«Je suis désolé pour la famille de Che Guevara et les gens qui l’ont connu avant qu’il ne devienne un T-shirt.» Cette saillie du comédien britannique Jérémy Hardy résume bien comment un symbole de révolte anti-américaine peut se faire happer, avaler et digérer par l’ennemi capitaliste.
Che Guevara was born 88 years ago today. Intended to ignite a Marxist revolution, ended up in t-shirt marketing. pic.twitter.com/jiy0n9Vsl7
— Bondwooley (@bondwooley) 14 juin 2016
Comble de l’histoire, le photographe à l’origine de ce mythe n’a pas touché un centime, rapporte Dazed. Le 5 mars 1960, quand il prend ce cliché lors des funérailles des victimes du sabotage du bateau La Coubre, Alberto Korda travaille pour le journal cubain Revolución. Il la propose alors grauitement au quotidien marxiste, qui ne la publie pas.
La photo ne refait surface que sept ans plus tard au moment de l’exécution sommaire du guérillero par l’armée bolivienne. Feltrinelli, éditeur italien auquel Korda avait offert un tirage de la fameuse photographie, en profite pour faire tirer et vendre un million de posters. Puis c’est au tour de l’artiste Jim Fitzpatrick d’adapter le portrait sur fond rouge. Le tout agrémenté d’un «F» majuscule, en guise de signature, sur l’épaule gauche du Cubain d’adoption. Cette création est «une protestation personnelle vis-à-vis des conditions de sa mort», explique Jim Fiztpatrick à Dazed, avant d’ajouter être «fier ce qu’elle est devenue». Quelques mois plus tard, étudiants soixante-huitards et anarchistes néerlandais en font leur emblème.
Jim FitzPatrick exhibition preview 7pm Thurs 27th Nov. @TheGreenGallery
— The Green Gallery (@TheGreenGallery) 18 novembre 2014
Che Guevara, Celtic,Thin Lizzy bythis legend pic.twitter.com/oOQ7jUqO7H
La revendication purement politique ne tiendra pas longtemps. Du fait de la libre propriété de ce logo-emblème-icône-étendard –appelez-le comme vous voulez–, les réappropriations se multiplient et vident progressivement la photo de son sens, jusqu’à ce qu’elle devienne un produit global, disponible dans tous les magasins attrape-touristes. Strings, briquets, posters, coques de smartphones... D’innombrables objets du quotidien y passent, et les grandes franchises ne tardent pas à s’aligner. Gap, Urban Outfitters, Belstaff, Vans, Mercedes Benz, Converse, Louis Vuitton... Sur eBay, on dénombre aujourd’hui plus de 34.000 articles en lien avec le Che, un chiffre bien supérieur aux produits étiquettés Obama ou Beyoncé par exemple.
«Les États-Unis ont toujours eu la capacité de s’approprier les rebelles, observait l’artiste Pedro Meyer en 2005 dans le Washington Post. C’est un moyen peu coûteux d’exprimer ton besoin d’être rebelle: tu t’achètes un T-shirt et tu n’as plus rien d’autre à faire.» La hype Guevara ne s’éteindra sans doute jamais.
En France, une figure politique d’un autre style truste le marché du cool. Lui n’a pas fait la révolution, ni renversé une dictature. Il était président de la République. Son nom: Jacques Chirac.
Sweatshirts à son effigie, hipsters en adoration… Jacques Chirac président de la hype >> http://t.co/1EikMAE5vR #swag pic.twitter.com/umNW0krplk
— Yan Bernard-Guilbaud (@_yan_bg) 8 juin 2015