France

Comment peut-on être sous bracelet électronique et commettre un attentat?

Temps de lecture : 4 min

C’était le cas de l’un des assaillants de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen.

Un policier et un véhicule de la BRA le 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray | MATTHIEU ALEXANDRE/AFP
Un policier et un véhicule de la BRA le 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray | MATTHIEU ALEXANDRE/AFP

Sitôt l’intervention des forces de l’ordre à l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) achevée, les preneurs d’otages et assassins du prêtre Jacques Hamel abattus, les policiers ont fait une terrible découverte. Comme le rapporte Le Point, l’un des terroristes était connu des services antiterroristes.

En 2015, l’homme, dont les initiales sont A.K., avait essayé, par deux fois précise Marianne, de passer en Syrie mais, interpellé au bout du compte par les autorités turques, il avait été refoulé vers la France. Là, il est alors mis en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, placé en détention provisoire puis assigné à résidence sous surveillance électronique au domicile de ses parents, à Saint-Étienne-du-Rouvray. Il porte donc un bracelet électronique. Le parquet avait alors fait appel de cette décision sans obtenir gain de cause.

Un pedigree et un parcours judiciaire qui interrogent. Le système de surveillance auquel était astreint le suspect a-t-il failli? Pour y voir plus clair, il faut d’abord faire la lumière sur le placement sous bracelet électronique, ou plus officiellement le «placement sous surveillance électronique».

Un bracelet, plusieurs procédures

Le bracelet électronique peut venir se fixer à la cheville d’un condamné ou d’une personne en attente de jugement, nous explique maître Antoine Chaudey, avocat:

«Le placement sous surveillance électronique n’est pas une peine autonome. Celui-ci peut, dans une première option, intervenir à titre d’aménagement de peine, ab initio ou en cours d’exécution de la peine, après une période de détention. Dans la première hypothèse, la peine est aménagée par le juge d’application des peines juste après la condamnation, au cours d’un débat contradictoire. Le condamné peut à ce stade demander à être placé sous bracelet électronique.

Pour que le juge accède à sa demande, il faut notamment que le condamné présente des garanties de réinsertion et de réadaptation sociale: avoir un domicile stable, des charges de famille, un projet professionnel... Les conditions sont les mêmes dans la seconde hypothèse, en cours de peine.»

Dans les heures où ils peuvent quitter leur domicile, les porteurs de bracelet électronique restent libres

Maître Antoine Chaudey, avocat

Mais le preneur d’otages de Saint-Étienne-du-Rouvray relève lui d’une autre option, le placement sous bracelet électronique pendant le cours d’une instruction. «Lors de l’instruction d’un dossier, un mis en examen peut aussi bénéficier d’une assignation à résidence sous surveillance électronique qui viendra se substituer à la détention provisoire. Il faut rappeler que la détention doit être l’exception, la liberté la règle. C’est ce que prévoit l’article 144 du code de procédure pénale. C’est le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention qui peut placer une personne sous surveillance électronique à ce stade», poursuit maître Chaudey.

L’article en question est très clair. On optera pour la détention pure et simple plutôt que pour l’assignation à résidence avec bracelet électronique (ou le contrôle judiciaire) que si ces dernières solutions ne permettent pas de satisfaire aux critères suivants: conserver les preuves, empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, empêcher une concertation frauduleuse entre le prévenu et d’éventuels complices, protéger le mis en examen, empêcher la réitération de l’acte, le maintien de l’ordre public. Le parquet, qui s’était opposé au placement sous bracelet électronique du suspect de Saint-Étienne-du-Rouvray, avait visiblement estimé le degré de dangerosité présenté par celui-ci trop important pour remplir ces conditions.

Le bracelet électronique est synonyme de quelques heures de liberté quotidiennes

A.K. était donc assigné à résidence à Saint-Étienne-du-Rouvray avec obligation de porter un bracelet électronique en permanence. Celui-ci régentait strictement son quotidien tout en lui laissant une certaine plage de liberté, c’est le principe même de ce type de surveillance. Le dispositif consiste en un bracelet auquel est jointe une console de surveillance, le tout étant enroulé autour de la cheville. L’ensemble est connecté à un boîtier relié au greffe de la maison d’arrêt où l’individu est placé sous écrou. Ce dernier doit rester à domicile aux heures fixées selon l’appréciation du juge. En dehors de celles-ci, il est libre de ses mouvements.

L’objectif est, en se fondant sur des justificatifs, de laisser l’individu honorer un contrat de travail, une formation, chercher un emploi. Le boîtier contrôle le respect de l’assignation à résidence mais, si le prévenu y déroge et quitte son logement en dehors de sa permission, l’équipement sonne auprès d’un surveillant pénitentiaire, qui préviendra les autorités compétentes: le procureur de la République, le juge référent, en lien avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation.

S’il viole son assignation à résidence et que son boîtier bipe, les policiers ne vont pas intervenir dans la seconde

Maître Antoine Chaudey

«Dans les heures où ils peuvent quitter leur domicile, les porteurs de bracelet électronique restent libres», ajoute maître Antoine Chaudey. C’est sur les coups de 9h30 que l’attaque de l’église a eu lieu; or cet horaire correspond à la permission délivrée à A.K: il était libre chaque matin de sortir entre 8h30 et 12h30. Selon l’avocat lillois, la temporalité de l’action fait que, si A.K. avait mené son opération à un autre moment, les choses n’auraient de toutes façons guère été différentes: «S’il viole son assignation à résidence et que son boîtier bipe, les policiers ne vont pas intervenir dans la seconde.»

«Un pari sur l’avenir»

Il faut dire que le nombre de personnes sous écrou est très élevé: plus de 76.000 en ce mois de juillet selon le ministère de la Justice et les services de suivi sont surmenés. Maître Antoine Chaudey nuance:

«Commettre un attentat en étant placé sous surveillance électronique, ça peut arriver, bien sûr, parce que le risque zéro n’existe pas et que le bracelet électronique reste un pari sur l’avenir. Il demeure néanmoins, surtout au regard du contexte actuel, difficile d’obtenir un placement sous surveillance électronique et les magistrats restent vigilants: il convient de présenter de sérieuses garanties.»

La matinée ensanglantée qu’a connue Saint-Étienne-du-Rouvray trouve un triste écho dans l’agenda de l’Élysée. Ce 26 juillet à 9h30, à l’heure où les assaillants pénétraient dans l’église, François Hollande avait rendez-vous avec des représentants des syndicats pénitentiaires en compagnie du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas. Il devait notamment y être question du suivi des personnes placés sous surveillance électronique.

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