France

Tout ce que déteste Daech se trouvait dans la messe de Rouen

Temps de lecture : 3 min

En multipliant les attaques en Occident, le groupe djihadiste veut détruire la coexistence entre musulmans et non-musulmans.

Des musulmans assistent à la messe en la cathédrale de Rouen en mémoire au père Jacques Hamel, le 31 juillet 2016. CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Des musulmans assistent à la messe en la cathédrale de Rouen en mémoire au père Jacques Hamel, le 31 juillet 2016. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Tout ce qu'exècre Daech était réuni en une scène dimanche 31 juillet dans la cathédrale de Rouen, où près de 2.000 fidèles catholiques et musulmans ont assisté ensemble à la messe organisée en mémoire au père Jacques Hamel, cinq jours après son assassinat dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray par deux djihadistes.

«Une femme musulmane assiste à une messe en mémoire au prêtre Jacques Hamel dans la cathédrale de Rouen.»

Dans sa campagne de terreur contre l'Occident, le groupe terroriste tente d'installer le chaos pour diviser et à opposer les communautés entre elles. Son ambition: qu'en réaction aux atrocités commises, l'opinion publique et la classe politique de pays comme l'Allemagne, les Etats-Unis ou la France s'en prennent terrifiées à leurs compatriotes musulmans et poussent, à force de discours racistes et de mesures discriminatoires, ces derniers dans les bras d'un islam radical et des djihadistes. C'est ce qu'on nomme la «zone grise», l'espace de coexistence des religions, théorisée par les idéologues de Daech et décrite notamment dans le numéro de février 2015 de la Revue Dabiq. Le but des djihadistes est de détruire cet espace de coexistence, comme nous l'expliquions ici.

«L'extinction de la zone grise.» Capture d'écran de l'article paru dans la revue djihadiste Dabiq en février 2015.

Les idéologues de Daech affirment vouloir construire un monde binaire où «les musulmans de l'Occident se trouveront bientôt eux-mêmes entre l'un des deux choix». Comprendre: rejoindre Daech ou rester dans leur pays en abandonnant leur foi.

À regarder les réactions de la classe politique française après l'attaque terroriste de Saint-Etienne-du-Rouvray, on se dit qu'ils sont nombreux à tomber dans le piège tendu par l'organisation terroriste.

On peut bien sûr citer les propos prononcés par l'inérarrable Nadine Morano, député européenne, sur les ondes de RMC le lundi 1er août.

Où ceux de Marion Maréchal Le Pen, figure centrale du Front National et député de Vaucluse, le 27 juillet.

On se rappelle également des débats, sur la proposition de loi du gouvernement sur la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme, qui avaient agité l'Assemblée nationale à l'automne 2015.

«On a associé la binationalité au terrorisme. Même si dans le projet initial, le lien entre les deux thèmes était limité à des cas très particuliers, le mal était fait. Malgré les discussions et les arrangements, c’est ça qui a fait mal et qui laisse des traces», analysait à l'époque le sociologue français Michel Wieviorka dans les colonnes du Monde.

Après les attaques du 13 novembre 2015 en région parisienne, l'historien Pierre-Jean Luizard et auteur de l’essai Le piège Daech, expliquait dans un entretien accordé à Mediapart:

«Dans les quartiers attaqués, on peut voir des jeunes, cigarettes et verre de vin à la main, sociabiliser avec ceux qui vont à la mosquée rigoriste du quartier. C’est cela que l’EI veut briser, en poussant la société française au repli identitaire et à la peur de l’autre, en suscitant des réactions irrationnelles où l’explication et la réflexion n’ont plus leur place, pour aboutir à ce qu’ils ont réussi à faire au Moyen-Orient.»

«Break the cross»

Face à ces discours qui tendent à discriminer les Français musulmans ou d'origine étrangère et qui font le jeu de Daech, on prefère tourner le regard vers les actes de solidarité entre croyants et non-croyants ou fidèles de différentes religions.

«Le sang qui a coulé, ce sera le ciment qui rassemble nos deux communautés», a affirmé à l'issue de la messe de Rouen, le président du conseil régional du culte musulman de Haute-Normandie et représentant de la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, Mohamed Karabila.

En écoutant ses paroles, il est utile de noter qu'à quelques milliers de kilomètres de là, Daech publiait le dernier numéro de sa revue Dabiq, avec en titre «Break the cross» («Brisez la croix») et dans lequel les penseurs de l'organisation terroriste appellent les musulmans à se méfier des «"imams" qui vous amènent aux portes de l'Enfer. Ils apparaissent comme "musulmans" et parlent le langage de l'Islam, mais ils appellent à la désunion et à rester à distance d'Allah. À la place, ils appellent (...) à l'abandon de former un rang unique de musulmans contre les enemies de l'Islam!».

Ces «faux imams» vilipendés par Daech, ce sont ce que l'on appelle par abus de langage, les «musulmans modérés». Comme ceux qui ont prié en la cathédrale de Rouen.

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