autre partie de ce toit et s’est effondrée sur le terrain alors que des ouvriers s’affairaient aux préparations du salon de l’automobile.
Avec le Stade olympique, les visiteurs y ont trouvé, eux, un lieu de pèlerinage incontournable
Selon une enquête récente, l’actuelle toile du stade, installée il y a plus de quinze ans, était déchirée en 6.776 endroits avant réparation sachant qu’aucune activité n’est autorisée dans le stade s’il y a plus de trois centimètres de neige recouvrant le toit. Le lieu est donc pratiquement inutilisable en hiver et une nouvelle couverture pourrait devenir nécessaire pour un peu plus de 200 millions de dollars.
Quel héritage?
Cette enceinte presque maléfique reste aussi intimement associée à la chute du club des Expos, en panne de succès et relocalisé à Washington en 2004, qui continue de hanter le souvenir de nombreux Montréalais, nostalgiquement attachés à une équipe qui n’avait pas forcément trouvé sa place dans ce cadre trop imposant et qui voient resurgir régulièrement le rêve d’un retour des Expos à Montréal –et pourquoi pas au Stade olympique si celui-ci avait un jour un toit vraiment solide.
Comme les Expos, nés en 1969 et que Jean Drapeau avait également voulus à Montréal, les Jeux olympiques de 1976 continuent d’entretenir le mythe d’un héritage insaisissable que les Québécois cherchent et chercheront encore longtemps, mais avec le sentiment diffus que cela en valait peut-être tout de même la peine. Avec le Stade olympique, les visiteurs y ont trouvé, eux, un lieu de pèlerinage incontournable tout à côté du Biodôme, musée de la faune et de la flore, dont beaucoup ignorent que le lieu avait abrité le vélodrome et les compétitions de judo il y a quarante ans. Écologiquement, les Jeux de 1976 étaient au moins des précurseurs en matière de durabilité et d’écologie…
Prochain volet: Los Angeles