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Le Tour de France n’était pas 100% made in France

Temps de lecture : 6 min

Vin officiel, produits distribués, champs décorés: la marque Tour de France est tiraillée entre terroir et globalisation.

Échappée du Français Thibaut Pinot, de l’Allemand Tony Martin et du Polonais Rafal Majka lors de la huitième étape du Tour entre Pau et Bagnères-de-Luchonand, le 9 juillet 2016 | JEFF PACHOUD/AFP
Échappée du Français Thibaut Pinot, de l’Allemand Tony Martin et du Polonais Rafal Majka lors de la huitième étape du Tour entre Pau et Bagnères-de-Luchonand, le 9 juillet 2016 | JEFF PACHOUD/AFP

Berne (Suisse)

Dans les derniers mètres avant la ligne d’arrivée, les sponsors se bousculent pour nourrir et désaltérer les spectateurs, impatients de voir les coureurs. Partenaire du maillot à pois de meilleur grimpeur, la multinationale Carrefour a choisi ses abricots «Reflets de France» vendus dans les Carrefour Market, comme le rappelle chaque jour le speaker, pour jouer la carte de la proximité.

Les hôtesses Vittel, elles, distribuent des bouteilles de 50 cL de l’eau officielle du Tour, garantie 100% vosgienne. Elle est embouteillée dans la commune de Vittel, où elle prend sa source. Quant au géant Haribo, ses deux mascottes lancent des paquets de bonbons, importés d’Autriche, car c’est la seule usine ayant «la technologie pour fabriquer cette nouveauté», précise Philippe Lavergne, responsable de la firme allemande sur le Tour.

Le bidon cycliste du Tour de France 2016 est fabriqué aux Pays-Bas | Photo: Cyril Peter

Du village-départ à la caravane publicitaire, en passant par le petit écran, nombreuses sont les marques qui surfent sur la vague made in France. Vêtus d’un maillot de corps orange, les saisonniers employés par Bic arborent dans le dos un cœur bleu et rouge sur fond blanc, entouré de l’inscription «Fabriqué en France». Cochonou, l’un des annonceurs les plus populaires de la caravane, met en avant dans sa publicité télévisée l’origine de son porc français. Le Gaulois, autre marque franchouillarde, affiche sur le devant de ses véhicules, présents sur le Tour, que sa volaille est «née, élevée et préparée» en France.

Chaque matin, au village-départ, les produits locaux sont à l’honneur. Un «espace terroir» permet aux invités, aux journalistes, voire aux coureurs, de déguster fromages, charcuterie et autres douceurs hexagonales. En Normandie, le trio magique camembert/livarot/pont-l’évêque intrigue les convives étrangers. À Bourg-en-Bresse, des producteurs sélectionnés par la mairie proposent du poulet fermier et une variété de crèmes fraîches labellisées AOC (français) et AOP (européen).

Le vin chilien fait polémique

Depuis cette année, un «espace vignerons» met en valeur les vins de la région traversée. Sauf aux pieds du Mont-Saint-Michel, en début de parcours, où des producteurs corses se sont installés au village-départ, en l’absence de tradition viticole dans la Manche. Ces pavillons dédiés aux vins français, dressés une étape sur deux, sont le résultat d’une lutte menée par des défenseurs du terroir bleu-blanc-rouge, dont le plus bruyant est Frédéric Rouanet.

Le président du syndicat des vignerons de l’Aude revient sur la controverse: «Une soirée de février, devant mon ordinateur, je découvre que le vin officiel du Tour de France est chilien. Je bondis, je m’énerve, je dors mal.» Le lendemain, il publie un communiqué critiquant l’organisateur du Tour: «Tous les députés et sénateurs de la région s’indignent, même les Bonnets rouges de Bretagne soutiennent notre idée de blocage.»

Après l’échec des négociations au Salon de l’Agriculture en mars, un compromis est finalement trouvé le 13 mai avec Christian Prudhomme, le patron du Tour, venu dans l’Aude. Deux mois plus tard, au village-départ de Carcassonne, Frédéric Rouanet savoure devant le stand mettant en avant les vins AOC du Languedoc et IGP du Pays-d’Oc:

«Sans notre coup de gueule, il n’y aurait pas d’espaces vignerons. Il y avait déjà un pavillon pour les produits locaux, mais le vin était cantonné à un petit mètre carré, à côté de la charcuterie et des fromages. J’espère que les vignerons de France auront le temps de s’organiser pour être présents à chaque étape l’an prochain.»

Une soirée de février, devant mon ordinateur, je découvre que le vin officiel du Tour de France est chilien. Je bondis, je m’énerve, je dors mal

Frédéric Rouanet, président du syndicat des vignerons de l’Aude

Invitée à Carcassonne, Carole Delga, présidente de la région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, apprécie la main tendue de l’organisateur. «Le Tour de France, c’est la valorisation de tous les talents: du cyclisme français et du cyclisme international. Mais c’est aussi la valorisation du terroir. Donc il était important qu’on puisse donner une visibilité à nos vignerons, qui font la fierté de notre région.»

Le pavillon dédié aux vins français est en plein milieu du village-départ à Carcassonne | Photo: Cyril Peter

Le partenariat avec le Chilien Cono Sur, qui se contente de l’étiquette «vin officiel» du Tour dans six pays, court jusqu’en 2017. Le temps de mobiliser les parlementaires, prévient Frédéric Rouanet. «On a un peu trop agressé Christian Prudhomme parce qu’en France il y a la loi Évin [qui interdit la promotion de l’alcool sur les routes de France; NDLR]. Donc on va demander une dérogation à l’État français pour qu’il y ait une distribution de vin sur la caravane du Tour, en France.»

«Ne pas oublier ses racines»

La polémique autour du vin chilien illustre l’internationalisation de l’épreuve, lancée dans les années 1980, alors qu’aujourd’hui les coureurs composant le peloton viennent des cinq continents. Une stratégie que poursuit Amaury Sport Organisation (ASO), l’organisateur depuis 1992. Objectif: que le Tour conserve son hégémonie, en coupant l’herbe sous le pied de son lointain poursuivant, le Giro italien.

L’ourson en peluche, fabriqué en Chine, coûte 15 euros | PHoto: Cyril Peter

Pour le directeur du Tour, il y a un équilibre à trouver: «ne pas oublier ses racines et en même temps se développer». La preuve quand l’ambassadeur du Tour Bernard Hinault est à Saïtama (Japon), qui organise depuis 2013 une course avec les têtes d’affiche de la Grande Boucle, au moment où Christian Prudhomme dévoile, dans les Hautes-Pyrénées, le parcours de la prochaine édition.

Autre exemple: le Français PMU, historique partenaire de la tunique verte de meilleur sprinteur, qui a cédé sa place à Skoda. Depuis l’édition 2015, le constructeur automobile tchèque débourse plus de 3 millions d’euros par an pour faire partie du «club» très prisé des quatre parrains de maillots.

Christian Prudhomme voit dans la marque «TDF» une épreuve de trois semaines retransmise en direct de la Colombie à l’Afghanistan, le meilleur moyen de promouvoir la France profonde:

«Pour la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques, les télés montrent les stades. Le Tour de France et les épreuves cyclistes montrent les territoires façonnés par les gens de la terre, donc par les agriculteurs. Il n’y a pas un événement au monde qui les met autant en valeur. Et ils le savent très bien.»

Le maillot jaune est fabriqué au Portugal

L’organisateur collabore déjà avec le monde agricole, comme en témoigne l’accord avec la FNSEA (premier syndicat agricole français) sur la valorisation des champs. «Désormais, il y a des prix pour les mieux décorés, sourit le directeur du Tour. Ce qui est frappant, c’est que les agriculteurs font les décorations lorsqu’ils n’ont pas le temps, à la période de la moisson.»

Si le Tour marque des points en tant que vitrine des produits et paysages français, il en perd quand on s’intéresse aux étiquettes… Les maillots jaune, vert, à pois et blanc sont fabriqués au Portugal par le Coq Sportif. Il ne s’agit pas d’une affaire de main-d’œuvre à moindre coût mais de savoir-faire, assure Jean-Philippe Sionneau, responsable de la communication. «On préfère travailler avec ce qu’il se fait de mieux au niveau mondial parce que c’est un produit extrêmement technique.»

Si le Tour marque des points en tant que vitrine des produits et paysages français, il en perd quand on s’intéresse aux étiquettes des maillots

La boutique officielle du Tour à Berne | Photo: Cyril Peter

L’entreprise française conçoit les tuniques à Romilly-sur-Aube, où travaillent plus de cent personnes. C’est dans cette usine que le Coq Sportif, partenaire du Tour de 1951 à 1988, a ouvert son centre de développement en 2012, année marquant son retour sur la Grande Boucle. «Les dessins, les premières coutures des prototypes ont été faits là-bas», précise le communicant de la marque au coq.

À la boutique officielle, la production française est invisible. La gourde (6 euros), l’un des objets les plus vendus, est fabriquée aux Pays-Bas, terre de cyclisme. La casquette (20 euros) et l’ourson en peluche (15 euros) viennent de Chine. N’en déplaisent aux clients qui, selon les vendeurs, ferment les yeux sur l’origine des produits.

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