De nouveau, les Italiens du centre gauche ont été appelés à voter pour des primaires. Il s'agissait cette fois d'élire les membres de l'Assemblée nationale du parti et le secrétaire de celui-ci mais aussi les assemblées régionales et les secrétaires régionaux du Parti démocrate, né il y a à peine deux ans et issu de la fusion des ex-communistes et d'anciens démocrates chrétiens et centristes.
Les premiers résultats commencent à être connus. Près de 3 millions d'électeurs se sont rendus dans les 10 000 urnes installées dans la péninsule et à l'étranger. Pouvaient voter tout Italien âgé de plus de 16 ans comme tout étranger disposant d'un permis de séjour, payant deux euros et signant une déclaration d'appartenance à l'électorat du PD. Pier Luigi Bersani l'emporte avec 52% des voix, suivi de Dario Franceschini (34%) et, enfin, Ignazio Marino (14%).
Ces résultats sont riches d'enseignement. D'abord, par rapport aux précédentes primaires italiennes. La comparaison doit se faire non point avec celles d'octobre 2005 où 4,3 millions d'électeurs de la coalition de l'Olivier avait largement choisi Romano Prodi mais par rapport à celle du 14 octobre 2007. Ce jour-là, 3,5 millions d'électeurs avaient désigné leurs représentants à l'Assemblée constituante du PD. Les listes liées à la candidature au secrétariat de Walter Veltroni avaient recueilli 75,8% des suffrages, celles soutenant Rosy Bindi, 12,97% et celles en faveur d'Enrico Letta 11%, les deux autres candidats n'ayant fait que de la figuration.
Echecs de Veltroni
C'est précisément parce que Walter Veltroni a démissionné en 2009 après une série d'échecs que ces nouvelles primaires du PD ont été convoquées. Entre 2007 et 2009, se font jour deux grandes différences. En premier lieu, une moindre participation. Sans doute explicable par les mauvais résultats du PD et la déception qu'il suscite auprès des électeurs du centre gauche. Il y a deux ans, aller voter pour faire naître le PD avait la saveur de la nouveauté. Par définition, voter en 2009 ne revêt plus la même signification. Cependant, alors que tous les pronostics sur la participation étaient sombres avant le scrutin, la mobilisation de près de 3 millions de personnes démontre une volonté de consolider le parti démocratique et d'exercer le pouvoir de choisir ses dirigeants.
Là réside la deuxième différence: cette fois les électeurs devaient trancher entre trois compétiteurs alors qu'en 2007 il s'agissait en vérité de confirmer le choix fait en faveur de Veltroni par les directions des deux partis à l'origine du PD, les Démocrates de gauche (DS, ex-communistes) et les centristes de la Marguerite. Les trois candidats ont quelques réelles divergences et, à cette occasion, les cartes ont été relativement mélangées dans le parti puisque chacun d'entre eux regroupait des anciens DS et des ex-Marguerite. Bersani était cependant soutenu par la majorité des dirigeants de ces deux formations.
Défenseur d'une conception plus traditionnelle du parti, il souhaite ancrer celui-ci davantage dans la famille socialiste européenne et reconstituer une coalition électorale du type de l'Olivier avec l'Italie des valeurs de l'ancien juge Di Pietro, les centristes de l'UDC et ce qui reste de la gauche radicale. Franceschini, en digne successeur de Walter Veltroni, entendait plus que jamais prolonger l'expérience d'un PD inclassable, se positionnant au-delà des frontières classiques de la gauche, s'imposant comme grand parti réformateur dans un système bipartisan. Enfin, Ignazio Marino voulait innover, doter le PD d'une identité clairement laïque, s'adresser à la société civile et attirer de nouveaux électeurs.
Sympathisants
Le résultat des primaires du 25 octobre prend également un relief certain si on le compare au vote des adhérents du PD qui s'est déroulé entre la fin du mois septembre et le début du mois d'octobre afin de désigner les candidats à cette primaire ouverte aux sympathisants. Plus de 56% des inscrits avaient voté, soit plus de 467 000 personnes: Pier Luigi Bersani l'avait nettement emporté avec 55,13% des suffrages, devant Dario Franceschini 36,95% et Ignazio Marino 7,92%. Bersani et Franceschini recueillent moins de suffrages, cependant que l'outsider Marino enregistre une nette progression qui atteste une grande aspiration du peuple du PD à la rénovation du leadership de leur parti. Néanmoins, les sympathisants ont confirmé le vote des adhérents en faveur de Bersani.
Les primaires sont donc terminées, et tout reste à faire pour le PD. Les défis semblent considérables pour le nouveau secrétaire qui sera officiellement désigné dans deux semaines. Sera-t-il capable de reconstituer l'unité du parti en commençant par rassembler ses deux challengers autour ce lui? Les polémiques ont été rudes, les blessures mettront du temps à cicatriser et, en tout état de cause, des départs du parti sont probables. Ainsi Francesco Rutelli, qui fut maire de Rome et candidat malheureux face à Berlusconi en 2001, pourrait être tenté de se lancer dans une hypothétique reconstitution d'une grande formation modérée avec Pierferdinando Casini, le dirigeant de l'UDC.
Bersani devra aussi au plus vite préparer les élections régionales partielles de mars 2020 qui auront valeur de test national pour mesurer les rapports de force entre majorité et opposition et la popularité de Silvio Berlusconi. Il lui faudra parallèlement préciser sa stratégie d'opposition, définir un projet et remettre de l'ordre dans un parti qui a été secoué par des affaires de mœurs et de morale.
Il lui faudra donner des réponses claires à une société tiraillée entre, d'une part, la peur, les crispations identitaires, les tentations au repli, la xénophobie, l'homophobie, l'individualisme incivique et, de l'autre, la volonté de s'insérer dans la globalisation, la quête de nouvelles solidarités, l'exigence de transparence, l'aspiration à une démocratie qui fonctionne, l'espérance notamment chez les jeunes de refonder l'Italie sur d'autres bases. Enfin, bien que Pier Luigi Bersani sorte vainqueur de ces primaires, cet homme de 58 ans, ex-communiste modéré qui a plusieurs fois été ministre et a exercé ses fonctions avec compétence, ne semble pas, pour le moment du moins, s'imposer aux yeux de l'opinion comme un leader capable de défier un Berlusconi pourtant affaibli, ni incarner une alternative qui soulève l'espoir, à défaut de l'enthousiasme, des électeurs du centre gauche.
Les primaires sont désormais devenues une règle de fonctionnement incontournable du PD. Elles ne constituent pas la panacée. Une leçon que les socialistes français feraient bien de méditer.
Marc Lazar
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Image de Une: Pier Luigi Bersani Reuters